Analyse 2015-04

Le 8 mars est célébrée la journée internationale de la femme : l’occasion idéale de faire le point sur les avancées réalisées, mais aussi sur les progrès qu’il reste à faire pour qu’une situation d’égalité et de respect règne enfin entre les hommes et les femmes, en particulier en ce qui concerne le harcèlement en rue.  

 

« Bien trop de femmes dans bien trop de pays parlent la même langue : le silence ». (Anasua Sengupta) [1]


En Belgique, les apparences sont trompeuses. Oui, des femmes occupent des fonctions à responsabilités. Oui, des entreprises sont gérées par des femmes. Oui, le monde politique, les médias, l’univers scientifique, etc. comprennent en leur sein des leaders de la gent féminine. Certes sous-représentées, mais bien présentes. Il y a donc une lente – voire très lente – mais incontestable évolution en la matière.


Mais dans la vie de tous les jours, qu’en est-il ? À quoi sont quotidiennement confrontées les demoiselles dans la rue ? Il suffit d’interroger les hommes de notre entourage pour constater qu’à leurs yeux la problématique est généralement inexistante. Même s’ils avouent que certains hommes font preuve d’irrespect envers les femmes, ils considèrent qu’il ne faut pas généraliser la situation, et qu’en Belgique, la femme est considérée comme l’égale de l’homme.


Toutefois, si selon eux ce phénomène ne concerne qu’une minorité de la population, la réalité est bien différente.


Effectivement, à l’inverse, messieurs, interrogez vos amies, collègues, mère, enfant(s)… et vous découvrirez qu’au moins l’une de ces personnes a déjà vécu une situation de harcèlement de rue.


Le harcèlement de rue : qu’est-ce que c’est ?


« Hé mademoiselle ! Tu t’appelles comment ? T’habites où ? … Oh réponds ! Tu te crois belle ? »


Non, cette phrase n’est pas un cliché que l’on croit ne rencontrer que dans certains quartiers qualifiés de peu fréquentables… Il s’agit véritablement d’une réalité quotidienne à laquelle sont confrontées les femmes. Ce genre d’interpellations, souvent accompagnées d’insultes et de grossièretés en tout genre, sont un exemple de ce que l’on appelle harcèlement de rue. À cela s’ajoutent aussi les menaces, les attouchements, les humiliations, les sifflements et autres commentaires sexistes ou gestes inappropriés. Cette panoplie de comportements irrespectueux se retrouve dans bon nombre de lieux publics ; outre la rue, citons les transports en commun, les gares et arrêts de bus, les parkings, etc.


Notons qu’il n’est pas concevable de confondre drague et harcèlement de rue. Comme mentionné sur le site www.stopharcelementderue.org : « La drague se construit à deux, là où le harcèlement est la responsabilité d’un individu qui ignore volontairement l’absence de consentement de son interlocuteur. La drague est une main tendue, le harcèlement est une main qui s’abat [2]. »


Au vu de ces quelques lignes d’explication, peut-on encore affirmer en toute bonne foi que les femmes sont les égales des hommes ? À l’évidence, non. En effet, ces derniers sembleraient bénéficier de ce que l’on peut appeler des privilèges masculins ; c’est à dire de multiples avantages réservés exclusivement aux hommes.


Parmi ceux-ci, on peut retrouver le fait de ne pas subir le harcèlement de rue, mais aussi, par exemple, le fait de pouvoir rentrer à pied chez soi le soir sans avoir peur d’être suivi, violé ou encore, peur d’être confronté à un exhibitionniste. « C’est bénéficier d’une plus grande liberté de mouvement sans s’en rendre compte » explique Thomas Mathieu dans une interview pour le magazine Femmes plurielles [3].


Justement, à travers son blog, Thomas Mathieu tente de lutter contre le sexisme et dénonce des situations inégalitaires homme - femme. Pour ce faire, il transforme en BD des témoignages de harcèlement que lui font parvenir des internautes. Ce recueil d’illustrations, baptisé Projet Crocodiles, met donc en scène des histoires vraies de sexisme, où les hommes sont représentés par des crocodiles, stéréotype du prédateur par excellence. De plus, ce blog foisonne de renvois vers d’autres sites Internet qui abordent cette thématique et qui permettent donc de pousser un peu plus loin la réflexion.


Le voile se lève sur cette problématique


En 2012, notre compatriote Sofie Peeters réalisait un reportage Femme de la rue, qui faisait prendre conscience à la population belge qu’à Bruxelles, une femme ne peut se promener dans certains quartiers sans être harcelée verbalement ; et ce, plusieurs fois par jour. « Sofie Peeters raconte qu’au début, elle s’est demandé si ce n’était pas de sa faute, si ça ne venait pas de son attitude ou de ses vêtements avant de réaliser qu’elle était loin d’être un cas isolé et que ce n’était pas à elle de se remettre en question. », écrit Sophie Riche sur le site www.madmoizelle.com [4].


