Analyse 2014-10

  On dit l’autorité en crise à notre époque. Les jeunes seraient plus violents qu’auparavant, ils seraient indisciplinés ? Ils seraient inciviques et cela de plus en plus jeunes ? Notre société est en prise avec une jeunesse dépravée, paresseuse qui ne pense qu’à l’amusement ? Est-ce vrai que l’autorité traverse une crise ? Comment s’en sortir en tant que parents [1] ? 

 

Le mythe du « Cétait mieux avant »


A propos de toute sorte de sujets, dans la conversation courante, on entend souvent dire que « C’était mieux avant ». Est-ce pour autant que cette nostalgie d’un passé, soi-disant meilleur, est avérée ? Ce discours passéiste participe à donner du présent une image peu flatteuse. Si le passé représente l’âge d’or, le présent et l’avenir ne sont que chute vertigineuse vers la décadence. S’agissant de l’autorité parentale, serait-il vraiment enviable de revenir en arrière vers l’autorité traditionnelle d’antan que l’on idéalise parfois ?


Dans le droit, l’enfant a toujours tenu une place, mais sous une perspective différente hier et aujourd’hui. Historiquement issu du droit romain, le droit belge consistait en un ensemble de droits que les adultes avaient sur les enfants. L’enfant était objet de la puissance paternelle et l’avenir de la lignée. Aujourd’hui, ce droit a évolué sous l’influence d’instruments internationaux comme la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant de 1989. Désormais, l’enfant est davantage considéré comme sujet de droit que comme objet. Ce changement de terminologie a eu pour effet un renversement de perspective. La situation de l’enfant doit être envisagée de son point de vue, dans son intérêt et, autant que possible, par lui-même [2].


L’autorité parentale d’autrefois, incontestée et que l’on tient par nature ou par statut hiérarchique est souvent perçue comme une autorité ferme et puissante sans être pour autant dictatoriale. Cependant, il est illusoire de penser que revenir à cette forme d’autoritarisme parental serait positif dans l’éducation de nos enfants et nos jeunes. L’autre illusion serait de verser dans une forme d’autorité laxiste basée sur la compréhension et la négociation.


Les deux options sont en contradiction avec la finalité de l’éducation, à savoir, former des êtres libres, autonomes, capables d’esprit critique, futurs citoyens éclairés et responsables [3]. L’enfant est un adulte en devenir auquel ses parents et son milieu familial et social doivent permettre de grandir car c’est là son occupation essentielle. De la qualité de ces relations familiales et sociales dépendent non seulement l’avenir propre de l’enfant, mais aussi celui de la société dans son ensemble car l’enfant en est un citoyen à part entière.


D’une part, si l’on s’en tient à l’autoritarisme, l’enfant ou le jeune ne serait qu’un sujet obéissant et soumis à l’adulte qui lui est hiérarchiquement supérieur et qui a tout pouvoir sur lui. On comprend vite que cette méthode ne favorise par vraiment le développement de la liberté, de l’autonomie ou de l’esprit critique. D’autre part, une permissivité totale reviendrait à effacer tout repère, à placer tout le monde (enfant, jeune ou adulte) sur un pied d’égalité en déresponsabilisant l’adulte et en faisant peser sur l’enfant ou le jeune une responsabilité trop grande alors qu’il est en croissance.


Un peu d’étymologie : c’est quoi l’autorité ?


Lorsqu’on évoque un concept, il est toujours intéressant de revenir à l’étymologie du terme. Ainsi, « autorité » provient du latin « auctoritas » qui tire sa racine du mot « auctor », c’est-à-dire « auteur ». La définition du terme « auteur » au Robert est particulièrement éclairante :


Celui qui accroît, qui fonde. Personne qui est la première cause d’une chose, à l’origine d’une chose. Synonyme : créateur, fondateur, inventeur, initiateur, promoteur, responsable.


Les parents, en tant que détenteurs de l’autorité, sont les créateurs de leurs enfants, mais cela implique aussi la notion de promotion et de responsabilité. Ils ont à les élever ! A les amener à être eux-mêmes auteurs de leur propre existence et ce, de manière responsable, en respectant leur altérité et leur humanité.


