Analyse 2014-09

Couples et Familles avait participé au sondage à propos du document préparatoire au Synode sur la famille organisé par l’Eglise catholique. Nous avons donc suivi avec intérêt les textes qui en sont sortis ainsi que les réactions des uns et des autres. Qu’en est-il après la fin de la première session ? Des avancées ont-elles été enregistrées ?
 

 

Le Synode sur la famille de l’Eglise catholique doit se dérouler en deux phases. La première phase s’est terminée fin octobre par la publication d’un document final. Ce document final est soumis aux réactions des églises locales en vue de préparer la deuxième phase, qui doit se dérouler en octobre 2015. Ce document est en fait un document amendé en fonction des remarques et surtout des protestations de certains évêques suite à la publication d’un texte intermédiaire.


Un fonctionnement plus démocratique


Avant de s’attacher au contenu des textes, il est peut-être intéressant d’analyser la manière dont se sont déroulés la consultation et les débats et de relever un fonctionnement un peu plus démocratique. Quelques faits peuvent être signalés dans ce sens.


• La consultation des églises diocésaines avant le Synode et la demande aux conférences épiscopales qu’elles recueillent le plus de réactions possibles des paroisses et autres communautés et groupes locaux est en soi un progrès. Dans le passé, les documents préparatoires étaient généralement préparés par la curie romaine, qui orientait voire cadenassait ainsi les débats. En outre, un texte a été publié sur base des différentes réactions.


• Dès le début du Synode, le pape François, dans son discours d’ouverture, a demandé que les débats soient francs et ouverts. « Que personne ne s’abstienne d’exprimer son opinion de crainte de déplaire au pape ! » Tous les observateurs ont souligné le fait que les débats ont effectivement été très ouverts et que des positions divergentes ont pu être exprimées. C’est surtout après la première semaine d’échanges, lorsque les évêques ont reçu le document intermédiaire, que les positions les plus virulentes ont été exprimées, certains refusant les ouvertures qu’il exprimait.


• Autre signe de fonctionnement plus démocratique : le texte intermédiaire a été rendu public. Et le texte final, lui aussi rendu public, non seulement comportait l’ensemble du texte, y compris les articles qui n’avaient pas été ratifiés par une majorité suffisante, mais détaillait le nombre de votes pour et contre chacun des articles. Ici aussi il s’agit d’une pratique peu commune dans le fonctionnement des instances de l’Eglise catholique, qui se réfugie souvent derrière une unanimité de façade.


• Lors d’une célébration après la fin du Synode, le pape a rappelé que le texte qui serait publié après la session de 2015 le serait sous sa seule responsabilité. Ici, on peut lire une réaffirmation du pouvoir hiérarchique du pape qui se dit prêt à passer outre des débats démocratiques qui ont eu lieu. Mais d’autres observateurs relèvent la volonté d’ouvrir de nouvelles perspectives même si une partie importante des évêques se montre très conservatrice. On pourra apprécier dans un an la portée qu’il fallait donner à cette prise de positions.


Une ouverture sur les questions d’aujourd’hui


Un autre aspect d’ouverture que l’on pourrait signaler est l’ouverture sur les questions d’aujourd’hui : les divorcés remariés, les personnes homosexuelles, les enfants élevés par des couples homosexuels, etc. en fait une série de situations de vie considérées comme irrégulières par la doctrine catholique.


Le texte préparatoire questionnait sur ces situations. Même s’il le faisait d’une manière que les personnes concernées pouvaient considérer comme méprisantes [1], le simple fait de se demander s’il ne faudrait pas changer d’attitude envers elles est déjà une évolution. Bien sûr, de nombreux agents pastoraux de base ont depuis longtemps adopté une attitude qui ne va pas dans le sens de la doctrine romaine, mais le fait d’introduire ces situations familiales nouvelles et l’attitude à adopter dans les débats d’un Synode est aussi un fait assez nouveau. Dans le passé, un certain nombre de questions « chaudes » comme celles-ci ont été purement et simplement retirées du débat parce que considérées comme closes. Ainsi en fut-il dans le passé de la question du célibat des prêtres.