Plus récemment encore, une campagne de prévention pour lutter contre ce phénomène a vu le jour au Pérou. Intitulée Whistling At Your Mum et d’une originalité sans précédent, cette campagne a fait le buzz sur internet fin janvier 2015 et a contribué à ramener cette problématique sur la place publique. Qu’est-ce qui fait la particularité de cette campagne ? En fait, le concept est simple : plusieurs hommes, dont on sait qu’ils ont tendance à adopter des comportements de harcèlement, sont filmés en caméra cachées. Les mamans de ces gaillards, revêtues de leur plus belle tenue, maquillées et coiffées spécialement pour la cause, au point d’en être méconnaissables, passent simplement dans la rue devant leurs fils. Quelle n’est pas leur surprise quand elles découvrent que leur progéniture adopte un comportement machiste et véhicule des propos déplacés à leur égard ! Et plus grand encore est l’étonnement de ces jeunes hommes qui ne se figuraient pas que leurs mères pouvaient s’habiller de la sorte et être victimes de tels propos. Peut-être un moyen efficace pour qu’une prise de conscience émerge enfin… Pour découvrir en images la réaction des protagonistes, la vidéo est disponible, entre autre, sur le site du journal le Soir [5].


Comment lutter contre ce phénomène ?


Le harcèlement de rue nous concerne tous. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas personnellement victime ou auteur de ces actes que cela doit nous être indifférent. Effectivement, il en va de la responsabilité de tout un chacun d’intervenir lorsqu’il est témoin de ce genre de faits.


Mais comment agir ? Sur son blog http://projetcrocodiles.tumblr.com, Thomas Mathieu livre quelques pistes intéressantes pour intervenir de façon adéquate. Citons son article Réagir en tant que témoins publié le 20 mai 2014. Il explique que, généralement, le harcèlement de rue se déroulant dans des lieux publics, il y a plusieurs témoins. Pourquoi aucun n’agit-il ? Il apparaitrait que chaque témoin s’interroge quant à l’inaction des autres témoins ; autrement dit, si personne ne réagit, pourquoi devrais-je réagir ? En ne faisant rien, « je ne suis pas pire que les autres après tout [6] ».


Autre obstacle qui bloque souvent les témoins dans leur envie d’intervenir : ils ne savent pas quoi faire. Voici quelques idées… Premièrement : la confrontation directe avec l’agresseur. Lui sommer d’arrêter, lui dire clairement qu’il est en train de commettre des faits de harcèlement. Souvent, après que l’un des témoins soit intervenu, cela aide les autres observateurs à se manifester à leur tour. L’attention de l’agresseur n’est ainsi plus portée exclusivement sur la victime et celle-ci a l’opportunité de s’en éloigner.


Thomas Mathieu insiste également sur l’importance du langage corporel. Il convient de garder un regard droit, ne pas sourire, se rendre grand, parler fort tout en restant calme. De plus, le dessinateur nous affirme qu’il est admis de mentir en de telles situations ; par exemple en déclarant à l’agresseur avoir vu des policiers ou des contrôleurs à proximité.


Lorsqu’intervenir directement auprès de l’agresseur risquerait de nous porter préjudice, il nous est toujours possible d’appeler la police, d’aller chercher de l’aide auprès d’un vigile ou n’importe quelle autre personne susceptible de venir en aide à la victime.
Deuxièmement, une autre tactique consiste à distraire l’agresseur afin de permettre la fuite de la victime. Par exemple, en prétendant être une amie de la victime, le témoin s’interpose entre celle-ci et son agresseur et lui demande de la suivre parce qu’elle est, soit disant, en retard pour un rendez-vous. Autre possibilité proposée par Thomas Mathieu : distraire l’agresseur en lui demandant son chemin ou tout autre renseignement banal.


Parfois la simple présence de témoin(s) suffit à éviter un passage à l’acte. Ainsi, dans une situation « à risque », rester à proximité de la victime et de l’agresseur potentiel est tout à fait recommandé.


Lorsque des violences surviennent, il est alors obligatoire d’intervenir ; la non-assistance à personne en danger figure dans le Code pénal belge. Il incombe donc aux témoins d’appeler la police (en mentionnant l’éventuelle nécessité d’une ambulance sur les lieux). Les plus hardis iront même jusqu’à intervenir directement en maintenant l’agresseur pour lui faire cesser ses violences.


La non assistance à personne en danger est un phénomène interpellant. Il nous semble intéressant d’effectuer une petite parenthèse sur le sujet en évoquant le court métrage Je suis à l’heure réalisé en vue du Nikon Film Festival [7]. Ce film met en scène, non pas une situation de harcèlement de rue, mais carrément un viol qui se déroule dans un train… en la présence de témoins qui paraissent indifférents à la situation. Pourquoi intervenir au risque d’être en retard à un entretien d’embauche ? Poignant, ce film choc nous pousse à nous interroger sur nos priorités et à réévaluer nos valeurs. Nous vous invitons à le visionner sur le site : http://www.festivalnikon.fr/video/2014/139.


Troisièmement, pour lutter contre le harcèlement de rue, ne négligeons pas l’importance de la prévention. Parler du phénomène autour de soi, faire comprendre à nos proches qu’il s’agit de comportements tout à fait déplacés et inacceptables les empêchera peut être de passer à l’acte. En effet, en condamnant ce type de comportement, nous encourageons notre entourage à en faire de même.


« L’après harcèlement »


Sur le blog Projet Crocodiles, nous pouvons également trouver des conseils en ce qui concerne le post harcèlement. « Il se peut que la personne agressée soit encore sous le choc ou dans un état de stress, ce n’est pas le moment de lui demander un merci [8]. » Ce n’est bien évidemment pas le moment non plus de draguer la victime ! La bonne attitude consiste simplement à la rassurer, ou si elle préfère, la laisser tranquille.


Culpabiliser la victime est un autre piège à éviter à tout prix lorsque l’on évoque l’agression avec la victime. Il est évident que celle-ci n’a pas cherché à se faire agresser. Les phrases du style : « Tu n’aurais pas du mettre une jupe... », « Moi je n’aurais pas pris les transports en commun à une heure si avancée de la nuit. », « Est-ce que tu lui as souri ? » sont donc absolument à bannir [9].


Pour aller plus loin


Le harcèlement de rue n’est pas la seule illustration des inégalités entre les hommes et les femmes qui sévissent dans notre pays. En Belgique, il règne un machisme ambiant auquel les femmes sont sans cesse confrontées. Par exemple, quand un couple se rend dans une concession automobile en vue d’acquérir un nouveau véhicule, le vendeur s’adressera plus volontiers à Monsieur qu’à Madame ; il fera l’apologie des qualités sportives et de la puissance du véhicule en pensant qu’il n’y a que l’homme que cela puisse intéresser…


De plus, dans les publicités, le sexisme est également encore bien trop souvent présent. La revue mensuelle Axelle publiait dans son édition de janvier 2015 le coup de colère de l’une de ses lectrices. Celle-ci expliquait avoir contacté le Jury d’Ethique Publicitaire ainsi que la Société Wallonne des eaux suite à sa campagne publicitaire radiophonique. Dans son témoignage pour Axelle, elle expliquait que le contenu de cette publicité était le suivant : « Quand un mec déménage et qu’il continue à payer sa facture d’eau… c’est comme quand il paye une pension alimentaire à son ex alors qu’il ne peut plus [10]. » Cette pub engendra la révolte de cette lectrice, elle s’explique : « Ça veut dire quoi ? Il serait aussi anodin de ne pas payer une pension alimentaire que de ne pas payer une facture d’eau [11] ? »


Dans la revue Axelle de février 2015, nous pouvons découvrir que le Jury d’Ethique Publicitaire a donné raison à cette lectrice ainsi qu’un extrait de sa réponse : « Le jury est d’avis que la question du paiement des pensions alimentaires est traitée de manière très légère dans ce spot alors qu’il s’agit d’une problématique grave et d’un sujet d’actualité sensible. (…) Le jury a demandé à l’annonceur de modifier la publicité en question et à défaut, de ne plus la diffuser [12]. »


Bref, il est possible d’éradiquer ces propos machistes, mais pour ce faire, il faut agir [13].

 

 

 


 

[1] Histoire du 8 mars – 8 mars, voir à ce propos www.8mars.info.
[2] Qu’est-ce que le harcèlement de rue ? / Stop harcèlement de rue !, voir à ce propos www.stopharcelementderue.org.
[3] Julie Harlet, « Encore une féministe frustrée »., in Femmes plurielles, Bruxelles, décembre 2014, n°48, p. 10-11.
[4] Une étudiante belge dénonce le harcèlement de rue en caméra cachée, voir à ce propos http://www.madmoizelle.com/etudiante-filme-harcelement-verbal-117901
[5] Au Pérou, les harceleurs de rue piégés par leurs mères (vidéo), voir à ce propos http://www.lesoir.be/770725/article/economie/vie-du-net/2015-01-28/au-perou-harceleurs-rue-pieges-par-leurs-meres-video
[6] Projet crocodiles, voir à ce propos http://projetcrocodiles.tumblr.com/post/86299616713/pour-plus-de-clarte-jai-change-un-peu-de
[7] Je suis à l’heure – Nikon Film Festival, voir à ce propos http://www.festivalnikon.fr/video/2014/139
[8] Projet crocodiles, voir à ce propos http://projetcrocodiles.tumblr.com/post/86299616713/pour-plus-de-clarte-jai-change-un-peu-de
[9] Projet crocodiles, voir à ce propos http://projetcrocodiles.tumblr.com/post/86299616713/pour-plus-de-clarte-jai-change-un-peu-de
[10] Anne B., « Et vous, qu’est-ce qui vous révolte ? / Pub sexiste », in Axelle, Bruxelles, n°175, janvier 2015, p.7.
[11] Idem.
[12] « Et vous, qu’est-ce qui vous révolte ? / Une révolte qui a porté ses fruits », in Axelle, Bruxelles, n°176, février 2015, p.9.
[13] Analyse rédigée par Audrey Dessy, stagiaire (Master en criminologie, ULg) chez Couples et Familles.

 

 

 

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