Analyse 2012-21
On discute depuis vingt ans d’une modification de la loi qui permettrait à la mère de transmettre son nom à l’enfant… Est-ce une question si secondaire qu’aucune proposition n’aie abouti ?
La première chose que nous utilisons pour nous identifier au sein de la société est notre nom. Le nom de famille obtenu par filiation a une très grande valeur symbolique, car il nous rattache à une certaine famille. Le prénom laissé au libre choix des parents permet de s’individualiser.
Traditionnellement, en Belgique, la filiation est prioritairement masculine. Depuis des siècles, l’enfant reçoit le nom de son père, tandis que celui de la mère disparaît, pour autant que l’enfant soit reconnu par le père. Or, si cela peut sembler aller de soi, ces dernières années, une petite révolution a lieu en Europe et dans le monde . En 1978, le Conseil de l’Europe adopte une résolution qui recommande aux gouvernements des Etats membres d’assurer ou de promouvoir l’égalité des époux en droit civil, notamment en ce qui concerne l’attribution du nom de famille. « Au niveau du Conseil de l’Europe, nous enfreignons la résolution 78/37 qui dit clairement que le maintien de systèmes discriminatoires entre la femme et l’homme sur le choix du nom de famille est incompatible avec le principe d’égalité. »
Les législations des pays européens divergent : en Allemagne et au Danemark, on a le choix entre le nom du père ou de la mère, les espagnols portent automatiquement les deux noms de famille (celui du père en première position), tandis qu’au Portugal et, depuis 2005, en France il est possible de donner soit le nom de sa mère, soit celui de son père, soit les deux noms accolés dans l’ordre choisi par les parents . L'Italie, la Suisse et la Belgique sont les seuls pays européens à interdire la transmission du double nom de famille. Ainsi, l’article 335 du Code Civil belge régule l’attribution du nom : si le père reconnait l’enfant avant la naissance ou dans l’acte de naissance, celui-ci portera toujours le nom de père uniquement .
Depuis des années, un débat est ouvert afin de modifier cet article. L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes milite pour que le double nom de famille soit transmis aux enfants belges. « Si on laisse les parents choisir quel nom ils veulent transmette aux enfants –comme en France-, on peut être sûr que la vision traditionnaliste et patriarcale en vigueur depuis des siècles portera les partenaires à choisir automatiquement le nom du père. Une loi ainsi constituée ne répondrait alors qu’à une exigence d’égalité formelle et ce serait, encore une fois, renvoyer à la sphère privée une décision qui est du ressort de la sphère publique, garante de l’égalité entre les sexes. Or au niveau international et européen, on nous demande une égalité effective. L’Institut préconise donc une règle imposant le principe du double nom des parents, le choix de l’ordre des noms étant néanmoins laissé à ces derniers. » Annemie Turtelboom, ministre de la Justice et Joëlle Milquet ministre de l'Egalité des Chances, la Commission Justice du Sénat ainsi que les délégués des droits de l’enfant travaillent également sur la question .
Quels sont les arguments en faveur d’une révision de la loi ?
La discrimination envers les femmes est le principal argument en faveur d’un changement de loi. Comme les femmes ne peuvent transmettre leur nom à leur descendance, les parents sont portés à souhaiter et valoriser davantage les garçons, héritiers de la lignée, seuls garants de la continuité du nom de famille. Une famille sans mâle voit son nom de famille s’éteindre. Il en va de même du choix de garçon en ce qui concerne les adoptions.
La femme devrait être reconnue juridiquement à l’égal de l’homme. Autorisée aujourd’hui à voter, à prendre part à la vie politique, à gérer son argent, l’interdiction de léguer son nom de famille serait une barrière persistante à l’égalité des genres, un instrument du machisme tenace de notre société patriarcale.
Un argument plus pratique concerne les enfants dont un parent est issu d’un autre pays. Il est possible que l’enfant porte un double nom dans ce pays, tandis que sur ses papiers belges un seul nom sera repris. Cette différence pose des problèmes administratifs, une difficulté à prouver son identité.
Pourquoi l’opposition au changement est-elle si vive?
A l’idée de changer le système actuel, les réactions sont vives, particulièrement de la part des hommes qui semblent très mal à l’aise. Se sentiraient-ils menacés ? La femme donnerait la vie, l’homme le nom. La filiation masculine serait un moyen de rétablir un déséquilibre naturel. La femme qui porte l’enfant neuf mois, et qui accouche a par nature un lien maternel très fort. Sa filiation est toute puissante, toute prouvée, indiscutable, charnelle. La paternité est bien moins ancrée socialement, psychologiquement et physiquement. Parler d’égalité ne veut pas dire nier ces différences, femmes et hommes ne sont pas égaux face à la procréation. Donner son nom permettrait ainsi au père de renforcer sa parentalité dans une société où tous les repères familiaux explosent.
Loin d’être un système machiste, il s’agirait de proclamer la filiation entre père et enfant et de confirmer la reconnaissance de cet enfant par le père. Changer cette tradition en donnant le nom de la mère uniquement reviendrait à nier le père.