Les questions qui divisent


Si l’on étudie d’un peu plus près les textes eux-mêmes, on peut mettre en lumière les points qui ont été en débat.


La publication du texte intermédiaire avait suscité un certain enthousiasme des milieux progressistes et même parmi les médias, qui y relevaient des ouvertures inattendues. Quelles étaient ces fameuses ouvertures ? Elles n’étaient pourtant pas si révolutionnaires et concernaient principalement deux questions : les divorcés remariés et les personnes homosexuelles.


• Pour les divorcés remariés, le texte prévoyait la possibilité pour les évêques locaux de pouvoir autoriser certains divorcés remariés à accéder à la communion eucharistique dans des circonstances particulières, comme un chemin pénitentiel. Qu’est-ce à dire ? Que si les personnes concernées reconnaissent leur « faute » sincèrement mais qu’il est impossible pour elles de mettre fin à leur nouvelle union, ne serait-ce que parce que des enfants en sont nés et que le mal commis en renonçant à cette union serait pire, leur accueil à la table eucharistique pourrait être envisagé sous la responsabilité de l’évêque.


• Pour les personnes homosexuelles, le document intermédiaire parlait « d’accueillir les personnes homosexuelles » qui « ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne ». Cela relevait d’une véritable ouverture pour un document romain. Mais cet article a provoqué de telles oppositions de la part de certains évêques que l’article a été amendé dans le document final soumis au vote. On n’y parle plus ni d’accueil, ni de dons et qualités éventuels des personnes homosexuelles. Le document final se contente d’une « attention pastorale envers les personnes ayant une orientation homosexuelle ». En plus, le texte final croit bon d’insister sur le fait qu’il n’y a « aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille. » Il était ainsi très clair qu’il ne pouvait s’agir d’une reconnaissance des relations homosexuelles. Eh bien, même sous cette forme, l’article a été rejeté. La relative ouverture du document intermédiaire, largement désamorcée dans le texte final, est donc encore trop explosive pour beaucoup d’évêques catholiques.


• Les commentateurs relèvent en général un troisième changement important entre le texte intermédiaire et le document final. Le document intermédiaire parlait de la « gradualité dans l’histoire du salut ». Qu’est-ce que cela veut dire ? On sait que, dans nos régions en tout cas, la plupart des couples qui se présentent pour recevoir le sacrement du mariage cohabitent déjà depuis pas mal de temps. Ces cohabitions sont en contradiction avec la doctrine officielle de l’Eglise catholique, mais la plupart des prêtres qui reçoivent ces jeunes couples les considèrent non pas comme vivant une situation irrégulière, mais comme avançant pas à pas vers un mariage chrétien. Parler de gradualité permettait une certaine reconnaissance du sérieux de ces chemins vers le mariage. Cette ouverture a elle aussi provoqué des protestations parfois assez virulentes de la part de certains évêques. L’archevêque Léonard était de ceux-là et rappelait d’ailleurs les éléments de son intervention au Synode dans la revue de l’archidiocèse : « Pouvons-nous, en reconnaissant qu’effectivement certaines valeurs positives sont vécues dans le cadre de simples cohabitations ou d’union civiles, légitimer, en sens inverse, le passage du mariage sacramentel à ces unions de fait ? » Et il ajoute que cette réaction « virulente, je le concède, répondait au climat houleux qui s’était installé dans la salle du Synode et fut, à ce titre, encouragée par nombre de confrères [2]. »


