Analyse 2015-06

A l’occasion du Synode sur la famille qui s’est tenu en octobre 2014, le pape François a appelé à la créativité, à l’ouverture aux « surprises de Dieu », ce que Vatican II appelait « les signes des temps ». Une manière de considérer que la foi ou le dogme ne sont pas indépendants des événements historiques auxquels ils sont confrontés. Pour Couples et Familles, les réalités vécues par les familles d’aujourd’hui demandent de se diriger vers une révision doctrinale. C’est d’ailleurs dans ce sens que l’association a répondu au questionnaire préparatoire à la deuxième session du Synode.  

 

Lors d’un entretien avec la presse, dans l’avion qui le ramenait de Rio le 28 juillet 2013, le Pape François avait annoncé que ce Synode traiterait de la pastorale du mariage, dans sa globalité. Quelques semaines plus tard, s’adressant aux prêtres de Rome, il les avait encouragés à davantage de « créativité courageuse », évoquant la question des divorcés-remariés. Il en appelait aussi à ouvrir l’attention de l’Église aux « périphéries existentielles ». Sans doute évoquait-il ainsi les situations de vie qui ne répondaient pas aux critères de l’enseignement de Église, d’autant qu’il précisait notamment souhaiter que soit réservé un « accueil cordial » aux couples non-mariés.


Mais ces appels à une autre approche des réalités contemporaines de la vie des couples et des familles devaient se doubler d’une préparation et d’un déroulement inédit de ce Synode extraordinaire avec, plus particulièrement, un premier questionnaire adressé à tous les diocèses, questionnaire auquel notre association s’était intéressée, et dont l’essentiel de sa participation a fait l’objet de l’analyse 2014-03 [1].


Octobre 2014 : le Synode


Ce Synode apporta ce qu’il apporta : des questions en suspens, précisément sur les questions les plus sensibles relatives aux divorcés remariés, aux couples non-mariés et aux personnes homosexuelles. Des paragraphes y avaient bien été consacrés dans les textes soumis au vote de l’assemblée des évêques, mais bien qu’ils aient été moins ouverts que dans le rapport intermédiaire, ils n’avaient pas réuni le quorum des deux-tiers requis pour être considérés comme proposition du Synode pour revisiter les positons officielles de l’Église eu égard aux valeurs réellement vécues par une série de personnes, sans que leur situation puisse être accueillies par l’Église catholique. Une seconde analyse fit d’ailleurs l’objet de la situation nouvelle née de ce que le vocabulaire vatican appelle relatio synodi, texte approuvé par la majorité des deux-tiers des évêques lors de ce Synode extraordinaire [2] d’octobre 2014.


Quel suivi ?


Dans l’homélie qu’il prononça le 19 octobre à la célébration de sa clôture, célébration qu’il avait voulue simultanée à l’hommage de béatification rendu au Pape Paul VI, le Pape François eut des paroles fortes qui confirmaient sa volonté de voir le suivi de ce qui venait d’être avalisé par le Synode, s’effectuer dans un esprit de rencontre des réalités contemporaines. Il y dit en effet : « C’est la nouveauté éternelle à découvrir chaque jour, en vainquant la peur que nous éprouvons souvent devant les surprises de Dieu. Lui n’a pas peur de la nouveauté ! C’est pourquoi, il nous surprend continuellement, nous ouvrant et nous conduisant par des chemins imprévus. Il nous renouvelle, c’est-à-dire qu’il nous fait nouveaux, continuellement. Un chrétien qui vit l’Évangile est la nouveauté de Dieu dans l’Église et dans le monde. Et Dieu aime beaucoup cette nouveauté [3] ! »


Dans le discours qu’il avait prononcé la veille dans la salle même du Synode, après avoir souligné qu’il y avait eu « des moments de consolation et de grâce et de réconfort », il avait aussi évoqué « des moments de désolation, de tension et de tentations » dont il avait esquissé quelques profils dont notamment « la tentation du raidissement hostile, c’est-à-dire vouloir s’enfermer dans ce qui est écrit (la lettre) et ne pas se laisser surprendre par Dieu, par le Dieu des surprises (l’esprit) ; à l’intérieur de la loi, de la certitude de ce que nous connaissons et non pas de ce que nous devons encore apprendre et atteindre. Depuis l’époque de Jésus c’est la tentation des zélés, des scrupuleux, des attentifs et de ceux qu’on appelle – aujourd’hui – traditionalistes. » Mais aussi « la tentation de l’angélisme destructeur, qui au nom d’une miséricorde trompeuse bande les blessures sans d’abord les soigner ni les traiter ; qui s’attaque aux symptômes et pas aux causes et aux racines. C’est la tentation des bien-pensants, des timorés et aussi de ceux qu’on appelle progressistes et libéralistes ». Il n’y avait pas là de quoi s’inquiéter, au contraire, puisqu’il ajoutait : « Personnellement, je me serais beaucoup inquiété et attristé s’il n’y avait pas eu ces tentations et ces discussions animées [4] ».


