Analyse 2012-34

Dans une situation où les moyens financiers, en particulier ceux qui sont destinés à la prise en charge des coûts liés à la santé, sont limités, les idées d’économies sont multiples. Certains imaginent ainsi conditionner les remboursements aux bonnes pratiques adoptées ou non par les malades. Est-ce vraiment une bonne idée ?


Le débat réapparait régulièrement, en particulier lorsqu’il s’agit de faire des économies budgétaires : ne faut-il pas « responsabiliser » les malades et lier certains remboursements de soins aux efforts qu’ils font dans leur vie quotidienne. Le débat a refait surface début 2012 avec la publication dans le journal De Morgen d’un article du célèbre cardiologue flamand d’origine catalane Pedro Brugada. Il y déclarait « Si des fumeurs après une opération cardiaque continuent de fumer, est-il normal d’encore rembourser les soins après ? » Pour lui, il faut axer tous les moyens sur la prévention et arrêter une attitude qu’il considère de « je m’en foutisme ».
Les mutuelles ont évidemment réagi rapidement. Du côté des Mutualités chrétiennes flamandes, le président Marc Jutsaert réagissait dans le même journal en considérant que la question se devait d’être posée. Il refusait cependant d’en faire une règle, en estimant qu’il fallait se limiter aux cas les plus flagrants. Du côté de la Mutualité socialiste, Jean-Pascal Labille préfère quant à lui la piste de la prévention, de l’information et de l’éducation du patient. « Le non remboursement est une fausse piste pour faire des économies. Et, de toute façon, l’accès universel aux soins de santé est prévu. Il faut absolument le préserver ! »


Pour Philippe Mayné, secrétaire général des Mutualités neutres, il faut être très attentif aux dérives que pourrait provoquer un tel système restrictif. « On commence avec le tabac. Puis l’excès de poids. Puis les personnes âgées. Et on arrivera où ? On peut penser à ceux qui consomment de l’alcool, des drogues, qui prennent des risques pour leur cholestérol en mangeant des hamburgers. Ou encore le Viagra, tiens. Ce n’est pas toujours recommandé pour le cœur… Et le ski ? Et le saut à l’élastique ? On se pose déjà la question de savoir si ça vaut bien la peine de placer une prothèse de la hanche à une personne âgée. Pour moi, c’est un débat inacceptable. On se base sur des jugements moraux. Et comment évaluer tout ça ? On va installer une police spéciale, peut-être ? Les gens vont commencer à mentir pour se protéger. C’est une logique qui va très loin, une pensée presque totalitaire. »


La Belgique n’a pas le monopole de ce genre de débat. Récemment encore (avril 2012), le gouvernement hongrois a décidé de punir les diabétiques qui ne suivaient pas scrupuleusement leur régime en les privant des traitements subventionnés. Désormais, les diabétiques doivent se soumettre tous les trimestres à un test sanguin spécifique visant à contrôler leur consommation d’hydrates de carbone. S’ils sont pris en défaut à deux reprises dans l’année, en clair si leur taux de glucose a augmenté au-delà des valeurs fixées par le décret, les patients concernés se verront refuser l’accès aux médicaments les plus efficaces (insuline analogue) et devront se contenter des traitements à base d’insuline humaine, moins performants, et provoquant davantage d’effets secondaires. De plus, ils devront payer plus cher pour leur traitement, dont la part subventionnée par l’Etat va se réduire. Des médecins spécialistes avaient alors protesté en affirmant qu’il était révoltant de pénaliser des malades, qui sont souvent de bonne volonté, mais n’ont pas toujours les moyens de se payer une alimentation diététique conforme à leur régime.


Une fausse bonne idée ?


