Analyse 2012-27
Dix ans après la Belgique, la France se prépare à accorder le droit au mariage aux couples homosexuels. Mais ce projet provoque des affrontements parfois violents.
En Belgique, lorsqu’il fut question d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels, il n’y eut pas vraiment polémique. Des débats, certes, des prises de position pour ou contre, mais c’était plutôt des échanges d’arguments entre juristes ou psychologues. L’Eglise catholique avait manifesté son opposition, mais avec une certaine réserve. Bien loin des grandes manifestations qui se déroulent en France et de la virulence de certaines prises de position. Le sénateur Serge Dassaut a ainsi déclaré : « L’homosexualité est un véritable danger pour l’ensemble de la nation. C’est l’arrêt de la famille, c’est l’arrêt de l’éducation. » Pour Christine Boutin, présidente du parti chrétien-démocrate : « Ce projet est gravissime. Il s’agit d’un changement de civilisation car toutes les sociétés sont fondées sur la différence des sexes. » Pour l’archevêque de Paris André Vingt-Trois : « Le mariage homosexuel est une supercherie qui ébranlerait un des fondements de la société et instaurerait une discrimination entre les enfants. » Alain Escada, le responsable de Civitas, une association qui a organisé une des manifestations qui a vu des heurts violents avec les militantes féministes de Femen, est même allé jusqu’à dire que « Le mariage homosexuel, c’est la boite de Pandore qui va permettre que d’autres revendiquent le mariage polygame ou le mariage incestueux. »
Le mariage gay en Europe
Le débat n’est pourtant pas nouveau en Europe et de nombreux pays ont modifié leur législation pour éviter que les couples gays ne subissent des discriminations. Différentes pistes ont été suivies par les différents pays. En général, les législations des pays de l’Ouest de l’Europe sont plus libérales que celles des pays de l’Est et les évolutions se sont généralement produites lorsque ces pays étaient sous des gouvernements de gauche.
À l’heure actuelle, onze pays européens autorisent les personnes de même sexe à se marier, dont huit pays membres de l’Union Européenne, de même que deux autres pays qui l’accordent sur une partie de leur territoire. C’est depuis le début du vingt-et-unième siècle que les lois ont été votées. Le premier pays à avoir adopté une telle loi est les Pays-Bas (2001), suivi par la Belgique (2003), puis l’Espagne (2005), la Norvège et la Suède (2009), le Portugal et l’Islande (2010) et tout récemment le Danemark (2012).
Certains pays n’ont pas ouvert le mariage aux personnes de même sexe mais ont mis en place une formule d’union ou de partenariat civil. Le premier pays à avoir instauré le partenariat est le Danemark en 1989. La France a mis en place en 2000 un pacte civil de solidarité, plus communément appelée PACS. Le terme « pacser » est d’ailleurs entré depuis dans le langage courant. L’Allemagne a accordé en 2001 un contrat de vie commune. Les couples homosexuels jouissent ainsi des mêmes droits que les personnes mariées, sauf en ce qui concerne l’adoption et la fiscalité. D’autres pays ont suivi : le Royaume-Uni (2004), la République Tchèque (2006), la Hongrie (2007), le Luxembourg (2010), la Finlande (2010), la Slovénie (2010), l’Irlande (2010) et l’Autriche (2010).
Il reste néanmoins quelques pays qui refusent toute reconnaissance à l’union entre les personnes de même sexe : l’Italie, la Grèce, Chypre, Malte, la Slovaquie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Roumanie, la Bulgarie et la Pologne.
