Analyse 2012-25

Le bleu pour les garçons, le rose pour les filles : au travers de ses magasins de jouets et de ses catalogues, la société véhicule encore de nombreux clichés sexistes. Le jouet est pourtant censé refléter la société dans laquelle nous vivons. Les jeux sont-ils dépassés ? Respectent-ils les codes de la société actuelle ?


Le contexte


Alors que les mentalités évoluent dans la société et que les différences hommes-femmes tendent à s’amenuiser, depuis trente ans, dans les catalogues et magasins de jouets, les différences de genre ne cessent de croitre. Un certain conservatisme pèse sur l’univers du jouet. Jeux de filles et jouets de garçons ont, dans les magasins, chacun leurs rayons, et sont différenciés à grand renfort de codes couleurs : rose pour les fillettes, bleu pour les garçons. La séparation des deux univers ludiques est flagrante et semble constituer une véritable règle marketing : aucun magasin ne déroge à la règle.


En renforçant les stéréotypes de genre au travers de ses magasins de jouets, la société donne en fait le sentiment de construire non pas des enfants – mais des filles et des garçons. Comme si l’un et l’autre provenaient de deux planètes différentes. Ce conservatisme est, en fait, relativement récent : il a commencé à se développer dans les années 90.


Le rôle du jouet


Le jouet est le reflet de la société. Il prépare les enfants au monde dans lequel ils vivront demain. Les fabricants de jouets s’adaptent ainsi aux habitudes sociétales et font évoluer leurs produits au même rythme que la société. Le jouet n’est donc pas un simple objet de consommation : il contribue à la construction des rapports familiaux et fait partie intégrante de la culture qui se transmet de génération en génération.


Avant 4 ans


Avant 4 ans, les jouets intéressent indifféremment les deux sexes. Il n’y a pas vraiment de distinction. Jusqu’avant 3 ans, les enfants n’ont pas conscience d’être fille ou garçon. La petite enfance est une période durant laquelle les petits explorent tous les possibles et s’intéressent donc aussi bien aux voitures qu’aux poupées.
Durant cet âge, les psychologues conseillent ainsi aux parents de proposer une large palette de jeux à leurs enfants, pour les laisser tester différentes expériences. En les laissant aller vers ce qui les intéresse, les enfants satisfont leur curiosité et leur soif d’apprendre. Ceci même si le jeu est originellement – et surtout dans l’esprit des fabricants de jouets – destiné à l’autre sexe.


De 4 à 6 ans


Les enfants commencent à jouer avec des jeux différents : les intérêts se différencient. Les garçons sont plus attirés par les valises de bricoleur et les voitures téléguidées. Les filles s’amusent avec des maisons de poupées et des vêtements de princesse. La manière de jouer change aussi. Les fillettes jouent à « faire semblant » tandis que les garçons s’adonnent à des jeux d’action. Alors que les filles jouent beaucoup à table, les garçons ont besoin d’espace.


Après 6 ans


Après 6 ans, l’écart se creuse encore. Avec l’entrée à l’école primaire, garçons et filles se retrouvent de moins en moins pour jouer ensemble. Les filles se retrouvent entre elles et bricolent, inventent des histoires et confectionnent des bijoux. Les garçons privilégient les jeux vidéo et le sport : ballons et vélos récoltent leur faveur.
Bien entendu, cette règle ne se vérifie pas chez tous les enfants. Tout dépend de la personnalité de l’enfant et de l’éducation qu’il a reçue de ses parents.


L’influence des parents


Les enfants imitent beaucoup leurs parents. Ce qu’ils voient chez eux dans la vie de tous les jours se reflète dans leurs jeux, et par conséquent, dans le choix de leurs jouets. Ceux-ci permettent à l’enfant d’imiter son père et sa mère pour apprendre ce qu’il deviendra à son tour lorsqu’il sera adulte. Les parents sont, en fait, les premiers à véhiculer et à inculquer à leur enfant les stéréotypes de genre.


