Analyse 2012-16
Moments de convivialité joyeuse ou obligations pesantes, les fêtes de fin d’année sont diversement vécues et appréciées. Quelles fonctions remplissent-elles et comment en faire une dynamique familiale et sociale ?
Les occasions auxquelles les familles se réunissent pour faire la fête sont multiples et de portées très différentes : anniversaires, fête des mères, baptêmes, mariages, communions, etc. Les fêtes de fin d’année –Noël et Nouvel An- revêtent une symbolique et un aspect particuliers puisque la grande majorité des familles se réunissent à la même période pour faire la fête. Il suffit de feuilleter les livrets publicitaires et autres toutes boites de cette période pour constater qu’il est presque inconcevable de ne pas se réunir et festoyer. Quand des connaissances se rencontrent et échangent quelques nouvelles, elles ne demandent pas « Faites-vous quelque chose à Noël ? », mais « Que faites-vous à Noël ? » Les villes sont illuminées, de nombreux marchés de Noël sont organisés, beaucoup d’entreprises interrompent leurs activités pendant quelques jours, les magasins ouvrent même le dimanche, foie gras, huîtres, homards et autres mets raffinés sont promotionnés par la grande distribution. C’est tellement naturel de vivre les fêtes en famille qu’il est devenu habituel de rappeler que cette période est encore plus difficile à vivre pour les isolés que le reste de l’année. La solitude pèse encore plus lourd fin décembre.
Un rituel
Plus que toute autre peut-être, les fêtes de fin d’année obéissent souvent à un rituel. Au départ des représentations sociales de la fête propres à certaines régions et certains milieux sociaux, une sorte de rite s’établit d’année en année dans chaque famille particulière. Il suffit pour s’en convaincre de penser aux troubles et bouleversements qui déstabilisent la famille lorsque celui ou ceux qui organisaient traditionnellement la fête familiale vient à décéder. Que va-t-on faire désormais ? Qui s’en chargera ? Selon quelle procédure ?
Les convives n’ont pas toujours conscience du fait que leur rencontre obéit à un rituel, mais quelques éléments permettent de le montrer. C’est souvent la même personne qui, d’année en année, organise la fête. Il s’agit souvent d’un membre de la génération la plus âgée. Cela lui donne une responsabilité, mais aussi un certain pouvoir sur les autres. Les places à table rappellent aussi une hiérarchie. Si la salle à manger est trop petite pour contenir tout le monde, les plus jeunes se trouvent relégués à la cuisine, ce qui n’est pas toujours pour leur déplaire, éloignés qu’ils sont du contrôle des adultes. Les mets servis obéissent aussi parfois à un rituel assez précis. Dans certaines familles, on ne peut imaginer un Noël sans dinde. Mais on peut aussi penser aux rôles dévolus à chacun : celui qui s’occupe du vin et insiste un peu pour remplir les verres et provoquer une certaine euphorie, celui qui raconte des blagues, celui que l’on incite à chanter après deux ou trois verres de vin, celle qui aura apporté le gâteau qu’elle seule réalise avec autant de finesse, celui ou celle qui finit toujours par évoquer des souvenirs familiaux plus ou moins lointains, celle qui rappelle qu’il serait peut-être temps de se mettre à la vaisselle, celui qui joue systématiquement le rôle de trouble-fête et ne peut s’empêcher de remettre en avant jalousies ou conflits auxquels les autres préféreraient ne pas penser à cette occasion, etc. D’année en année, tant que la configuration familiale reste plus ou moins stable, le déroulement de la fête reste assez codé, voire figé.
C’est la raison pour laquelle certains trouvent assez pesantes ces réunions de famille, mais elles n’en remplissent pas moins une fonction identitaire ou de cohésion. C’est bien dans cette famille-là que cela se passe comme ça et cela fait partie de leur identité commune, même si elle pèse à certains.
Chocs divers
Pourtant, cette vision de la fête familiale se restreint au point de vue d’un seul groupe familial, ce qui est loin d’épuiser la réalité vécue par les personnes. Par définition, chaque couple est constitué de deux personnes issues de deux familles d’origine différentes, et donc aussi de deux traditions ou habitudes différentes. La nouvelle famille doit donc chaque fois reconstituer une nouvelle tradition commune, mais aussi vivre avec les liens aux deux familles d’origine. Le type de repas, la fréquentation obligatoire ou non de la messe de Noël, le fait de faire des cadeaux, de quelle manière et de quel prix, la manière de s’habiller et tout ce qui tourne autour de la fête change d’une famille à l’autre… et paraît parfois évident et intangible. S’il était inconcevable dans les deux familles d’origine de ne pas être présent le jour de Noël chez les parents, il faudra bien négocier. Un an sur deux, ou bien on change la formule et on déplace le moment de fêter Noël. Selon que les générations « organisatrices » se montrent plus ou moins souples, cela provoque des conflits insolubles, avec les questions de loyautés concurrentes qui s’y attachent ; à tout le moins, cela suppose une gestion des agendas pas toujours évidente. Les différences peuvent dans certaines cas être de détail, dans d’autres révéler des « cultures familiales » assez opposées. Tant que les relations sont au beau fixe, chacun met de l’eau dans son vin et s’en accommode, mais si des tensions apparaissent, gare au clash.