Pourquoi (pas) le mariage
Pourquoi certains s’opposent-ils au mariage des couples de même sexe ? La première raison est sans doute une résistance naturelle au changement, un certain conservatisme. Mais la virulence de certaines invectives entendues lors des manifestations en France laisse supposer qu’une bonne part d’homophobie est à l’œuvre. La haine des homosexuels existe bel et bien et motive certains à aller jusqu’au crime. Le meurtre d’un homosexuel a encore eu lieu l’été passé dans le parce d’Avroy à Liège et, en mai de la même année, c’était le corps sans vie d’Ishane Jarfi qui était retrouvé dans un champ entre Nandrin et Modave. Il avait été roué de coups par quatre personnes. Qu’il s’agisse de conservatisme ou d’homophobie, les deux motivations sont plutôt d’ordre affectif et irrationnel.
Parmi les raisons plus argumentées, beaucoup d’opposants n’acceptent pas que l’on donne le même nom à deux réalités qui leur semblent tout à fait différentes. D’accord pour reconnaître socialement l’union entre deux personnes de même sexe, pour garantir les droits de ces personnes, mais sans parler de mariage, qui implique selon eux l’union d’un homme et d’une femme, ouvrant ainsi à la capacité reproductive. Pour ces opposants, les motivations peuvent d’ailleurs être d’ordre juridique, psychologique ou religieux.
Pour d’autres encore, ouvrir le mariage aux personnes de même sexe, cela signifie que l’adoption par des couples homosexuels suivra, et ils voient là un danger majeur que l’on ferait courir aux enfants concernés. Vivre avec deux hommes ou deux femmes perturberait obligatoirement les repères de ces enfants, leur capacité à se construire leur propre identité.
Enfin, pour certains, aller dans cette voie est un pas de plus vers la décadence de la société occidentale. L’ouverture du mariage aux homosexuels saperait les bases de la société. Ainsi, pour Mgr André Vingt-Trois, qui préside la conférence des évêques de France : « Imposer, dans le mariage et la famille, où la parité est nécessaire et constitutive, une vision de l’être humain sans reconnaître la différence sexuelle, serait une supercherie qui ébranlerait un des fondements de notre société et instaurerait une discrimination entre les enfants. » Ce dernier a ensuite précisé ses propos : « Ce serait une supercherie de faire croire aux enfants que deux parents d’un même sexe pourraient les avoir engendrés. »
L’argumentaire des personnes favorables au mariage gay repose davantage sur la revendication à l’égalité. Si les personnes homosexuelles jouissent de droits égaux aux autres, ils doivent pouvoir non seulement voir leurs unions reconnues, mais jouir également des droits qui sont liés au mariage : pouvoir faire profiter leur compagnon ou compagne du statut de protection complémentaire dans les soins de santé, avoir une autorité légale sur le ou les enfant(s) de leur concubin(e), jouir des mêmes droits en termes de fiscalité et d’héritage, bénéficier de jours de congé en cas du décès de leur partenaire, etc.
Frank Riester, député UMP, déclarait ainsi : « J’entends et je respecte celles et ceux qui s’opposent à cette proposition de loi. Mais, dans notre République laïque qui, dans son histoire a toujours fait de l’égalité des droits entre les citoyens un principe cardinal, accorder aux couples de même sexe le même droit – celui de se marier – qu’aux couples de sexe différent, n’est-ce pas donner toute sa force à ce mot que l’on retrouve écrit sur le fronton de nos mairies : égalité ? » .
À ceux qui craignent pour l’avenir des enfants, ils rétorquent que les premières études montrent que les enfants élevés par des couples homosexuels ne connaissent pas plus de perturbations que les autres et que les personnes de même sexe s’investissent souvent avec plus de sérieux dans l’éducation de leurs enfants en raison de la difficulté qu’ils rencontrent pour accéder à la parenté.