Bon nombre de parents sont inquiets lorsqu’ils constatent que leur enfant s’intéresse aux jouets destinés à l’autre sexe. Le malaise et la pression sont forts, surtout pour les petits garçons. Pour beaucoup d’adultes, offrir une Barbie à un petit garçon paraît impensable. Quand une fille s’intéresse aux jeux de construction, aux petites voitures ou aux trains électriques, les parents peuvent être surpris, mais ils le sont moins que pour leurs fils. L’inquiétude des parents peut, en fait, être expliquée par la peur qu’ils ont de voir leur fils devenir homosexuel. Car le mythe persiste : de nombreux parents pensent que l’éducation qu’ils donnent à leur enfant, et les jouets qu’ils mettent à sa disposition feront – ou ne feront pas – de lui un homosexuel.


Voilà pourquoi les petits garçons n’ont pas accès aux jeux des filles. Ils doivent satisfaire les attentes socio familiales. Les jeux de filles ne leur sont permis que sous certaines conditions : ils doivent avoir une sœur et jouer avec ces jouets dits « féminins » de façon virile.


Le jouet dans les catalogues


Les catalogues de jouets contiennent quelques pages neutres : jeux de société, jeux vidéo. Les 2/3 restants sont consacrés à la différenciation des pages filles et des pages garçons.


Ces catalogues jouent énormément sur la différenciation des genres.

 

  1. Les codes couleurs se sont imposés avec une véritable force : bleu pour les garçons, rose pour les filles. La demande des parents est très forte. Il est aujourd’hui impossible d’imaginer, dans un catalogue de jouets, un petit garçon jouant sur son atelier de bricolage, sur fond rose. Ceci était pourtant possible – et ne choquait personne – au début des années 90.
  2. Dans les catalogues de jouets, les photos de petits garçons sont beaucoup plus présentes que les photos de petites filles. Dans le Catalogue Carrefour de 2010, par exemple, on retrouvait 29 garçons pour 8 filles.
  3. Les polices de caractère sont également étudiées, et sont différentes pour chacun des deux sexes. Pour les garçons, une écriture italique et typographique style machine à écrire est utilisée. Elle évoque la vitesse et la technique. Pour les fillettes, les polices sont arrondies. Elles évoquent la douceur et l’amour. Il n’est pas rare de trouver des cœurs à la place des points sur les i.
  4. Les argumentaires viennent également renforcer l’attribution du jouet à l’un des deux sexes. Un exemple : « Mon détecteur de secrets : un jeu réservé aux filles avec détecteur de secrets qui révèlera qui est honnête ou menteuse. » 


Infirmières et pompiers


Dans les catalogues, les professions représentées sont toujours hyper sexualisées. Les petites filles se transforment en infirmières, mannequins ou femmes de ménage. Les petits garçons sont médecins, pompier ou ouvrier.


Si dans la vraie vie, les filles ont droit à toute scolarité, peuvent obtenir le permis voiture, camion, et même piloter un avion, si elles peuvent devenir ingénieurs, chefs de chantier, policiers, pompiers, maçons, plombiers, la socialisation qui passe par les jouets les replonge régulièrement dans des rôles et des fonctions secondaires, subalternes, domestiques ou très féminisées. De plus, même si les pères s’occupent des enfants ou vivent en familles monoparentales, les filles seulement sont sans cesse raccrochées aux bébés et aux enfants, les poupons leur mettant en tête qu’un jour elles seront mères. Au risque d’être méprisés pour efféminement, les garçons sont éloignés de tous ces rappels des tâches domestiques et poussés vers l’aventure, la guerre, la protection et la défense .