Et ces conflits de dates, de traditions, de culture ne font que s’accentuer et se multiplier lorsque des séparations et recompositions familiales se produisent. Pour certains jeunes parents, par exemple, dont les parents sont séparés et ont reconstitué chacun un nouveau couple, les « obligations » auxquelles il faut répondre ne font que se multiplier. La période des fêtes de fin d’année devient parfois un marathon pénible où ils se demandent comment se débiner ici ou là, obligés parfois de renoncer aux fêtes les plus « relaxe », parce que ce sont les seules où on ne leur en tiendra pas trop rigueur.
Ajouter à cela la présence d’adolescents, que ce type de fêtes irrite au plus haut point, parce qu’elles sont trop convenues, parce qu’ils se doivent de marquer leur opposition aux générations précédentes et de se démarquer des traditions familiales, etc. et l’on se rend compte que ces occasions de convivialité peuvent aussi se révéler explosives.
Fêtes commerciales
Est-ce uniquement une question de culture, c’est difficile à dire. Mais les fêtes de fin d’année sont devenues presque une obligation sociale. Et la société de consommation n’a pas raté l’aubaine. Beaucoup de commerces réalisent pendant les fêtes un chiffre d’affaires alléchant, qui leur permet de compenser les mois creux. Un producteur belge de foie gras déclarait récemment que 65% de son chiffre d’affaire se faisait en novembre et décembre. En Belgique, selon l’agence Deloitte , qui réalise depuis une quinzaine d’années des enquêtes sur les dépenses de fin d’année dans les différents pays européens, les Belges ont dépensé environ 560 € par ménage en 2011 pour les fêtes de fin d’année, dont un peu plus de la moitié (285 €) pour les cadeaux . Ce n’est pas rien.
On constate donc qu’aux pressions ou obligations familiales viennent s’ajouter des pressions sociales ou commerciales. Elles pèsent sans doute davantage sur les familles dont les revenus sont limités et qui se sentent obligées de « tenir leur rang ».
Les remarques qui précèdent, dans lesquelles de nombreuse personnes et familles peuvent reconnaître des tensions auxquelles elles ont déjà été confrontées, donnent un image des fêtes nettement moins détendue que ce que la publicité voudrait faire croire.
Comment faire ?
Lorsque l’on se retrouve pris dans des pressions extérieures diverses et multiples, il n’est pas toujours évident de prendre attitude, d’autant que dans les fêtes de famille, par définition, il faut en plus concilier des points de vue différents.
La première chose à faire est sans doute que chacun essaie de mettre au clair ce qu’il souhaite pour lui-même et se renseigne ensuite sur ce que ses plus proches espèrent. Cela ne résout pas tous les problèmes mais cela permet au moins d’identifier les divergences et de les clarifier. En commençant par essayer de déterminer un projet commun à la petite cellule familiale, on pourra peut-être plus facilement passer à la confrontation aux autres cellules.
Chacun aura sans doute tout un travail à faire pour porter un regard critique sur les obligations culturelles suscitées et imposées par la publicité commerciale. Le foie gras n’est sans doute pas obligatoire à la convivialité et l’absence de champagne ne relègue pas de facto la famille dans les paumés du système social.
Dans le contexte de relations familiales où le paraître et les jalousies cachées ont souvent une grande importance, la surenchère est souvent à l’œuvre. Il faudra absolument ne pas se dévaloriser par rapport à un frère ou une sœur et offrir un vin qui ne souffre aucune critique, proposer des mets ou une présentation de ceux-ci qui « en jette ».
Dans la dynamique des évolutions familiales, il est aussi essentiel de se donner (ou d’imposer) la possibilité de voir les traditions évoluer en fonction des changements des configurations familiales et des âges des protagonistes. Ce qui plaît à 40 ans peut être lourd à 60 et être imbuvable pour les ados. Plus qu’en toute autre occasion, le savant dosage de la vie familiale se révèle un casse-tête au moment des fêtes de fin d’année. Si l’on veut que chacun y trouve du bien-être, il faut faire preuve de beaucoup de souplesse, ce qui est à mille lieues de l’aspect convenu et figé que les fêtes familiales prennent souvent. Et en même temps, il faut éviter de tout bouleverser brusquement, le rituel étant souvent le résultat de compromis passés entre de multiples attentes des uns et des autres.
Comme on le voit, le rêve de l’harmonie familiale qui sous-tend souvent les fêtes de famille n’est pas garanti d’avance. Les pièges sont nombreux. Pour que ces réunions familiales puissent être de bons moments pour le plus grand nombre et renforcer les liens familiaux, il faut faire preuve d’analyse critique vis-à-vis des obligations culturelles et économiques, de capacité de négociation et de reconnaissance de la légitimité du point de vue de l’autre, de souplesse et d’imagination. Mais au regard du fonctionnement sociologique des dynamiques familiales, qui visent aussi à définir une identité propre, c’est une démarche à relancer sans cesse .
[1] Un Noël éclaire… et pas à n’importe quel prix, Agence Deloitte,
http://www.deloitte.com/view/fr_FR/fr/presse/communiques-de-presse/d70ab41a35bda310VgnVCM2000003356f70aRCRD.htm
[2] Voir à ce propos l’analyse 2010-14 : “Faut-il supprimer les cadeaux de Noël?”.
[2] Analyse rédigée par José Gérard.
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