Les parents de personnes homosexuelles sont souvent en première ligne pour la défense des droits des homosexuels, sans doute parce qu’ils connaissent ce que représente le combat parfois long de leurs enfants pour se voir acceptés et reconnus, ainsi que leurs aspirations à pouvoir devenir parents, malgré une orientation sexuelle particulière qu’ils n’ont pas choisie. Ainsi, Xavier Couture, le directeur général de France Télécom, père d’une enfant homosexuelle, déclarait ceci : « Ma fille ne me dit pas grand-chose sur elle-même. Du fait de ma drôle de génération, elle en sait beaucoup plus à propos de ma vie sentimentale que je n’en sais à propos de la sienne. Du fait de sa drôle de génération, elle vit son homosexualité de façon libre, pudique, c’est son tempérament, et engagée, c’est son tempérament aussi. En ce moment, je sais que ma fille s’étonne, et je m’étonne avec elle, qu’on oppose soudain si peu de laïcité aux interventions bruyantes et choquantes de l’Église catholique et de ses adeptes les plus intégristes dans un débat qui ne les concerne en rien. En ce moment, elle s’étonne, et je m’étonne avec elle, qu’on puisse envisager d’accorder le mariage et l’adoption aux couples homosexuels sans droit à la PMA, pourtant autorisée aux couples hétérosexuels stériles. En ce moment, je sais qu’elle s’indigne, que tous s’indignent, se sentent blessés, insultés. Et je m’indigne avec eux. »
En conclusion
Pour Couples et Familles, les questions et les arguments qui sont avancés en France sont fort semblables à ce qui s’est passé en Belgique avant l’adoption de la loi en 2003. Une délégation de parlementaires français est d’ailleurs venue en Belgique pour s’inspirer de ce qui s’y était fait et comprendre pourquoi cela s’était passé sans heurts. Il faut en effet constater que les désastres annoncés par certains suite à l’adoption de la nouvelle loi ne se sont pas produits.
Si la loi permet depuis 2006 aux couples de même sexe d’adopter un enfant, ce n’est pas pour autant que cela s’est vérifié dans la réalité. En communauté française, seuls 5 couples ont ainsi pu accéder depuis à l’adoption. Les organismes d’adoption internationale sont confrontés au véto de nombreux pays et s’interdisent parfois eux-mêmes d’en faire la demande de peur de se déjuger auprès de ceux-ci, et assez peu d’enfants sont adoptables en Belgique. La priorité est donc le plus souvent donnée aux couples hétéros, ce qui équivaut à écarter les couples homosexuels. Dans la pratique, pas mal de couples homosexuels élèvent un ou des enfants, soit obtenus par insémination artificielle lorsqu’il s’agit de couples de femmes, soit par mères porteuses pour le cas d’hommes, sans oublier ceux qui avaient connu un épisode de couple hétéro auparavant et avaient eu un ou des enfants. En général, les enfants qui vivent dans ces couples ne semblent pas présenter de difficultés particulières et la tolérance plus grande qui s’installe petit à petit les rend moins sujets à des moqueries de la part des autres enfants. Les recherches historiques et anthropologiques montrent que certaines sociétés ont fonctionné avec des modèles de prise en charge de l’éducation des enfants très différents du modèle traditionnel sans que cela pose problème. Il s’agit surtout d’une question de culture et de reconnaissance par les autres de la valeur des liens créés.
La question des droits sociaux (soins de santé, héritage, etc.) trouve dans le mariage une solution égalitaire qu’il faut préserver. Quant à la question d’une autre appellation pour ces unions d’un type particulier, elle relève d’une vision parfois un peu curieuse. Les mots ont-ils un tel pouvoir qu’employer deux appellations différentes préserverait la stabilité de la société ? Reconnaître à deux personnes de même sexe le droit de se marier implique-t-il la non reconnaissance de la différence sexuelle ? Certains le pensent, mais c’est sans doute une vision des Lois qui appartient au passé, quand elles se voyaient attribuer la mission de dire les valeurs communes d’une société. Aujourd’hui, elles jouent surtout le rôle de garantir les droits des individus. Cela change évidemment de manière assez fondamentale la conception de la société qui en découle et de son rôle normatif, mais est-ce pour autant que cela en sape les bases ?
[1] Dernier inventaire avant le mariage pour tous, Gaëtan Duchateau et Florent Guerlain, Editions stock, 2012.
[2] Analyse réalisée par José Gérard.
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