Le jouet : reflet de la société


L’égalité hommes-femmes est encore loin d’être atteinte. Certes, l’égalité citoyenne entre hommes et femmes est acquise. Grâce à la contraception, les femmes ne sont plus contraintes de suivre le schéma traditionnel : mariage – foyer – épouse – mère. Aujourd’hui les femmes votent, occupent des postes de premier plan. Elles ont démontré leur compétence et de leur efficacité dans les secteurs qui étaient traditionnellement réservés aux hommes. Mais les inégalités restent pourtant encore présentes. Les femmes sont payées entre 7 et 12 % de moins que leurs homologues masculins , à travail égal et à diplôme égal. Les professionnels du jouet savent que la société est encore largement inégalitaire. Au travers des jouets, les enfants imitent ce qu’ils ont sous les yeux : la réalité des ménages est mise en avant. Et dans de nombreuses familles, c’est encore maman qui fait les courses, le ménage, et qui prépare à manger. Les fabricants de jouets s’adaptent, en fait, à cet état de fait.


Quelques initiatives positives


Heureusement, certaines initiatives viennent éclaircir la noirceur du tableau. Cette année, les magasins Super U ont édité un catalogue de jouets « dé-genrés », suite à de nombreuses plaintes de parents. Ces derniers trouvaient les catalogues trop sexistes. Le catalogue des magasins Super U a donc désexualisé les jouets. En feuilletant le magazine, on aperçoit une fillette qui s’amuse avec une voiture téléguidée et un petit garçon jouer à la dinette. Les clichés sexistes ont été inversés.
La Grande Récré, qui mène une réflexion sur le sujet depuis 10 ans déjà, a mis en vente un aspirateur neutre. Auparavant de couleur rose, il est aujourd’hui proposé en orange.


Lego a également commercialisé cette saison un kit de construction destiné aux filles . Si quelques clichés persistent encore (les couleurs des légos sont pastel, les formes des personnages ont été arrondies), les phrases imprimées sur la boîte mettent en avant l’esprit pratique et bricoleur, ce qui est rare sur les jeux dits « féminins » : « Au travail », « Résolvons ce problème. »


Conclusion


Les catalogues et la disposition des rayons dans les magasins de jouets renvoient encore à de vieux clichés sexistes : les femmes à la maison, les hommes à l’extérieur.


Pour Couples et Familles, les catalogues pour enfants devraient privilégier les pages thématisées et unisexes. Un peu comme sont organisés les livres pour enfants en libraire.


De plus, il est important de laisser l’enfant exprimer ses intérêts. L’interdiction catégorique est souvent inutile : elle suscite souvent une curiosité plus grande encore. Il paraît indispensable de permettre aux petits de découvrir le monde selon différentes perspectives. La pression de la société ne doit pas être un obstacle à la découverte de l’identité, des valeurs et des talents d’un enfant, quel que soit son sexe. Autoriser l’enfant à jouer avec ce qui l’intéresse lui permet de vagabonder dans son imaginaire, loin des clichés de la société.


En se glissant dans la peau de différents personnages (une fillette qui se déguise en pompier, un petit garçon qui se déguise en princesse) l’enfant se met dans la peau de l’autre et apprend à le comprendre. Ses relations futures n’en seront que plus riches.


En outre, face aux pressions sociales et culturelles sexistes, le rôle des parents s’avère capital. C’est dès le plus jeune âge de l’enfant que ses parents peuvent d’une part porter avec lui un regard critique sur les images proposées par la société, éviter de renforcer encore ces images en magnifiant la « petite princesse » ou les jeux « virils », mais surtout en lui donnant l’image d’adultes qui, au quotidien, ne se laissent pas enfermer dans une répartition des tâches sexuée et rigide .

 


[1] http://www.enseignons.be/actualites/2010/12/09/attention-jouets-sexistes-noel/
[2] http://www.enseignons.be/actualites/2010/12/09/attention-jouets-sexistes-noel/
[3] http://www.slate.fr/story/66307/jouets-fille-garcon-fin-sexisme-stereotype-genre
[4] Analyse rédigée par Isabelle Bontridder

 

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