Dans le journal mutuelliste En Marche du 16 février 2012, la secrétaire nationale Alda Greoli appelait à se méfier des idées simples qui sont souvent de fausses bonnes idées. Elle rappelle que nous ne sommes pas égaux devant la maladie. La maladie ne touche pas de la même manière tous les humains. « Le niveau d’enseignement, de revenus, la qualité du logement ou de l’insertion sociale (qui passe autant par le travail que par les loisirs) influent grandement. Nous ne sommes pas égaux face aux facteurs déterminants de la santé. » À l’appui de cette affirmation elle signale que, pour les soins dentaires préventifs pour les enfants et les jeunes âgés de moins de dix-huit ans, le recours aux soins passe du simple au double selon le niveau de scolarité des parents. Pourtant, ces soins sont gratuits pour les moins de dix-huit ans. Dans une étude récente de Couples et Familles , Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur, relevait également les inégalités face à la santé : « Tout indique que les personnes qui vivent dans la précarité pendant une longue période ont une espérance de vie manifestement plus courte que les autres. Tout le monde a gagné un peu d’espérance de vie et un peu d’espérance de vie en bonne santé, mais l’écart entre l’espérance de vie des riches et des pauvres ne diminue pas et a même tendance à augmenter un  peu. Cela, c’est un sandale ! »


Des politiques qui visent à responsabiliser le patient face à sa maladie risquent donc de peser bien plus lourd sur les individus les plus faibles psychologiquement et socialement, ce qui ne serait qu’une injustice supplémentaire.


Et pourtant, n’est-ce pas déjà le cas ?


Ce qui est sans doute choquant dans cette idée, c’est qu’elle s’applique dans le domaine des remboursements de soins de santé, secteur assez emblématique des conquêtes populaires. Si les mutuelles se sont développées, c’est d’abord parce que des travailleurs ont constitué des cagnottes pour faire  face aux accidents ou maladies d’un des leurs qui se trouvait ainsi écarté du travail et donc de revenus pour sa famille. Tout cela s’est bien sûr depuis structuré avec l’aide de l’Etat, mais le principe de collectivisation des risques reste le même. L’idée très libérale de faire reposer sur l’individu tout le poids de la gestion de sa santé apparaît donc assez choquant pour ceux qui se reconnaissent dans les combats populaires.


Par ailleurs, il faut aussi être réaliste et se rendre compte qu’une telle pression sur les individus existe déjà dans d’autres secteurs de l’assurance, commerciaux cette fois. Les jeunes paient plus cher leur assurance auto, le coût d’une assurance vie augmente en fonction de l’âge et des antécédents de santé, etc. Il s’agit donc bien ici d’une volonté de calquer le modèle commercial et libéral sur le secteur des soins.


Dans le secteur médical lui-même, la nécessité de faire des choix existe déjà. Les enveloppes fermées pour les hôpitaux, l’agréation ou non de certains traitements par l’Inami, etc. limitent déjà de facto l’accès à certains traitements. Et des critères de choix doivent aussi se mettre en œuvre face à la rareté, comme par exemple pour des transplantations d’organes. On voudrait pouvoir tout faire pour venir en aide à un malade, mais la réalité veut que les moyens financiers et humains sont limités.


La prévention et l’éducation


Dans un contexte de rareté, les pistes les plus prometteuses sont sans doute du côté de la prévention et de l’éducation. Elles ont un effet budgétaire peut-être moins immédiat et médiatisable,  mais elles sont à long terme. Ainsi, la diminution des campagnes anti-tabac, suite à la réduction des subventions, a été accompagnée par une nouvelle augmentation du nombre de fumeurs, en particulier parmi les jeunes.


La prévention ne peut non plus se faire uniquement par des campagnes publicitaires. Il faut aussi accompagner ceux qui n’ont peut-être pas la bagage culturel pour en mesurer l’importance, ni les moyens pour y répondre. Dans une étude récente , Couples et Familles faisait remarquer que, quelle que soit la conscience des personnes de l’utilité d’adopter une alimentation saine et équilibrée, lorsque le budget nourriture est très serré, les pizzas industrielles en promotion reviennent vite sur la table.


Il faudrait donc surtout développer des politiques de prévention, de sensibilisation et des actions de terrain qui permettent d’agir au mieux sur sa santé et sur celle de son entourage, familial par exemple. Il est évident qu’il est souhaitable que chacun puisse devenir le propre acteur de sa santé et que cette capacité est déterminante sur le pronostic de santé. Mais il ne suffit pas de le décréter pour que cela devienne effectif. En pénalisant ceux qui s’en montrent incapables, on ne fait souvent qu’ajouter une injustice à bien d’autres .

 


[1] Philippe Defeyt, Quand maladie et précarité sont liées, in Quand la maladie survient, Dossier NFF n°100, juin 2012.
[2]La tyrannie du bien manger, Dossier NFF 101, septembre 2012.
[3]Analyse rédigée par José Gérard.

 

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