Selon les sensibilités et les points de vue, la règle patrilinéaire peut être considérée comme un usage historique sans portée universelle et révélateur de notre société basée sur la dichotomie du symbolique pour le père et du charnel pour la mère. Un arbitraire sociétal qui entretient la discrimination des femmes. Il est également possible d’envisager cette tradition de façon positive, renfort de l’intégration du père dans la famille.
Au niveau pratique
Ce débat manifeste-t-il une réelle préoccupation ou n’est-il que le combat de quelques féministes ? La population féminine a-t-elle du mal à vivre cette absence de transmission de nom ? Les réticences à modifier la loi proviennent sans doute d’une peur des hommes de voir les femmes prendre une revanche sur des siècles de noms abandonnés et les évincer du système de transmission du nom. En réalité, on observe que dans les pays tels que la France, où la loi a été modifiée de façon à ce qu’un enfant puisse porter le nom d’un des deux parents quel qu’il soit ou la composition des deux noms, la majorité des parents continuent à donner le nom du père.
Les raisons sont souvent pratiques. Donner un double nom à l’enfant contraint celui-ci par la suite à faire un choix. Il ne pourra en effet en léguer qu’un seul à ses enfants. Il y aura donc décision, éventuellement conflit, loyautés à suivre. Dans un système tel qu’en France, dès la seconde génération, seize noms sont possibles et cela vous laisse avec l’embarras du choix.
Ne donner que le nom de la mère ou du père peut être vu comme une discrimination. Le double nom est une solution à court terme puisqu’un des deux noms disparait lors de la génération suivante. Cependant, les parents peuvent éprouver une plus grande satisfaction à être tous deux représentés à part égale dans le nom de leur propre enfant.
Ceci est la proposition de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. A la différence de la France, ne donner que le nom du père ou de la mère serait impossible. Et à la différence de l’Espagne, ce serait aux parents de choisir l’ordre entre ces deux noms. « En cas de désaccord ou d’absence de choix de leur part, l’ordre pourrait être établi en tenant compte d'une règle tout à fait neutre, comme par exemple le tirage au sort par l’officier de l’Etat civil (ou encore l’ordre alphabétique). A la génération suivante, chaque parent aura un double nom et il devra choisir lequel de ses deux noms il transmet à son enfant. A défaut, c’est le premier nom de chaque parent qui sera donné. Les parents devront aussi se mettre d’accord sur l’ordre des deux noms de leur enfant. A défaut, une règle neutre interviendrait, comme un tirage au sort par l’officier de l’état civil. Tous les enfants de la même fratrie devront porter le même double nom et dans le même ordre. »
Enfin, dans les pays laissant déjà aux parents le choix du nom de famille, les raisons de choisir un nom plutôt qu’un autre concernent soit la consonance du nom : on choisit ce qui sonne le mieux, soit le côté pratique : un prénom composé assorti de deux noms de famille cela devient difficile à faire rentrer dans les formulaires, soit l’envie de perpétuer la tradition, soit l’absence de besoin de prouver l’appartenance d’un enfant qu’elles ont porté pendant neuf mois.
Finalement, tout ce débat permet surtout de s’interroger sur ses liens à sa famille, à son histoire, la place des ainés, la transmission du monde et du savoir. C’est aussi le rapport à l’autre, entre l’homme et la femme, pour penser à la place que l’on veut donner à l’autre dans la parentalité.
Pour Couples et Familles
Pour Couples et Familles, quelques critères devraient être privilégiés dans l’évolution juridique autour du nom de famille.
En deçà de la question juridique, l’essentiel est que les liens avec les deux parents soient effectifs. Il paraît important pour le bien-être de l’enfant que les deux parents s’investissent réellement dans l’éducation de l’enfant et entretiennent avec lui des liens affectifs forts.
D’autre part, dans un contexte sociologique où les liens affectifs se sont fragilisés et où les séparations et recompositions familiales sont plus fréquentes, il semble essentiel de marquer socialement et juridiquement le lien aux deux origines de l’enfant. Le lien avec le père étant le plus fragile socialement, toute nouvelle loi devrait veiller à le garantir. La proposition de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes paraît donc répondre à ces deux nécessités.
Par ailleurs tout changement de la loi devrait aussi veiller à ne pas susciter de nouvelles difficultés pour des situations de parentés particulières, comme les couples homoparentaux ou les couples ayant eu recours à une insémination avec donneur extérieur ou à une mère porteuse. Si l’intérêt de l’enfant est prioritaire, il faut aussi veiller au respect des intérêts de tous les protagonistes, dans des situations que les évolutions sociologiques et scientifiques rendent beaucoup plus complexes que dans le passé .
[1] Michel Pasteels, Directeur de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, dans une interview accordée à Axelle, octobre 2012.
[2] http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F10505.xhtml
[3] http://www.2747.com/2747/law/civil/code/2007/belgique1t7c5.html
[4] http://www.dhnet.be/infos/belgique/article/398245/les-belges-porteront-ils-bientot-un-double-nom.html
[5] http://www.rtl.be/info/belgique/societe/885160/code-civil-un-double-nom-de-famille-pour-tous-
[6] Analyse rédigée par Catherine Bruyère et José Gérard.
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