Analyse 2012-13

En 2003, l’actrice française Marie Trintignant est frappée à mort par son compagnon, le rockeur du groupe Noir Désir, Bertrand Cantat. Dix ans après le drame, le chanteur réintègre peu à peu la scène musicale. Que penser de la réinsertion des hommes publics qui ont fauté dans leur vie d’homme ? Faut-il les condamner en boycottant leurs œuvres nouvelles ? Pardonner pour leur permettre de se refaire une place au sein de la société ? Analyse et réflexions.

 

Le contexte : le drame de Vilnius


En 2003, le chanteur français Bertrand Cantat, leader du groupe de rock à succès « Noir Désir » séjourne avec sa compagne, l’actrice Marie Trintignant, en Lituanie. Lors d’une soirée arrosée, une dispute éclate entre le couple. Bertrand Cantat frappe Marie Trintignant à plusieurs reprises. Dans le coma, l’actrice décède des suites de ses blessures à Paris, quelques jours plus tard. Le chanteur est condamné par la justice lituanienne à 8 ans de prison pour « meurtre commis en cas d’intention indirecte indéterminée » [1]. La tragédie émeut le public, les médias et le monde du spectacle car Bertrand Cantat est un personnage public, et il a tué. Tout le monde s’interroge sur sa libération future. Comment reprendre une place dans la société lorsqu’on est à la fois rocker célèbre et coupable d’«homicide involontaire » à force de « coups mortels » portés sur une autre personne, célèbre elle aussi [2]?


Transféré en France pour purger sa peine, le chanteur est libéré en 2007 pour bonne conduite. À sa sortie de prison, l’artiste n’est pas certain de se remettre à la chanson [3]. Il finit toutefois par reprendre discrètement ses activités musicales [4]. En novembre 2008, deux titres sont proposés en téléchargement sur le site de Noir Désir. Très vite, des questions se posent. Faut-il réintégrer Bertrand Cantat dans le giron des artistes légitimes ? A-t-il encore sa place auprès des autres grands talents de la chanson française ? Faut-il différencier l’homme de l’artiste ?


Un retour sur scène progressif


Dès 2010, le chanteur fait un retour progressif sur scène, au travers de participations en duo avec d'autres artistes. L’année suivante, il se lance comme comédien et se produit au théâtre, dans une tragédie de Wajdi Mouawad. Ce dernier prévoit de présenter, d’ici 2015, sept tragédies de Sophocle sous forme de trois cycles de création. Le premier s’intitule « Les Femmes » et met Bertrand Cantat en scène. Les réactions ne se font pas attendre car ce cycle de création ramène Bertrand Cantat à sa propre histoire : le spectacle pointe précisément les questions de l’amour et de la mort, de la domination masculine, de la vengeance et de la justice. En Belgique, le projet est joué au théâtre de Namur en janvier 2012 [5]. Dans le spectacle, le cœur antique – qui typiquement résume et commente l’action dans la tragédie grecque – est traité à la façon très contemporaine d’un groupe de rock. Très vite, en France et surtout au Québec, le projet fâche. Les gens s’interrogent : si ce n’est par provocation, comment un homme condamné à huit ans de prison pour la mort de sa compagne peut-il s’afficher au cœur d’un tel projet artistique ? Le choix de Cantat n’est-il pas purement opportuniste ? Ne s’agit-il pas là d’un véritable coup marketing [6]?  


« Bertrand Cantat doit se faire oublier » : les arguments des opposants


Au Québec, le retour de Bertrand Cantat sur scène et son implication dans une pièce de théâtre qui traite de l’amour et de la mort provoque un véritable tollé. Le Théâtre du Nouveau Monde – qui accueille la pièce de Wajdi Mouawad – reçoit de nombreuses réactions négatives. Certains médias québécois lui prêtent l'intention de vouloir « faire applaudir un criminel [7] » Le public du théâtre menace de résilier ses abonnements.


La présence de Bertrand Cantat sur scène est, par beaucoup, considérée comme troublante, voir malsaine.


D’autres s’interrogent. Les artistes, personnages publics chargés d’autorité morale, ne sont-ils pas soumis à un devoir d’exemplarité ? Ne sont-ils pas obligés de se faire discrets lorsqu’ils ont fauté dans leur vie d’homme ?  


Les opposants à la reconversion de Bertrand Cantat estiment que – même s’il a purgé sa peine – l’acte n’est pas effacé et qu’après avoir commis un geste aussi grave, le chanteur devrait essayer de se faire oublier en se reconvertissant dans des activités nouvelles qui l’éloignent du paysage médiatique. « Un personnage public qui a tué doit passer dans l’anonymat », lit-on sur de nombreux forums. « Bertrand Cantat représente un très mauvais exemple pour la jeunesse. »


La mère de Marie Trintignant, directement concernée par le drame, déplore la libération très anticipée de Bertrand Cantat. « Je crains que cette libération conditionnelle n'apparaisse comme tristement significative pour tous ceux qui luttent pour que soient enfin justement sanctionnées les violences faites aux femmes. [8] »


« Chacun a droit à une deuxième chance » : les arguments des partisans à la réinsertion


Pour ses défenseurs, en jouant cette tragédie, Bertrand Cantat tente de trouver la rédemption en s’approchant au plus près de ce qu’il a vécu. Il assume ses démons et accepte de les exorciser publiquement. Puisqu’il a payé sa dette envers la société, il a droit à un nouveau départ.


Les chanteurs maliens Amadou et Mariam [9], soucieux de porter un peu plus loin les graines pacifistes qu’ils ont toujours semées, ont décidé d’accueillir Bertrand Cantat sur leur dernier album. « Il faut savoir donner une seconde chance aux gens. On ne peut pas rester sur une erreur toute sa vie. Nous aimons chanter pour donner de l’espoir aux gens, pour leur montrer que l’on peut s’en sortir, qu’il faut avoir du courage. [10] »


Ne pas permettre à Bertrand Cantat de remonter sur scène serait lui infliger une nouvelle condamnation. « Il a commis un crime, c’est vrai. Et il a payé pour cela. Pourquoi ne pourrait-il pas reprendre son job ? Il avait vendu des millions de disques par le passé. Personne ne serait choqué qu’un fleuriste qui a fait de la prison reprenne son boulot là où il l’avait laissé avant sa détention… »


Conclusion


Bertrand Cantat a été reconnu coupable de la mort de Marie Trintignant. Après avoir passé quatre ans en prison, aux yeux de la société, il a payé sa dette. Le chanteur a bénéficié de la liberté conditionnelle et, que l’on trouve cela légitime ou non, la loi le lui permettait. La loi s’applique de la même manière pour tous. Sous prétexte qu’il est un personnage public, Bertrand Cantat aurait-il dû bénéficier d’un traitement de faveur ? Condamné en mars 2004 à huit ans de prison, le chanteur réunissait toutes les conditions exigées par la loi – de réinsertion, de bonne conduite et d’indemnisation des victimes – pour être libéré après avoir purgé la moitié de sa peine. La justice est là pour juger, sanctionner et déterminer le délai au-delà duquel le pardon symbolique de la société est accordé au condamné [11].


Bertrand Cantat sortira un album au printemps 2013, dix ans après le drame de Vilnius. Faut-il laisser une secondaire chance à Bertrand Cantat ? Pour Couples et Familles, les actes répréhensibles auront toujours à être dénoncés et condamnés, mais ils ont surtout à être conjurés par une société plus égalitaire, une éducation altruiste généralisée, et une rééducation intelligente et efficace des personnes condamnées [12].


Le come back de Bertrand Cantat risque d’être difficile, voire insurmontable. Le chanteur a été l’icône rock de toute une génération, séduisant son public par ses envolées lyriques et ses prises de position. Avec l’annonce de la mort de Marie Trintignant, la rupture d’image a été telle qu’aujourd’hui, une reconversion semble presqu’impossible. Quelque chose entre Cantat et ses fans est rompu. Noir Désir a d’ailleurs été dissous en 2010.


Personne n’est obligé d’acclamer Bertrand Cantat. On peut trouver indécent ou inapproprié qu'il se produise sur scène. Le public a la possibilité de se détourner de lui, comme les électeurs pourraient ne pas voter pour un homme politique qui a été condamné [13]. Mais n’est-ce pas un devoir civique que de lui permettre de se réinsérer et d'exercer son métier. Quant au pardon, il n’appartient qu’à ceux qui ont été victimes des actes de Bertrand Cantat, pas au public… [14]

 

 


 

[1] http://www.chartsinfrance.net/Bertrand-Cantat/news-79159.html
[2] http://www.elle.fr/Societe/Les-enquetes/Bertrand-Cantat-et-maintenant-382649
[3] http://www.liberation.fr/societe/010121337-bertrand-cantat-va-etre-libere-ce-mardi
[4] http://www.lepoint.fr/culture/bertrand-cantat-le-retour-de-l-ange-noir-du-rock-29-07-2010-1220291_3.php
[5] http://fr.elle.be/Lifestyle/Cultur-ELLE/Bertrand-Cantat-sera-sur-scene-a-Namur
[6] L’info du jour du mercredi 18 janvier 2012, page 2
[7] http://www.france-amerique.com/articles/2011/04/06/bertrand_cantat_interdit_de_territoire_au_quebec.html
[8] http://obsession.nouvelobs.com/people/20070913.OBS4794/nadine-trintignant-s-opposea-la-liberation-anticipee-de-cantat.html
[9] Amadou Bagayoko et Mariam Doumbia, sont un couple de musiciens et chanteurs maliens, qui présentent la particularité d'être tous deux aveugles. Ils se font connaître au début des années 2000 où ils acquièrent une notoriété et une sympathie auprès du public français, couronnées en 2005 par une Victoire de la musique catégorie World, pour l'album Dimanche à Bamako, réalisé avec le concours de Manu Chao, qui se dit fan du duo.
[10] http://www.chartsinfrance.net/Bertrand-Cantat/news-79159.html
[11] http://obsession.nouvelobs.com/people/20110506.OBS2542/liberez-bertrand-cantat-par-isabelle-monnin.html
[12] Voir http://www.couplesfamilles.be/index.php?option=com_content&view=article&id=287:que-penser-de-la-liberation-de-michele-martin-&catid=6:analyses-et-reflexions&Itemid=9
[13] http://obsession.nouvelobs.com/people/20110506.OBS2542/liberez-bertrand-cantat-par-isabelle-monnin.html
[14] Analyse rédigée par Isabelle Bontridder.

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