Spontanément, on associe l’autorité à l’interdiction. Et pourquoi pas aussi à un autre substantif qui possède la même racine : autorisation ! Pourquoi ne pas concevoir l’autorité en premier lieu comme une autorisation ? Une autorisation à essayer, à découvrir, à tenter, etc. sans pour autant que ce soit une autorisation à faire n’importe quoi ! Tout n’est pas acceptable, c’est bien pour cela qu’autorisation va de paire avec interdiction. Il y a d’une part des interdictions fondamentales basées sur le respect de l’être humain et d’autre part des interdits légaux basés sur le système législatif.


L’adolescence


L’adolescence est une période de la vie qui fait l’objet de nombreux stéréotypes et clichés. L’adolescence a aussi été l’objet de nombreuses études et recherches dans divers domaines, notamment la psychologie et l’éducation. On le sait, ces disciplines se sont fort répandues et vulgarisées auprès d’un large public. On peut s’en féliciter, mais il ne faut pas oublier que les théories sur l’adolescence, comme sur d’autres sujets d’ailleurs, sont des généralités, tirées de recherches expérimentales. Autrement dit, ce n’est pas parce que des théories existent qu’il faut à tout prix y correspondre.


Par exemple, à propos du début et de la fin de la période adolescente. Il n’y a pas d’âge précis pour dire que l’on entre dans l’adolescence ou que l’on en sort [4]. Comme pour les grandes périodes de l’histoire, on aime mettre des repères chronologiques pour les grandes périodes de la vie. Cependant, les enfants ne se réveillent pas le matin de leurs 12 ans en se disant : « Hum, à partir d’aujourd’hui, je suis un ado ». Toutes les évolutions se produisent heureusement dans la continuité.


Un autre exemple est celui de l’expression « crise d’adolescence » qui sous-entend l’idée qu’à l’adolescence, on doit forcément être en conflit et en opposition avec le monde adulte. Ce n’est pas une obligation évidemment. Si cette période adolescente, de transition de l’enfance à l’âge adulte se passe sans heurts et sans cris, tant mieux ! Et ça peut arriver !


Dans certaines contrées du monde, le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait en quelques jours à l’occasion de rites initiatiques au moment de la puberté. Chez nous, les choses sont différentes. Cela montre que ce concept est un produit de notre culture lié à notre histoire, nos traditions, nos modes de vie et nos modes de pensée.


Ce que l’on peut dire de l’adolescence, c’est que c’est une période de grands chamboulements, à la fois pour les jeunes et pour leur entourage. Il n’y a pas d’âge précis pour en donner le départ, mais on peut dire que les changements démarent avec la puberté. Ils sont d’abord d’ordre physique et physiologique, viennent ensuite des changements sur le plan cognitif, social et affectif également.


C’est durant l’adolescence que les jeunes construisent leur identité personnelle. Ils développent leur autonomie, font l’expérience d’autres modèles, d’autres pensées que ceux qu’ils connaissaient jusqu’alors afin de « se définir » personnellement.


Pas de recettes éducatives, mais une réflexion sur ses pratiques


Il est inutile en éducation de vouloir donner des recettes toutes faites ! Ce qui fonctionne dans une famille ne fonctionnera pas nécessairement dans une autre famille. Chaque parent possède en lui les ressources nécessaires pour relever les défis de l’éducation de ses enfants. Ce qui est important, voire primordial, c’est d’être pleinement conscient de ses actes et de parvenir à porter un regard réflexif et critique sur ses propres pratiques parentales. De cette manière, on peut s’adapter aux différentes situations, aux différents contextes auxquels on sera confronté dans l’existence. Les parents ne sont pas des automates qui doivent appliquer mécaniquement des recettes éducatives dans les relations avec leurs enfants, y compris dans l’exercice de l’autorité [5].


