Analyse 2013-09

  Le mouvement des activistes féministes de Femen est parvenu à attirer l'attention sur ses actions. Si les objectifs poursuivis peuvent être partagés par Couples et Familles, on peut néanmoins s'interroger sur la manière de les atteindre.

 

 

Il faudrait vivre en ermite, avec la ferme et imperturbable volonté de ne rien savoir du monde, pour ne pas savoir qui sont et que font les Femen. Leurs récents démêlés avec la justice tunisienne ont suffisamment défrayé la chronique, de sorte qu’il ne faut même pas revenir sur un arrosage archiépiscopal en Belgique pour savoir de quoi et de qui l’on parle.


Qu’importe ici l’origine de leur histoire, de même que des jugements que nous pouvons porter sur les actions qu’elles ont menées à ce jour. Elles se sont affirmées et ont fait des émules à travers le monde, pour des causes et par des démarches dont certaines peuvent être appréciées et d’autres considérées avec réserve. Il n’entre pas dans les intentions de Couples et Familles de faire le tri des actions de ces militantes dont, à tout le moins, il faut reconnaître l’audace et la détermination.


« Si ton œil te scandalise… »

 

Qu’on ne se méprenne pas : Couples et Familles ne prend pas non plus la parole pour s’offusquer de l’exhibition des seins nus de ces dames et demoiselles. Le moyen qu’elles ont choisi pour se faire entendre et faire parler d’elles, serait-il du plus mauvais goût aux yeux de certains, n’en a pas moins atteint, plus qu’espéré peut-être, son objectif.

 

Pas question dès lors dans nos propos de décence ou de pudeur : chaque culture et chaque époque ont eu leurs certitudes sur ces questions, certitudes souvent même légiférées. Les juges tunisiens l’ont bien fait savoir. S’il existe des plages naturistes dans nos pays, il ne risque pas d’y en voir prochainement dans pas mal d’autres pays au monde.

 

« Si ton œil te scandalise, arrache ton œil » dit l’Evangile de Matthieu (5, 29). Lorsque Jésus de Nazareth a prononcé ces mots, se pourrait-il que ce soit dans la même conversation que celle au cours de laquelle il aurait répondu à ses disciples qui lui demandaient : « Quand te manifesteras-tu et te contemplerons-nous ? » – « Quand vous vous dévêtirez sans avoir honte » [1]. Tenons-nous en là sur ce chapitre.

 

Réveiller le féminisme ?

 

Mais alors, pourquoi les Femen ? Le féminisme se serait-il à ce point affadi à leurs yeux pour qu’elles se lancent ainsi dans des démarches de provocation qui attirent à elles des réactions souvent violentes ? Estiment-elles que dans les jeunes générations, les filles et les femmes qui, dans la plupart des pays du monde occidental, bénéficient des fruits des combats féministes d’hier, se sont endormies sur les lauriers des luttes gagnées par leurs aînées, au point de croire que tout est acquis définitivement et pour toutes les femmes de par le monde ?


Si telle était leur conviction et, en conséquence, leur volonté de réveiller les consciences et de relancer la machine, cela ne validerait pas pour autant tous les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Il serait aveugle toutefois de ne pas leur donner raison.


Même dans nos pays, l’égalité entre femmes et hommes, si elle est garantie et même imposée par les lois en certains points, n’est pas réelle. Les inégalités de fait sont nombreuses encore. Les rhizomes du chiendent du sexisme et des situations inégalitaires d’hier, mais aussi d’aujourd’hui, malgré les lois, sont loin d’avoir été éradiqués de toutes les mentalités.


Pour ce qui est du reste du monde, dans bien des régions encore, il est préférable de naître garçon que de naître fille… quand les fœtus et les nouveau-nés de sexe féminin ne sont pas purement et simplement supprimés lorsque la pauvreté, voire la loi, obligent les couples à n’avoir qu’un enfant.


Sur le fond, nous partageons leur engagement


Femen, soyons donc clair, nous pouvons partager les raisons de votre engagement. Depuis ses origines en effet, et même si cela a été le plus souvent en termes d’éducation permanente à destination de son public et de ses lecteurs, l’association Couples et Familles s’est efforcée et s’efforce de promouvoir cette égalité de toutes et de tous à pouvoir choisir leur voie dans tous les domaines. Les droits fondamentaux de chaque être humain doivent l’être de manière égalitaire.


Il ne s’agit pas de prétendre que la femme et l’homme sont des êtres identiques, mais d’affirmer que chaque être humain, homme ou femme, est un être unique et différent de tout autre, et que c’est dans le respect de cette différence que ses droits doivent lui être reconnus et garantis.


La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) [2] affirme dans le premier paragraphe de son préambule qu’elle considère « que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Elle en conclut dans son article premier que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Nous ne disons pas autre chose.


Des « Antigones » pourtant


Toutes les personnes de sexe masculin n’en sont malheureusement pas convaincues. Même pas toutes les femmes d’ailleurs. Dernière manifestation de ce constat, l’émergence en France du mouvement des Antigones. Ce mouvement se définit comme un simple « rassemblement », né toutefois en réaction aux Femen qu’il affirmait être un mouvement liberticide. Aux yeux des Antigones, le mouvement des Femen porte atteinte à la liberté d’expression et interdit le dialogue, parce qu’il porte atteinte à la liberté de culte.


Dans son manifeste publié depuis, on peut lire [3] :

Les Antigones sont un rassemblement de femmes qui ont décidé de ne plus subir. Ce rassemblement est sans subordination partisane ou confessionnelle. Nous ne prétendons pas représenter toutes les femmes : nous sommes de celles qui veulent entrer dans l’Agora pour intervenir dans le débat public et agir socialement.

Nous ne nous reconnaissons pas dans la vision que nous impose l’idéologie ultra-minoritaire, mais dominante dans les sphères médiatique et politique : théorie du genre et sextrémisme.

Si la première action des Antigones était une insurrection contre les Femen, s’opposer à elles n’est pas notre finalité. Nous voulons prendre une part active aux débats autour de questions qui touchent à la condition féminine : relations hommes-femmes, famille, conditions de travail, quotas et parité, marchandisation des corps et de la vie…


Si elles ont affiné leurs intentions dans leur manifeste, ce que les Antigones affirmaient dans un premier temps, c’est de vouloir tenir leur rôle dans les débats actuels et, disaient-elles, « de ne pas laisser le monopole de la parole aux féministes ». Elles refusaient d’être considérées comme conservatrices mais tenaient à affirmer clairement, ce qu’elles reprennent tout aussi fermement dans leur manifeste, que : « vouloir bâtir un avenir digne pour nos filles et nos fils, à l’heure où la théorie du genre est imposée dans nos écoles, c’est être révolutionnaires ».


Par où souffle ce vent ?


Sans analyser en détail ces déclarations, il n’échappera à personne qu’à côté d’affirmations que le féminisme a aujourd’hui rendu presque comme allant de soi dans nos pays, c’est aux féministes, toutes ramenées sans doute aux Femen, que ce mouvement ne veut « pas laisser le monopole de la parole ».


Par ailleurs, ces déclarations charrient des prises de position nettement dans la ligne, et parfois dans les mêmes termes, que celles qui ont fleuri dans les manifestations de droite et d’extrême droite que la France a connues récemment contre la promulgation d’une loi introduisant une possibilité de mariage pour tous [4]. A souligner particulièrement l’affirmation selon laquelle « c’est être révolutionnaires – de prendre la parole sans doute, car la déclaration ne le précise en rien – à l’heure où la théorie du genre est imposée dans nos écoles ».


Dans l’analyse antérieurement publiée sur ce dernier thème, et même si l’on tient compte du fait que le terme « genre » a peu à peu intégré la perception du fait que, bien qu’elles soient nées filles ou garçons, des personnes se sentent appartenir plus au sexe biologique opposé au leur, Couples et Familles a rappelé que c’est l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui a précisé que :

Il est parfois difficile de comprendre exactement ce que l’on entend par le terme « genre » et comment ce terme se différencie de celui de « sexe » qui lui est étroitement lié.

Le mot « sexe » se réfère davantage aux caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes.

Le mot « genre » sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu’une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes [5].


Pas d’hésitation, mais…


Entre Femen et Antigones, l’association Couples et Familles ne se sent donc pas tiraillée : ce qui forme ses options fondamentales, telles que nous les avons exprimées plus avant, ne laisse pas place à l’ambiguïté facile qui serait de renvoyer les unes et les autres dos à dos. C’est indéniablement le combat des Femen qui y correspond le mieux. Toutefois, leurs agissements et leurs prises de position ouvrent grande une faille au discours des Antigones, que Couples et Familles considère comme conservatrices et réactionnaires, même si elles s’en défendent.


D’une part, la question que se posait Couples et Familles dans l’analyse de 2011 à propos du mouvement dit « des salopes » au Canada [6] est pertinente par rapport au choix de manifestation pour lequel ont opté les Femen : « On peut se demander si la méthode utilisée ne renforce pas les clichés hypersexualisés des médias. Faut-il choisir de manifester sans outrance au risque de ne recevoir qu’un écho confidentiel ou oser l’outrance pour provoquer le débat ? Chacun y répondra pour lui-même, mais on peut relever le fait que ce type d’action ne suffit en tout cas pas à promouvoir des attitudes différentes, et ne prend sens que si d’autres actions sont entreprises, par exemple dans le champ de l’éducation permanente ».


En termes d’éducation permanente, on peut aussi se demander si les actions utilisées, qui provoquent certes un buzz médiatique quasi assuré, ne provoquent pas davantage de débats sur les méthodes d’action que sur la cause défendue et l’argumentation mise en œuvre.


Les religions sont-elles à prendre pour cibles ?


Au-delà de cette interrogation toutefois, une autre question se pose : les Femen ne se trompent-elles pas de combat en s’en prenant tout particulièrement et sans nuance aux religions ?


Ainsi des affirmations de Margo Fruitier, dans l’interview qu’elle a accordée à la Libre Belgique [7] : « […] la religion, du moins à partir du moment où elle sort des sphères privées, où elle devient dogmatique et se veut oppresseur de la femme. Parce que, malheureusement, dans l’histoire et dans ce que l’on peut constater aujourd’hui, où commence la religion, généralement les droits de la femme s’interrompent ».


Il est indéniable que nombre de prises de position de responsables et d’autorités, dans toutes les religions, relèvent encore d’une perception patriarcale voire dégradante pour la femme. N’est-ce toutefois pas réduire à de telles prises de position les options fondamentales de foi, c’est-à-dire ce qui est chemin de recherche du sens même de l’existence ?


N’est-ce pas intolérant et même aveugle de jeter l’anathème sur des femmes qui luttent au sein de telle ou de telle religion qu’elles reconnaissent comme lieu le plus approprié d’expression de leur foi, afin qu’elle sorte des ornières conservatrices creusées par des siècles de conceptions erronées de la différenciation sexuelle, non pas seulement dans toutes les religions, mais dans toutes les cultures ?


Ce discrédit sans nuance jeté sur les religions ouvre cette brèche au discours des Antigones, lorsqu’elles affirment notamment que le comportement des Femen : « porte atteinte à la liberté de culte, qui est pourtant un droit fondamental ».


Aux yeux de Couples et Familles, ce n’est pas à la liberté de culte que les Femen portent atteinte en s’en prenant aux religions. Leurs actions n’empêchent aucune femme de fréquenter les églises, les temples, les synagogues ou les mosquées… même lorsqu’elles y sont parfois reléguées au second rang. Ce qu’elles méprisent ainsi, consciemment ou inconsciemment, c’est le sens même que des millions de femmes et d’hommes donnent à leur existence et à la vie même. En rejetant ainsi l’enfant du sens, et donc de la foi, avec l’eau effectivement trop souvent trouble du bain des religions, elles affaiblissent la cause même qu’elles défendent [8].

 

 

 

 

 


 

[1] France Quéré, Evangiles Apocryphes, Seuil, coll. Points Sagesse, 2004, p. 45. France Quéré y renvoie en note au chapitre 3, verset 7 de la Génèse, là où, après que les premiers humains, homme et femme, eurent mangé de l’arbre défendu, le texte dit : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent, et ils connurent qu’ils étaient nus », alors que le chapitre 2 se terminait par ce verset 25 : « Or tous deux étaient nus, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre ».
[2] Le texte intégral de la Déclaration universelle des droits de l’homme est disponible sur le site des Nations Unies, http://www.un.org/fr/documents/udhr/.
[3] Disponible sur www.antigones.fr.
[4] Cf. la première analyse publiée en 2013 par Couples et Familles, « Que recouvre l’opposition au mariage pour tous ? », analyse 2013-01 de Couples et Familles, rédigée par Jean Hinnekens, disponible sur www.couplesfamilles.be.
[5] Cf. « Le genre ou le sexe : une simple question de vocabulaire ? », analyse 2007-29 de Couples et Familles, rédigée par Jean Hinnekens, disponible sur www.couplesfamilles.be.
[6] Cf. « Les marches des salopes posent question », analyse 2011-02 de Couples et Familles, rédigée par Isabelle Bontridder, disponible sur www.couplesfamilles.be.
[7] « Femen Belgique : "Il y a un politique belge que nous envisageons d'attaquer " », in www.lalibre.be, 29/06/2013.
[8] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.

 

 

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