Deux profils qui nous semblent plus concerner les deux extrêmes des ailes « traditionaliste » et « libéraliste » alors qu’il nous semble que dans les deux tendances, plus au centre sans doute, nombre d’Evêques n’étaient pas « scrupuleux » bien que plus enclins à la prudence qu’à la confiance, comme nombre d’autres n’étaient pas des « timorés » parce qu’à l’écoute des souffrances concrètement vécues.


Anciens et modernes ?


Querelle des anciens et des modernes ? De toute évidence, et comme dans tous les domaines en effet, mais avec cette connotation supplémentaire en ce qui concerne le religieux, et particulièrement le « catholique », que, pour les uns comme pour les autres, c’est de « la vérité » ou tout au moins du moyen le plus pertinent de l’approcher dont il est question.


Pour Gaston Piétri, prêtre de l’équipe diocésaine de formation d’Ajaccio et auteur de « De Voltaire à la liberté religieuse, de la tolérance à la véritable liberté », l’événement Jésus-Christ, pivot de l’Histoire, n’a pas pour autant arrêté son cours [5]. Chaque événement affecte le sort des humains et donc la foi elle-même, puisque pour le croyant, c’est toute l’existence qui est rencontre de l’Homme avec Dieu. La question qui se pose dès lors à chacun de ces événements – que l’on songe à la shoah par exemple : quel salut pour les hommes, avec ou sans l’Eglise, avec ou sans Jésus-Christ ?


Est-ce dans cet esprit-là que s’inscrit le Pape François lorsqu’il affirme que « C’est la nouveauté éternelle à découvrir chaque jour, en vainquant la peur que nous éprouvons souvent devant les surprises de Dieu [6] » ?


Les signes des temps


Mais pour Gaston Piétri, parlant du temps, il ne parle pas seulement de chronologie, du Chronos des évènements, mais de leur Kairos, soit de leur capacité de résonance sur l’Histoire ce qui, pour le Chrétien, peut s’entendre comme des « rendez-vous » de Dieu dans l’Histoire. C’est dire que pour lui, la foi n’est pas un « en soi » que l’on peut isoler de ses modes d’expression qui, tous, prennent corps au sein d’une culture donnée à un moment de l’Histoire.


Dans cette perception, ce qu’on appelle dogme ne saurait donc prendre sens qu’en rapport à une situation historique déterminée, en cohérence avec la foi qui est elle-même reconnaissance de l’Eternel réellement engagée dans le temps. Le Concile Vatican II avait affronté ce constat dans la constitution « Gaudium et Spes », sur la présence de l’Eglise dans le monde de ce temps. Il affirmera que le genre humain vit un âge nouveau caractérisé par des mutations profondes et rapides qui s’étendent à l’ensemble du monde, une véritable métamorphose sociale et culturelle. Depuis, les bouleversements se sont multipliés et nous sommes confrontés à un questionnement radical, quand ce n’est pas à des crises déroutantes.


Dans ce contexte totalement bouleversé, l’Eglise catholique ne peut se vivre et ne peut se comprendre que confrontée à ce qui n’est pas elle, et au fait qu’elle ne saurait être la vérité pour toutes et tous. Elle commence à comprendre de manière nouvelle ce que peut vouloir dire être dans le monde sans être du monde (Jn 17,16). A découvrir en conséquence aussi qu’elle n’est pas appelée à régir la société comme elle l’a trop longtemps cru, mais à témoigner de l’intérêt qu’elle a pour l’humanité dans son évolution et son devenir. Vatican II en avait pris acte et avait fait place dans cet esprit à une catégorie qu’il appela les « signes des temps ». Cela implique un décryptage dans la foi, c’est-à-dire dans l’esprit des évangiles, de ces signes, de ces évolutions et des valeurs que tentent d’y vivre les femmes et les hommes d’aujourd’hui.


« Gaudium et Spes » précisera (n°4, §1) : « L’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux éternelles questions de l’homme sur le sens de la vie présente et future, et sur leurs relations réciproques [7] ». Or, ces signes ne cessent de changer, par définition, et celles et ceux qui les vivent ont droit à entendre une parole respectueuse des interrogations qu’ils portent en eux.


Gaston Piétri ne paraphrase-t-il pas le Pape François lorsqu’il affirme : « La foi n’existe que si elle est interrogée : Dieu a partie liée avec l’imprévu » ?


Rendre le futur vivant


La tradition ne saurait donc être pure répétition, car elle perdrait alors tout lien avec le vivant. Elle ne ferait que de s’évertuer à faire projet « d’un futur déjà mort », terme emprunté à Dominique Collin dans son homélie de l’office des ténèbres de ce Samedi Saint [8]. Ainsi de ces femmes qui se rendent au tombeau pour embaumer un corps qui déjà n’est plus là : une intention louable mais déjà sans objet.


C’est habité de cet esprit que l’association Couples et Familles s’est évertuée cette fois encore à répondre au questionnaire que le Vatican a adressé à tous les diocèses du monde en préparation du Synode que son assemblée ordinaire consacrera à la famille en octobre 2015. Bien que nous ayons apporté réponse à toutes les questions du questionnaire – 5 questions préalables au questionnaire lui-même qui en comprenait 46 – nous n’en donnons ci-après que les aspects qui nous paraissent essentiels et forment en quelque sorte les positions que Couples et Familles entend défendre au sein de la société [9].


Dans les réponses données aux questions préalables, nous nous sommes notamment étonnés que la notion d’amour entre les partenaires du couple, sans lequel pourtant ne se fonde aucune famille, était pratiquement absente du rapport synodal comme du questionnaire. Ne serait-ce pas de ce côté que devrait naître une véritable théologie de l’amour dans les couples ?


Comment ne pas s’étonner aussi que les questions démographiques n’y sont abordées que sous l’angle de la dénatalité, phénomène que ne connaissent que certains pays occidentaux, sans que ne soit même abordée la question de la surpopulation au niveau mondial.


Silence aussi sur ce qui est à nos yeux un des éléments essentiels de l’évolution de l’humanité au cours des deux derniers siècles : la lente émergence d’une perception nouvelle de la sexualité, fondée sur les découvertes scientifiques relatives à la transmission de la vie et, conjointement, une totale remise en cause des relations entre la femme et l’homme, générateur de nouveaux modes de pensée et de comportement.


Ne pas aborder de front et sans réticence le lien interpersonnel fondateur des couples, tous les aspects de la démographie et l’effondrement du patriarcat lors d’une réflexion en profondeur sur la famille contemporaine en devenir, ne serait-ce pas, en tant qu’Eglise catholique qui sait que sa parole a un impact non seulement sur la conscience de celles et ceux qui s’en reconnaissent, mais sur l’ensemble de la société, ne pas répondre à l’appel des « signes des temps » pour les rendre plus vivants ?


Nos réponses aux questions les plus interpellantes


Par ailleurs, voici les réponses aux questions que nous avons considérées comme les plus interpellantes du document romain.


Question 20
Comment aider à comprendre que personne n’est exclu de la miséricorde de Dieu et comment exprimer cette vérité dans l’action pastorale de l’Église envers les familles, en particulier celles qui sont blessées et fragiles ?


Pour aider à comprendre, ne faut-il pas d’abord écouter et ne pas mettre en doute leur réelle volonté d’aimer.


A nos yeux en effet, un regard de miséricorde ne suffit pas pour faire comprendre la miséricorde de Dieu, mais il faut travailler avec eux pour réfléchir à ce que leur vécu nous pose comme questions.


A la lumière de celles-ci, n’y aurait-il pas lieu de repenser la dynamique du « mariage sacramentel », non seulement du seul point de vue pastoral, mais du point de vue de la doctrine même ? Une telle interrogation devrait s’effectuer dans l’esprit de notre réponse à la question 9, soit en élaborant un cheminement vers le sacrement, en tenant compte des étapes de la vie, mais aussi de ce que d’une manière de plus en plus universelle, ce qui fonde la constitution des couples est l’amour réciproque, et de moins en moins des motivations institutionnelles en vue de maintenir la lignée ou de transmettre un héritage ou un patrimoine.


Question 21
Comment les fidèles peuvent-ils montrer à l’égard des personnes qui ne sont pas encore parvenues à la pleine compréhension du don d’amour du Christ, une attitude d’accueil et d’accompagnement confiant, sans jamais renoncer à l’annonce des exigences de l’Évangile ? (cf. n. 24)


Nous ne pouvons distinguer « fidèles » et « Eglise, peuple de Dieu » comme le dit Vatican II. C’est ensemble qu’à nos yeux, laïcs et sœurs et frères qui œuvrent dans et au nom de l’Institution devons élaborer cet accueil et cet accompagnement.


Dans ce contexte, la réponse nous paraît être de ne jamais juger de la dignité d’enfants de Dieu des autres. Or, trop souvent, même les paroles d’accueil de la particularité ou des difficultés des chemins des uns et des autres, et donc des nôtres aussi, ne peuvent être entendues comme des appels à aimer plus et mieux. Ils se font trop souvent culpabilisation et reproches de ne pas atteindre l’idéal évangélique, soit la perfection de l’amour. De la même manière, le terme « les exigences de l’Evangile » est souvent employé en référence à des normes morales plutôt qu’à un idéal d’amour.


Question 25
Dans l’annonce de l’Évangile de la famille, comment peut-on créer les conditions permettant à chaque famille d’être telle que Dieu la veut et d’être socialement reconnue dans sa dignité et dans sa mission ? Quelle « conversion pastorale » et quels approfondissements ultérieurs doivent être mis en œuvre dans cette direction ?


La « conversion pastorale » doit s’effectuer jusque dans son vocabulaire. C’est ainsi que dans les textes même de ce questionnaire, certaines expressions n’ont plus aucune chance d’être appréhendées par nombre de personnes, seraient-elles chrétiennes et même pratiquantes. Ainsi de « l’Evangile de la famille ». Ce concept peut être en effet compris comme un rejet a priori de parler du couple comme des diversités des réalités conjugales et familiales, alors que dans les évangiles, le terme « famille » n’apparaît même pas en tant que tel. Nous proposerions par exemple de le remplacer par : « Chemins d’Evangile pour les couples et les familles ».


Mais plus qu’une question de termes, c’est une véritable métanoia que nous semble devoir opérer la pastorale. N’y a-t-il pas lieu d’inverser son discours ? Plutôt que de le fonder sur une vérité « affirmée révélée » d’un idéal de vie conjugale et familiale, mettre en exergue « les valeurs humaines vécues dans les diverses formes d’union », en soulignant combien elles sont chemins, même s’ils sont tâtonnants et chaotiques, vers « la plénitude du plan de Dieu ».


Question 26
La collaboration, au service de la famille, avec les institutions sociales et politiques est-elle considérée dans toute son importance ? Comment est-elle concrètement mise en œuvre ? De quels critères s’inspire-t-on pour cela ? Quel rôle peuvent jouer en ce sens les associations familiales ? Comment cette collaboration peut-elle être également soutenue par une franche dénonciation des processus culturels, économiques et politiques qui minent la réalité familiale ?


La question semble inférer que les Chrétiens ne se considèrent pas comme des citoyens à part entière, engagés dès lors pleinement dans les réalités démocratiques, sociales et politiques, et donc dans les institutions propres au pays dans lequel ils vivent. Il nous paraît en effet que le terme « collaboration » les place à la marge de la société, prêts à appuyer ce qui leur semblerait juste et à « dénoncer franchement » ce qui les heurterait.


Les Chrétiens n’ont pas de réponses toutes faites, sorte de prêt-à-porter universel, aux questions qui se posent aux entités familiales. Ils ont à s’engager, avec un esprit de total respect des processus de décisions et de contestations démocratiques, dans la réflexion continue à mener pour y apporter réponse.


Question 36
Comment encourager la définition de lignes pastorales communes au niveau de l’Église particulière ? Comment développer à cet égard le dialogue entre les diverses Églises particulières « cum Petro e sub Petro » ?


Sans nier les difficultés ponctuelles qu’il y a à définir des lignes pastorales communes à toutes les Eglises particulières, serait-il responsable de ne pas tenir compte de la progression géométrique et planétaire de l’évolution structurelle des références de l’ensemble des populations. C’est une parole congruente de doctrine et de pastorale qu’attend le monde chrétien dans son ensemble, et même le monde entier. Telle est du moins notre conviction.


Par ailleurs, les Eglises particulières sont confrontées à des situations matérielles et culturelles particulières, par exemple en ce qui concerne les traditions locales autour du mariage, de la conception des rapports entre hommes et femmes, de l’acceptation de l’homosexualité, de la manière de considérer la contraception, etc., qui demandent donc des pastorales particulières. La famille étant fortement influencée par les conceptions culturelles particulières, les lignes pastorales communes devraient peut-être se limiter à de grandes inspirations et valeurs communes, en laissant aux Eglises particulières une plus grande autonomie sur la manière de les concrétiser.


Question 38
La pastorale sacramentelle à l’égard des divorcés remariés a besoin d’un approfondissement ultérieur, en évaluant la pratique orthodoxe et en tenant compte de « la distinction entre situation objective de péché et circonstances atténuantes » (n. 52). Quelles sont les perspectives au sein desquelles se situer ? Quelles avancées sont possibles ? Quelles suggestions pour remédier à des formes d’empêchement non dues ou non nécessaires ?


S’agirait-il d’effectuer de la sorte, a priori et en théorie, des distinctions qui dresseraient de nouveaux interdits de considérer comme pleinement réinsérées dans la communauté, des personnes, qui peut-être ont fauté de manière irréparable et sans « circonstances atténuantes », mais qui le reconnaissent, s’en repentent sincèrement et assument dans la mesure de leurs possibilités les conséquences de leur erreur ? Le divorcé serait-il moins pardonnable, par exemple, que celui qui a spolié son prochain, et à qui la participation à l’eucharistie est laissée au jugement de sa conscience ? A l’extrême, le serait-il moins que le criminel repenti ?


Question 40
Comment la communauté chrétienne accorde-t-elle son attention pastorale aux familles dont certaines personnes en leur sein ont une tendance homosexuelle ? En évitant toute discrimination injuste, de quelle façon est-il possible de s’occuper des personnes dans ces situations à la lumière de l’Évangile ? Comment leur proposer les exigences de la volonté de Dieu sur leur situation ?


L‘attention pastorale de la communauté chrétienne se limite généralement à de la commisération pour les familles confrontées à une telle situation. Couples et Familles, attentive aux difficultés de ces familles et plus encore à celles des personnes qui se rendent à l’évidence de ce type d’orientation sexuelle, a consacré récemment un dossier sur ce thème : « Coming out. Quand l’homosexualité survient ».


A nos yeux, l’Evangile ne suggère aucune piste qui puisse justifier une discrimination de quelque ordre que ce soit à l’égard de ces personnes. Nous ne percevons pas plus qui pourrait prétendre connaître « la volonté de Dieu » sur leur situation. Ce sont elles qui l’habitent et qui doivent, en elles, découvrir comment s’y épanouir humainement et chrétiennement, c’est-à-dire à l’écoute de la parole de l’Evangile.


Question 44
Comment l’Église combat-elle la plaie de l’avortement en favorisant une culture de la vie qui soit efficace ?


Mal est le premier mot qui nous est venu à l’esprit.


En effet, s’il y a une « plaie de l’avortement » à prendre en considération globalement, ce ne peut être à nos yeux que lorsqu’il y est recouru comme succédané normal à la contraception.


Bien que l’estimant dans tous les cas un échec sévère à la transmission de la vie et de plus une cause éventuelle de plaies individuelles graves, nous estimons que l’interruption volontaire de grossesse souhaitée suite à un échec de la contraception du fait d’inattention ou de recours à des méthodes inadéquates, ou encore suite à un viol, demanderait d’abord de la part de la pastorale, voire de la doctrine, une attention à la souffrance psychologique importante que vit la femme ou le couple qui sont amenés à penser y recourir.


Quand l’interruption est envisagée parce que le pronostic de handicap certain de l’embryon est médicalement incontournable, le refus d’un accompagnement du discernement, sans a priori quant à la décision que prendrons les parents ou que prendra la femme, empêche d’entendre les éléments du discernement et, a fortiori, les valeurs qui le sous-tendront.


Des risques de divisions ?


Bien qu’il en ait donc appelé, dès l’annonce de ces deux sessions synodales, à une « créativité courageuse », le Pape François, par la double stigmatisation qu’il a faite après le Synode extraordinaire d’octobre 2014 entre d’une part les réticents à tout changement en qualifiant leur attitude de « raidissement hostile », et d’autre part ceux qui y appellent, en traitant leur analyse d’« angélisme destructeur » donne l’impression qu’il craint devoir affronter une véritable confrontation entre deux plateaux d’une balance dont il se retrouverait l’aiguille.


Est-ce à cela qu’il se préparait, et préparait aussi les Evêques et les Cardinaux lors de la cérémonie de clôture – cf. note 6 ci-avant – lorsqu’il déclarait : « Et, comme j’ai osé vous le dire au début, il était nécessaire de vivre tout cela avec tranquillité, avec une paix intérieure également parce que le Synode se déroule cum Petro et sub Petro, et la présence du Pape est une garantie pour tous », et donc avec mais aussi sous l’autorité de Pierre, poursuivant d’ailleurs, pour clarifier sa pensée sans doute : « Parlons un peu du Pape, à présent, en relation avec les évêques... Donc, la tâche du Pape est de garantir l’unité de l’Eglise ; elle est de rappeler aux pasteurs que leur premier devoir est de nourrir le troupeau que le Seigneur leur a confié et chercher à accueillir – avec paternité et miséricorde et sans fausses craintes – les brebis égarées. Je me suis trompé ici. J’ai dit accueillir : aller les chercher. » Ce qui ne serait pas réglé par un « aggiornamento » de la règle serait récupéré par lui paternellement dans la miséricorde ?


De vives tensions se sont d’ailleurs exprimées publiquement au cours des dernières semaines. Le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et actuel président des évêques d’Allemagne, et que l’on sait proche du Pape, s’affirme par exemple convaincu que cette refonte de la doctrine de l’Eglise est indispensable. Aux yeux de certains, il anticipe d’ailleurs sur des décisions synodales qui pourraient être trop inadaptées aux réalités allemandes lorsqu’il affirme à la presse, le 24 février, en marge de l’assemblée de printemps des évêques d’Outre-Rhin, à Hildesheim (Basse-Saxe) : « Nous ne sommes pas juste une filière de Rome » et ajoute « Nous ne pouvons pas attendre qu’un Synode nous dise comment nous devons faire pour prendre un soin pastoral du mariage et de la famille » et annonce que les évêques allemands publieraient leur propre lettre pastorale sur le mariage et la famille après le prochain Synode.


C’est dire que des risques sérieux existent de voir des fossés se créer explicitement au sein de l’Eglise catholique dans le contexte de ce Synode.


Nous ne pourrions mieux clôturer cette analyse qu’en citant les derniers paragraphes de la conclusion de l’étude publiée à ce sujet par Ignace Berten, un collaborateur régulier de Couples et Familles, étude à laquelle nous renvoyons volontiers [10] : « S’il est exact que l’expression concrète de la miséricorde à laquelle appellent l’Évangile et le pape François n’est pas possible sans changement de la doctrine et si ce principe peut être admis, un espace s’ouvrira pour rencontrer les autres questions difficiles ou situations dites problématiques qui ont été touchées lors de cette première étape du Synode. Il est clair qu’il y a du chemin à faire. Mais le pape semble bien ouvert en ce sens. Une difficulté importante devra être affrontée. S’il est reconnu davantage de compétence doctrinale aux conférences épiscopales, et il faut certainement penser ici à un niveau continental, jusqu’où reconnaître une différence non seulement de sensibilité théologique, mais également d’options disciplinaires et doctrinales ? Comment le penser et le vivre sans ruptures, c’est-à-dire dans la communion d’une unique Église ? »

 

 

 


 

[1] Cf. « Quand l’Eglise catholique s’interroge sur les familles d’aujourd’hui. », analyse 2014-03 de Couples et Familles, rédigée par Jean Hinnekens, disponible sur www.couplesfamilles.be.
[2] Cf. « Synode sur la famille : à mi-chemin », analyse 2014-09 de Couples et Familles, rédigée par José Gérard, disponible sur www.couplesfamilles.be.
[3] http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2014/documents/papa-francesco_20141019_omelia-chiusura-sinodo-beatificazione-paolo-vi.html
[4] http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2014/october/documents/papa-francesco_20141018_conclusione-sinodo-dei-vescovi.html
[5] ce texte a été largement inspiré par l’article publié par Gaston Piétri dans le numéro 4204 de la revue « Etvdes » d’avril 2014, intitulé « Continuité et Nouveauté », page 53.
[6] http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2014/documents/papa-francesco_20141019_omelia-chiusura-sinodo-beatificazione-paolo-vi.html
[7] http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_cons_19651207_gaudium-et-spes_fr.html
[8] http://www.precheurs.be/index.php/fr/dernieres-homelies/dernieres-homelies-3/item/vigile-pascale-2015
[9] L’intégralité du document qui a été transmis à la Conférence épiscopale peut-être consulté sur < >
[10] synode-sur-la-famille.-ses-enjeux-par-ignace-berten-6.pdf
[11] Analyse rédigée par Jean Hinnekens.

 

 

 

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