Le modèle théorique des 12 besoins, développé dans l’ouvrage « L’éducation postmoderne [6] », est particulièrement intéressant dans la mesure où, justement, il évite de tomber dans le piège des recettes. L’idée qui est développée est que pour grandir harmonieusement et devenir un être autonome, libre, responsable et capable d’esprit critique, tout individu a des besoins. Ces besoins fondamentaux peuvent être regroupés suivant quatre dimensions :

 

  •  Dimension affective dont l’objectif est l’affiliation de l’individu et dont les besoins associés sont :

- le besoin d’attachement : Dès que l’on a su le sexe du bébé, on a commencé à l’appeler par le prénom qu’on lui avait choisi
- le besoin d’acceptation : J’estime qu’il y a différentes façons de lui dire que je l’aime, notamment en jouant avec lui, en lui prêtant attention
- le besoin d’investissement : J’espère que mes enfants iront plus loin que moi dans la vie

 

  •  Dimension cognitive dont l’objectif est l’accomplissement de l’individu. et dont les besoins associés sont :

- le besoin de stimulation : J’essaie de créer une certaine diversité pour qu’il découvre et voie des choses
- le besoin d’expérimentation : Parfois, il veut faire la vaisselle, nous acceptons, même si c’est l’inondation dans la cuisine
- le besoin de renforcement : Quand j’apprécie l’effort qu’il fait, je le lui dis

 

  • Dimension sociale dont l’objectif est l’autonomie sociale de l’individu et dont les besoins associés sont :

- le besoin de communication : L’heure du repas est importante parce que chacun raconte sa journée
- le besoin de considération : Quand ils voient qu’on les apprécie, ils sont capables de réaliser de belles choses et prennent confiance en eux
- le besoin de structure : Ils ont besoin de jalons, de limites, de sentir que tout n’est pas permis, que c’est les aimer que parfois refuser certaines choses

 

  • Dimension idéologique dont l’objectif est les valeurs morales de l’individu et dont les besoins associés sont :

- le besoin de bien / bon : Je lui explique ce qui est bien
- le besoin de vrai : Je pense qu’il ne faut pas mentir à nos enfants parce que c’est par nous qu’ils apprennent (sauf Saint-Nicolas évidemment)
- le besoin de beau : Je m’émerveille avec lui de choses qui sont parfois des petits riens, mais qui sont belles


Il n’y a pas d’échelle de valeur dans ces besoins, ils sont tous aussi importants l’un que l’autre. Il est nécessaire de répondre à tous. Toutefois, ils ne se font pas ressentir avec la même intensité tout le temps ou tous en même temps. C’est pourquoi, il n’y a pas q’un seul modèle éducatif possible. Il y a une multitude d’attitudes éducatives possibles, ce qui importe, c’est d’avoir le comportement adéquat selon la situation, le contexte, le moment et le/les besoins de son enfant.


Reprenons à titre d’exemple une classification théorique de quelques styles éducatifs [7].


- L’enfant-roi : le parent se plie au désir de l’enfant sans opposition et sans lui donner de sources de frustrations. Ce modèle est fondé sur la conviction qu’il existe une dynamique interne de l’enfant qui, si on la laisse s’exercer, aboutira naturellement au développement de sa personne et de son potentiel.
- L’enfant égalitaire : l’enfant est l’égal de son parent, les opinions de l’un valent celles de l’autre et il n’existe pas de rapport hiérarchique entre eux.
- L’enfant pâte à modeler : le parent décide de ce qui est bon pour son enfant et le guide dans ce sens pour son bien, par exemple au moyen d’un règlement établi que l’enfant doit suivre. Il intègre ainsi une discipline et les valeurs sous-jacentes et adopte les attitudes souhaitées par le parent.
- L’enfant à endurcir : le parent met en œuvre des stratégies afin que son enfant puisse « affronter la vie » plus tard. Il doit s’entraîner et se préparer, acquérir des compétences physiques et cognitives qui lui permettront ensuite de résister aux aléas de l’existence et de s’adapter aux normes.
- L’enfant fixé à un stade : le parent enferme son enfant dans des cases et adapte son éducation (par exemple, on est propre à 2 ans et demi… ; on apprend à rouler en vélo à 5 ans ; on ne sort pas au delà de minuit avant 17 ans ; etc.)
- L’enfant adaptable : le parent pense que l’enfant doit s’adapter à n’importe quelle situation. Le parent ne tient pas compte des besoins de l’enfant qui suit le mouvement comme il se présente.
- L’enfant sujet : le parent est confiant dans les potentialités de son enfant et il lui propose des situations diverses dans lesquelles il peut faire des expériences à sa portée.


En conclusion


Il est important de réfléchir à la manière dont on est parent. L’aventure de l’éducation n’est pas un long fleuve tranquille qui suit une trajectoire rectiligne. Il faut pouvoir « sortir de soi » et s’oberver de l’extérieur afin de porter un regard critique sur ses pratiques et, quand c’est nécessaire, changer de cap. La société occidentale contemporaine a mis sur un piédestal l’amour parental et filial et le bonheur, y compris le bonheur familial. Il faut être attentif à ne pas vouloir à tout prix correspondre à ces perceptions au détriment de l’équilibre familial. Les parents ne doivent pas culpabiliser ou craindre de perdre l’amour filial lorsque, dans l’exercice de l’autorité parentale, ils énoncent des interdits considérés comme sévères et contraires à l’idéal d’amour. Par ailleurs, le modèle culturel et social où chacun pourrait jouir partout et tout le temps d’un bonheur absolu place les parents dans un dilemme difficile. Ils sont pris entre leur rôle éducatif d’une part et leur rôle affectif d’autre part. Les parents peuvent éprouver de réelles difficultés à frustrer leurs enfants par des interdits, à entrer en conflit éventuel avec eux. Ces passages nécessaires dans la relation éducative peuvent sembler insurmontables alors même que les parents cherchent à rendre leurs enfants heureux.


De plus, la famille, les enfants et les méthodes éducatives sont autant d’images qui donnent à voir à travers elles les parents en tant qu’individus. Connaître des difficultés dans l’éducation de ses enfants, être en conflit avec eux écorcherait notre image et celle de notre famille. La perspective de supporter cette charge psychologique est parfois lourde et peut dissuader d’endosser les mauvais côtés du rôle d’éducateur.


Enfin, s’il est clair que l’évolution du droit et le changement de perspective de l’enfant vis-à-vis du droit sont des acquis importants sur lesquels il ne faut pas revenir, il faut bien admettre que la part importante que prend aujourd’hui le juridique dans la société jusqu’au sein de la famille, a participé à la fragilisation de la confiance en eux-mêmes des parents à exercer leur fonction. La législation est normative par essence. En matière familiale, il faut être attentif à ce que la loi ne s’ingère dans les questions éducatives au risque de voir la diversité des attitudes éducatives s’appauvrir à force d’être normalisées [8].

 

 

 

 

 

 


 

[1] Analyse rédigée au départ de la conférence de Laurianne Rigo et du débat qui a suivi lors d’une matinée « couples et familles », le dimanche 5 octobre 2014 à Corroy-le-Grand.
[2] Françoise Dekeuwer-Défossez, Les droits de l’enfant, Que sais-je ?, PUF, 2010.
[3] Gérard Guillot, « Autorité, respect, tolérance », in Les sciences de l’éducation – Pour l’ère nouvelle, 2009/3 vol. 42, p.34.
[4] Adolescence élastique, Nouvelles Feuilles Familiales, n°96, Couples et Familles, juin 2011. Plus d'informations sur www.couplesfamilles.be.
[5] Nathalie Vesely, « L’autorité en souffrance : les difficultés d’exercice de l’autorité parentale », in Dialogue, 2012/4, n°198, p. 101-110.
[6] Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, L’éducation postmoderne, PUF, 2002.
[7] Animer les enfants et les adolescents : modèles et choix éducatifs. Hypothèses et résultats de la recherche-action dans le domaine de la « Bientraitance », Résonance asbl, 1999. Fascicule publié dans le cadre de la « valisette bientraitance », un outil pédagogique disponible auprès de l’asbl Résonance via leur site www.resonanceasbl.be.
[8] Analyse rédigée par Laurianne Rigo.

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants