Analyse 2014-14

  Les parents dont un enfant est victime de brimades ou de harcèlement à l’école vivent la situation aussi douloureusement que leur enfant, car ils se demandent souvent quelle attitude ils doivent adopter [1]. 

 

En septembre 2014, une adolescente de la région de Namur s’est suicidée suite à du harcèlement. D’après ses amis, elle ne supportait plus le harcèlement dont elle était l’objet sur le site ask.fm, un réseau social plusieurs fois mis en cause suite au suicide de personnes harcelées. Dans l’exemple ci-dessus, la jeune-fille avait reçu des messages anonymes du genre de celui-ci : « Tu te crois belle, en fait tu es moche, tu es conne, tu ferais mieux de te pendre. »


Cet événement n’est qu’un cas parmi bien d’autres de harcèlement scolaire. En France, la même année, un adolescent de Savoie de treize ans s’est suicidé suite aux brimades de ses camarades de classe qui se moquaient de lui parce qu’il était roux. Et une adolescente de l’Essonne, treize ans elle aussi, s’est suicidée et a laissé une lettre faisant allusion aux moqueries dont elle était l’objet de la part des élèves de son école. Le cyber-harcèlement est fréquent aujourd’hui mais il n’est qu’une des multiples formes du harcèlement dont les jeunes peuvent être victimes. Il présente cependant des particularités, comme le rappelait un éducateur du collège fréquenté par l’adolescente de Namur : « Auparavant, quand un élève était victime de harcèlement, cela se terminait quand il prenait le bus. Maintenant, avec les réseaux sociaux, cela peut se poursuivre une bonne partie de la soirée, voire de la nuit. Il faut une réelle éducation vis-à-vis des jeunes. Ils doivent savoir quelles sont les limites de l’emploi des réseaux sociaux. C’est une question de respect de la personne. »


À côté de cette forme très moderne de harcèlement, on trouve également toutes les formes classiques de brimades : les coups et bousculades, les vols d’effets personnels, les insultes, les exclusions de groupe de jeu, les moqueries, etc.


Les caractéristiques du harcèlement


Les définitions du harcèlement sont nombreuses, mais les chercheurs qui travaillent sur cette question sont généralement d’accord sur trois éléments essentiels pour caractériser le harcèlement :


• l’intention de faire du tort à autrui ;
• la répétition des faits ;
• un déséquilibre de pouvoir entre les protagonistes.


Ces trois éléments permettent de distinguer les cas de véritable harcèlement d’événements ponctuels comme des bagarres occasionnelles suite à des événements particuliers.


Néanmoins, cette définition peut poser problème dans certains cas. Il n’est pas évident en effet que le(s) harceleur(s) aient toujours l’intention de nuire à autrui. Pour le cas d’adolescents par exemple, il peut s’agir davantage d’une recherche de prestige vis-à-vis des autres de la part du harceleur que d’une véritable volonté de nuire. Quant au déséquilibre du pouvoir, il n’est pas présent non plus, du moins dans son aspect de force physique. Un enfant timide, même costaud, pourra faire l’objet de brimades.


On retiendra donc surtout le caractère volontaire et répétitif des actes malveillants pour définir le harcèlement.


Quant au type d’actes perpétrés par le harceleur, il peut s’agir de harcèlement qui s’exerce de manière verbale (moquerie, insulte, intimidation), physique (coup, racket, attouchement), relationnelle (rejet, rumeur, exclusion), matérielle (vol, dégradation) et via les technologies de l’information (internet, téléphone portable) [2]. Les moyens employés varient souvent en fonction de l’âge des protagonistes et même de leur genre : les jeunes filles auront plus facilement recours aux rumeurs tendant à isoler socialement la victime, alors que les garçons utiliseront davantage les formes d’agression physique.


Le grand écho que reçoivent dans les médias les faits dramatiques de harcèlement pourrait laisser croire qu’il s’agit d’un phénomène en pleine explosion. L’enquête de Benoit Galand, professeur à la faculté de psychologie de l’Université catholique de Louvain [3], sur la prévalence du harcèlement en Fédération Wallonie-Bruxelles, arrive à la conclusion que le phénomène touche environ un élève sur trois. 15% sont victimes de harcèlement, 10% sont harceleurs et 5% environ harceleurs-victimes. En outre, ce pourcentage parait assez stable dans le temps. Le phénomène n’est pas plus fréquent aujourd’hui qu’hier. Seuls les moyens ont peut-être changé avec l’apparition des nouvelles technologies.


Comment faut-il réagir ?


• Les parents


Les parents dont un enfant est victime de harcèlement à l’école se demandent souvent comment réagir, dans la peur d’aggraver par leurs démarches la situation de leur enfant. Les associations de parents, souvent, relaient cette crainte des parents.


Pour Bruno Humbeeck, docteur en psychopédagogie et chercheur à l’Université de Mons, « il faut d’abord aider l’enfant à préserver son estime de soi en lui disant que cela arrive souvent, qu’il n’est pas le seul dans le cas, qu’il ne subit pas ce harcèlement parce qu’il est moins bien que les autres. Et il faut lui faire sentir que votre écoute va être continue. Ensuite, il faut le rassurer en lui disant que les enseignants vont être prévenus et qu’avec eux, une solution va être cherchée. L’avertir que la solution ne sera pas immédiate, mais que la situation va évoluer. Surtout ne pas dire que dans cette école, il n’est pas possible d’agir. Ce serait le contraindre à devenir hérisson ou paillasson. [4]»


Les parents éviteront de vouloir régler eux-mêmes le problème en interpellant l’enfant harceleur ou ses parents mais prendront contact avec l’enseignant ou la direction de l’école pour chercher la meilleure solution.


En tant qu’éducateur de leur enfant, les parents pourront bien sûr essayer de l’aider à adopter une attitude qui vise à essayer de mettre fin au processus. Tout d’abord en l’incitant à continuer à en parler sans en avoir honte. En l’invitant aussi à essayer de se comporter avec davantage d’assertivité plutôt que d’agressivité, c’est-à-dire à réagir non pas de manière violente à l’agression, mais à refuser le rôle de dominé et à mettre des mots sur ce qu’il ressent. À oser adresser la parole à son agresseur en le regardant en face en lui disant que son attitude est lâche et négative. Si l’enfant est plutôt timide, cela ne se fera pas en un jour, il s’agit d’une éducation de longue haleine, pour laquelle les parents peuvent d’ailleurs se faire aider par un professionnel.


• L’école


La solution à mettre en place devra principalement venir de l’école.


L’école pourra bien évidemment, dans un cas particulier de harcèlement vis-à-vis d’un élève, prendre des mesures ponctuelles, en dialogue avec les différents protagonistes. Selon la gravité des faits, des sanctions disciplinaires pourront éventuellement être prises.


Le plus efficace pourtant sera d’installer dans l’école un espace de médiation où de tels incidents pourront être évoqués par les élèves, un espace permanent (ouvert à des moments fixes connus de tous et non pas uniquement lorsqu’un fait se produit) de médiation. Il ne s’agit pas d’un tribunal mais d’un lieu où les élèves savent qu’ils peuvent venir évoquer leurs difficultés et exprimer leurs émotions face à ces faits.


Les chercheurs estiment généralement que le meilleur moyen de faire baisser les phénomènes de harcèlement dans une école est d’instaurer un climat où la qualité des relations est importante. C’est dire qu’il ne s’agira d’une action ponctuelle mais d’un projet pédagogique d’ensemble. Certains chercheurs estiment en effet que le climat qui règne dans une école peut favoriser ou non les brimades : un climat de compétition où tout le poids est mis sur la discipline et les résultats, où les relations sociales ne sont pas favorisées, où le contact avec les parents est laborieux favoriserait l’augmentation des faits de harcèlement [5]. L’Université de paix propose aux écoles qui le souhaitent un programme d’intervention [6] comprenant :


• Une conférence d’information auprès de l’ensemble des adultes intervenant dans l’école/institution.
• Des journées de formation des adultes à la prévention du harcèlement (amélioration du climat de classe et de l’institution, gestion des comportements et des groupes, régulation des conflits…) et à l’intervention structurée en cas de harcèlement (plan anti-bullying, entretiens avec les parents et les jeunes, médiation collective, etc.).
• Des animations [7] de sensibilisation des jeunes au harcèlement, afin d’augmenter leur conscience des phénomènes de groupe, de développer leur empathie et d’acquérir des moyens rapides pour stopper le harcèlement…


De manière plus pragmatique, Bruno Humbeeck propose d’agir prioritairement sur les cours de récréation. Il estime que ce type d’action assez simple permet de faire diminuer de 60% les risques de harcèlement scolaire. Il invite à définir des zones différentes dans la cour de récréation, marquées très clairement par une peinture différente. Une couleur pour l’espace où il est permis de courir avec un ballon (pour les joueurs de foot principalement), une zone où il est permis de courir sans ballon et une zone de calme, avec des bancs où les enfants peuvent s’asseoir. Il s’agit là d’une action très concrète, qui ne demande pas d’investissement démesuré et qui fait déjà baisser fortement la pression sur le lieu principal des faits de harcèlement scolaire. Pour les associations de parents qui souhaiteraient proposer ce type d’action dans l’école de leurs enfants, il faut savoir que l’Université de Mons a mis un place un site internet [8] qui permet aux écoles de réaliser de telles actions sans nécessairement devoir recourir à des intervenants extérieurs.


Au départ de ces faits de violence qui peuvent être vécus douloureusement par les enfants et leurs parents, ce type de réaction permet d’inciter les écoles à une réaction collective, à analyser les facteurs institutionnels qui favorisent éventuellement de tels comportements et à mettre en place les mesures les plus adéquates [9].

 

 

 

 

 

 

 

 


 

[1] En 2009, Couples et Familles a publié une analyse décrivant le phénomène du harcèlement scolaire. Il s’agit du texte le plus consulté sur le site internet de l’association et qui a donné lieu au plus grand nombre de contacts de personnes relatant des faits de harcèlement dont leur enfant était victime et demandant comment il fallait réagir. C’est ce qui a incité Couples et Familles à prolonger la réflexion.
[2] Voir à ce propos le rapport d’enquête « Prévalence du harcèlement en Fédération Wallonie-Bruxelles », Benoit Galand, Virginie Hospel et Noémie Baudouin, GIRSEF, UCL, 2014. Ce rapport est disponible sur le site www.enseignement.be
[3] Ib.
[4] In Le harcèlement à l’école, Centre liégeois de promotion de la santé, 2013.
[5] G. Deboutte, L’enfant, ni loup ni agneau, Erasme, 1995, cité dans Comment lutter contre le harcèlement entre élèves ?, Analyse UFAPOEC 2009.
[6] http://www.universitedepaix.org/actions-jeunesse/harcelement-a-lecole-prevenir-et-intervenir
[7] Voir à ce propos l’interview d’un animateur de l’Université de paix par Annelise Detournay dans le magazine L’Appel de janvier 2015, dans son dossier La loi du préau.
[8] http://www.sciencesdelafamille.be/pr%C3%A9vention-de-la-violence-et-du-harc%C3%A8lement-scolaire/
[9] Analyse rédigée par José Gérard.

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants