Analyse 2014-05

Souhaité depuis de nombreuses années, le Tribunal de la famille et de la jeunesse entre en application le 1er septembre 2014. Qu’est-ce que cela change dans la résolution des conflits auxquels les familles sont confrontées ?
 

 

Le plaidoyer de Couples et Familles


Petit retour en arrière. En septembre 2008, Couples et Familles publiait aux éditions Feuilles Familiales l'ouvrage coordonné par Jean-Émile Vanderheyden, « Approcher le divorce conflictuel [1] ».


Dans une introduction intitulée « Pour la prévention des violences », José Gérard, directeur de l’association, soulignait que, comme association d'éducation permanente qui se préoccupe des questions familiales, nous nous devions de nous interroger sur les divorces, de plus en plus nombreux. Notre préoccupation était notamment, écrivait-il, d'apporter notre contribution à la prévention des violences que provoquaient nombre de conflits familiaux qui aboutissaient au divorce.


Dans son chapitre final, qui évoquait les perspectives d’avenir, notamment en ce qui concernait les changements législatifs alors en gestation (pages 219-220), l'ouvrage plaidait pour plusieurs modifications.

Il demandait qu'à l'avenir, un divorce ne soit pas considéré comme une « juteuse » vache à lait à traire le plus longtemps possible par les avocats.


Il précisait par ailleurs qu’ « il est important de restaurer la notion de conciliation, voire plutôt de médiation dans les tout premiers jours de séparation ou de décision de divorce ».


De même, soulignant que dans le contexte législatif d’alors, « toute cette procédure intervenant après la séparation finit par crisper les ex-conjoints devenus adversaires et les amener à des actes de provocation », il avançait l’idée que la seule solution était « l'instauration d'un juge unique de la famille qui prendrait en charge non seulement le problème de la séparation, de la liquidation, mais aussi toutes les mesures concernant les enfants, les parts contributives et autres problèmes d’argent. »


De telles propositions étaient portées par notre association, attentive aux nombreuses années de débat qui avait eu lieu tant au parlement que dans la société civile et les milieux professionnels spécialisés à propos de ces questions.


Comment ne pas nous réjouir dès lors de cette réforme majeure dans la manière d'aborder les conflits familiaux que constitue la loi du 30 juillet 2013 [2], modifiée par celle du 8 mai 2014, portant création d'un Tribunal de la famille et de la jeunesse. Cette loi a sorti ses effets au 1er septembre prochain, raison pour laquelle nous croyons opportun d’en souligner les aspects novateurs qui, on le verra, répondent aux attentes exprimées dans notre publication de 2008.


Cette nouvelle juridiction est donc l'aboutissement d’une réflexion menée tout au long de nombreuses années.


L’ancienne législation


Il s'agissait surtout de simplifier le système qui était en place. En effet, ce sont quatre tribunaux différents qui étaient compétents pour les matières relatives à la famille.


Le juge de paix était compétent pour les pensions alimentaires en cas de divorce.


La filiation dépendait de la chambre civile du Tribunal de première instance.


L'exercice de l'autorité parentale relevait du Tribunal de la jeunesse.


Quant au président du Tribunal de première instance, il avait en charge les affaires considérées comme urgentes.


Il y avait donc de quoi s'y perdre. Par ailleurs, cette dispersion des procédures engendrait des coûts importants, sans compter les situations où plusieurs juges devaient intervenir pour résoudre un même litige.


La législation nouvelle


Dans la situation nouvelle, le Tribunal de la famille et de la jeunesse fera partie du Tribunal de première instance, à côté du Tribunal civil, du Tribunal correctionnel et du Tribunal de l'application des peines. Il sera composé de trois types de chambres :


- des chambres spécialement consacrées à la famille elle-même ;
- des chambres de la jeunesse ;
- des chambres de règlement à l’amiable.


Parallèlement, les nouvelles dispositions légales réorganisent en conséquence les cours d'appel en y adjoignant une chambre de la famille et une chambre de règlement à l'amiable.


A partir du 1er septembre, ce sont donc tous les litiges de nature familiale qui relèveront de ces chambres au niveau du Tribunal de première instance.


Les chambres de la famille sont mises en charge de tous les litiges, quel que soit le moment où ils surviennent, en matière du mariage et des procédures de divorce. Elles le sont aussi pour ce qui est de la cohabitation légale. Ce sont elles qui seront compétentes pour les questions relatives au logement familial ou encore, pour toute mesure urgente ou provisoire à ordonner lorsque l'entente des époux est sérieusement perturbée. Relèvent également de leurs compétences, les questions relatives à l'autorité parentale, les pensions alimentaires, la filiation et l'adoption, les questions relatives aux successions, aux donations et aux testaments.


Les chambres de la jeunesse sont chargées quant à elles de toute mesure utile à la protection des mineurs. Elles s'occupent également de la délinquance de ceux-ci.


Les chambres de règlement à l'amiable sont instaurées pour tenter de résoudre de manière alternative les conflits qui naissent entre époux.


L'introduction de telles chambres constitue les principales nouveautés introduites par la nouvelle législation et répondent à nos préoccupations.


Dès la première audience qui suit le dépôt d'une plainte en effet, les parties en conflit recevront des informations relatives aux possibilités de démarches susceptibles de trouver des solutions à l’amiable avant que ne soient engagées des procédures judiciaires. Il leur sera notamment remis une brochure reprenant la nomenclature des médiateurs familiaux agréés.


À tout moment de la procédure, et dans quelque chambre que ce soit, le dossier peut-être transmis à une chambre de règlement à l’amiable, soit à la demande de parties, soit à la demande du magistrat. Cette chambre de règlement à l’amiable sera alors compétente pour prononcer une formule exécutoire au cas où les parties aboutissent à un règlement partiel ou total du conflit.


L’extrême confidentialité de toutes les audiences des chambres de règlement à l’amiable est garantie, précisément dans le but de rendre un tel accord possible. C'est dans cette logique que le juge devant qui une tentative de règlement à l’amiable a été faite, ne pourra intervenir dans les procédures ultérieures de règlement du conflit.


Dans le même esprit, autre nouveauté introduite par cette loi : dans les demandes d'intervention de la justice pour résoudre les conflits familiaux, les parties ne pourront pas se faire représenter par un avocat, mais devront assister elles-mêmes aux audiences.


Conséquence de la nouvelle législation qui regroupe la presque totalité des procédures antérieures, c'est que toutes les démarches sont dès lors centralisées, de sorte que le juge familial disposera à tout moment d'un dossier qui reprendra l’ensemble des litiges familiaux éventuels antérieurs.


On peut toutefois s’interroger sur l’adéquation des raisons qui ont motivé le législateur à laisser à la compétence du juge de paix des questions comme celles de la tutelle, de l’administration provisoire, de la vente de biens appartenant à des mineurs ou encore des personnes disparues.


Procédures


Les dispositions légales en matière de procédure ont également évolué.


En ce qui concerne le lieu du Tribunal de la famille auquel il importe de s’adresser :


- le Tribunal de la famille qui a déjà été saisi antérieurement d'une demande reste compétent pour toute nouvelle demande ;
- une première procédure qui concerne un mineur est introduite au lieu de domicile ou de résidence de ce mineur ;
- s'il ne s'agit pas des deux cas qui précédent, c'est le domicile du défendeur [3] ou de la dernière résidence conjugale qui détermine le tribunal compétent ;
- les pensions alimentaires sont traitées par le tribunal du demandeur, sauf si la demande concerne une réduction ou une suppression de la pension ;
- sauf dans le premier cas ci-dessus, les parties peuvent choisir de commun accord le tribunal devant lequel elles souhaitent introduire leur dossier.


Par ailleurs, par souci de simplification, mais aussi pour réduire les coûts liés aux procédures, la loi généralise l'introduction des procédures par requête [4]. L'introduction de procédures par citation [5] reste toutefois possible. Elle a pour avantage, pour la partie demanderesse [6], d'avoir une meilleure maîtrise de la date à laquelle la cause sera effectivement introduite devant le tribunal.


Lorsque l'urgence est invoquée par les parties, le tribunal statue en référé. Sont entre autres réputées urgentes, les questions de résidences en cas de séparation, les questions d'autorité parentale, le déménagement d'enfants mineurs ou encore les autorisations de mariage.


Et maintenant ?


Nous avons donc de nombreuses raisons de nous réjouir de l'introduction effective de la mise en oeuvre de cette nouvelle juridiction, qui aura de nombreuses et très importantes répercussions sur la vie des personnes confrontées à des difficultés familiales.


Il ne faut évidemment pas s'attendre à ce que cette nouvelle juridiction soit sans failles. Certes, le concept : « une famille, un dossier, un juge » est censé apporter la plupart des améliorations souhaitées. Pourtant, certains s'interrogent. Est-on sûr, par exemple, que la concertation entre les différentes chambres sera plus efficace que celle qui devait se faire entre les différents juges compétents dans l'ancienne législation ? Il y aura lieu également d’évaluer le savoir-faire des magistrats en charge des chambres de règlement à l’amiable.


Le législateur a d’ailleurs prévu explicitement dans son article 273, une évaluation du nouveau système. Cet article précise en effet : « L'application de la présente loi sera évaluée par le ministre de la Justice et le ministre ayant les Familles dans ses attributions au cours de la sixième année suivant celle de son entrée en vigueur. A cet égard seront examinés, en particulier, le fonctionnement et la charge de travail du Tribunal de la famille et le fonctionnement des chambres de règlement à l’amiable ».


L’association Couples et Familles restera attentive au fonctionnement de cette nouvelle juridiction, et surtout, aux améliorations qu’il faudrait y apporter pour affiner les finalités positives qui devraient en résulter. Ce n’est qu’à l’expérience en effet, dans le concret même de la vie des couples et des familles concernés par des dissensions, que pourront, nous l’espérons, se vérifier les améliorations qui étaient espérées et que ces nouvelles mesures sont censées apporter [7].

 

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] Pour en savoir plus sur cet ouvrage ou pour en obtenir un exemplaire, consultez le site de Couples et Familles, www.couplesfamilles.be.
[2] Publiée au Moniteur belge le 27/09/2013 et disponible sur le site du ministère de la Justice, www.ejustice.just.fgov.be.
[3] Le défendeur est, en justice, la personne à l’encontre de qui une requête ou une citation est introduite.
[4] La requête en justice est adressée au greffe du tribunal compétent, qui convoque le défendeur devant le juge.
[5] La citation s’effectue par exploit d’huissier auprès du défendeur, ce qui entraîne des frais.
[6] La partie ou la personne demanderesse est, en justice, celle qui introduit une requête ou une citation à l’encontre de quelqu’un.
[7] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.

 

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