• Derrière ces oppositions se cache un débat sans doute plus profond. Un certain nombre d’évêques, sans vouloir nécessairement changer la doctrine, estiment qu’il faut diffuser un langage d’accueil envers les personnes, quelle que soit leur situation de fait. Dans le langage catholique, cela se traduit par une attitude miséricordieuse. Et cette miséricorde pourrait provoquer des ouvertures, par exemple en ouvrant la communion eucharistique aux divorcés remariés. Il semble bien que le pape François pousse ce courant. Dans l’autre bord, ceux qui pensent qu’il faut défendre avant tout la vérité et que des aménagements sont donc impossibles sans trahir « la vérité » catholique. Les votes rendus publics sur le texte final permettent de se rendre compte de la proportion d’évêques qui se situent de chaque côté et l’on peut penser que cette proportion pourrait évoluer d’ici la deuxième session du Synode en octobre 2015. À ce propos, Christian Laporte [3] évoquait d’ailleurs l’hypothèse que Mgr Léonard, qui aura atteint l’âge de 75 ans début 2015, sera amené à présenter sa démission au pape et qu’il pourrait être rapidement remplacé en vue d’augmenter le nombre d’évêques plus progressistes.


Plus fondamentalement, le dominicain belge Ignace Berten posait une question cruciale dans un document [4] publié après la fin du Synode : est-il possible de faire évoluer l’accueil miséricordieux des personnes sans changer la doctrine ? C’est la question qui se pose avec acuité à propos des questions de morale sexuelle et familiale, au moins depuis la publication de l’encyclique Humanae Viatae sur les méthodes de régulation des naissances et où les évêques belges, par exemple, avaient appelé les chrétiens à décider en conscience, sans remettre en cause le document romain. Le résultat, il faut bien l’avouer, est qu’une large majorité de chrétiens considère depuis que le message de l’Eglise sur les questions sexuelles et familiales est non pertinent. Il ne suffirait donc pas d’être plus accueillant, mais véritablement de changer certains éléments de doctrine, si l’Eglise catholique espère retrouver une certaine légitimité aux yeux des chrétiens sur ces matières.


Laisser plus de place aux cultures locales


Il est aussi un autre enseignement que l’on peut tirer du Synode. Davantage que dans le passé, des différences assez importantes sont apparues entre les continents. Les évêques africains, par exemple, se sont montrés fort hostiles à toute ouverture sur la question de l’homosexualité, qui n’est pas du tout tolérée par les cultures africaines comme elle l’est dans les pays d’Europe du nord. C’est eux également qui se montrent les plus virulents envers les théories du genre. D’autres différences de cultures, de réalités vécues et de sensibilités sont également apparues. Cela paraît normal sur des questions familiales, quand on sait l’importance de la culture sur la manière de considérer l’homme, la femme et la famille. La reconnaissance de l’influence de la culture sur les manières de faire famille pourrait peut-être ouvrir une piste pour la deuxième session du Synode fin 2015 : reconnaître une certaine autonomie aux églises continentales, en leur laissant la responsabilité de traduire concrètement les grands principes que se contenterait d’édicter le pouvoir romain. Ce serait une manière de reconnaître que l’Eglise catholique, pas plus que n’importe quelle institution, ne possède pas la vérité sur des normes de vie familiale qui seraient valables pour tous et de tous temps, ce qu’elle affirme souvent en utilisant la notion de loi naturelle. Ce n’est pas si simple, bien sûr, et le chemin est encore long, mais cette première étape du Synode a au moins eu le mérite d’ouvrir les débats et Couples et Familles s’en réjouit, même si les chances d’un changement d’attitude significatif des autorités de l’Eglise catholique ne paraissent pas très grandes [5].

 

 

 

 

 

 


 

[1] Cf. « Quand l’Eglise catholique s’interroge sur les familles d’aujourd’hui. », analyse 2014-03 de Couples et Familles, rédigée par Jean Hinnekens, disponible sur www.couplesfamilles.be.
[2] « Un moment de crise lors du Synode sur la famille et une réaction à chaud », in Pastoralia, n ° 10, décembre 2014.
[3] « Mgr Léonard ne souhaite pas subir un nouvel affront », in La Libre, 9 décembre 2014.
[4] Miséricorde et doctrine : enjeux théologiques et ecclésiologiques du Synode sur la famille, Bruxelles, novembre 2014.
[5] Analyse rédigée par José Gérard.

 

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