Analyse 2015-07

  Pour vivre longtemps, il n’y a pas d’autre solution que de vieillir. La question du vieillissement se pose donc à chacun, souvent pour les proches dans un premier temps, puis pour soi-même. Si cette question survient dans un premier temps dans la sphère privée, il y a tout intérêt à l’élargir à une analyse du fonctionnement de la société vis-à-vis des aînés. Une véritable démarche d’éducation permanente. 

 

 

La question du grand âge se pose avec de plus en plus d’insistance dans les sociétés développées. Le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans et le pourcentage de la population qu’elles représentent. Si les plus de 80 ans représentaient 0,77% de la population en 1846 en Belgique, ils représentaient en 2005 4,30% et 5,30% en 2013. Quant aux plus de 60 ans, ils représentaient 8,94% de la population en 1846 et 21,98% en 2005.


Cette question interpelle bien évidemment les politiques, puisqu’il s’agit d’assurer le bien-être de ces personnes âgées tout en garantissant le financement des différentes politiques, puisque la proportion entre actifs et non actifs se modifie de manière significative et que, à ce jour, les pensions continuent d’être alimentées par les revenus du travail, c’est-à-dire par la proportion de citoyens actifs qui ne cesse de décroître.


Mais pour les personnes, cette question se pose d’abord dans le cadre familial, lorsque le vieillissement d’un proche demande une prise en charge. Dans ce cadre, Couples et Familles a déjà été amenée plusieurs fois à s’interroger sur la question, par des angles d’approches différents.


Une préoccupation récurrente


En 2001 déjà, Couples et Familles avait publié l’étude « Que fait-on de no(u)s vieux ? ». Une double préoccupation guidait celle-ci. C’était à l’époque le début de l’augmentation exponentielle du nombre de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’autres types de démence sénile, et cela posait aux familles touchées des questions difficiles de prise en charge, mais cela posait aussi la question fondamentale du lien et du sens de la vie. Que reste-t-il du lien entre les personnes quand l’une d’elles est atteinte de démence et quelles questions cela pose-t-il au sens de la vie. Une question éthique fondamentale qui peut amener des réponses diverses, mais que l’on ne peut s’abstenir de se poser ou de poser dans le débat public. La deuxième préoccupation à l’origine de cette étude était l’implication privée et collective dans la prise en charge du grand âge. Si la question se pose en première ligne dans les familles, il s’agit aussi d’une préoccupation collective, de société et de politiques sociales à mettre en place.


Plus récemment, en 2013, l’étude « Femmes soutiens de familles » prenait un biais plus « genré » pour aborder la question. En effet, si l’on peut s’interroger sur le poids que représente la prise en charge des aînés qui deviennent dépendants, on ne peut ignorer que cette prise en charge est majoritairement le fait des femmes. Des femmes qui souvent sont encore actives professionnellement, ont à gérer leur propre vie quotidienne et de surcroit sont souvent appelées en renfort ou en dépannage par leurs enfants pour la garde des petits-enfants malades ou en congés scolaires. L’égalité entre hommes et femmes et le partage équitable des tâches se trouve ici clairement mis en question. Pas seulement au niveau individuel pour chaque entité familiale, mais aussi au niveau sociétal, puisque les représentations sociales de la femme au service des proches sont toujours entretenues par certains discours.


En 2001, l’étude « Et si nous habitions autrement ? » faisait suite à un colloque organisé par Couples et Familles à Louvain-la-Neuve. On assistait à l’époque à la multiplication de projets d’habitat groupé, dont une partie significative avait pour but de mettre en place des solutions innovantes pour les personnes vieillissantes. C’est ainsi que le « Béguinage » avait été créé à Louvain-la-Neuve, mais qu’apparaissaient aussi en Belgique les premières maisons Abbeyfield, visant à offrir aux seniors des lieux de vie conviviaux, avec l’aide de volontaires pour un certain nombre de tâches. On a vu depuis se développer pas mal d’autres projets d’habitat groupé, pour diverses raisons, que ce soit la recherche d’un autre type de convivialité, la mise en commun de moyens ou une plus grande attention à l’écologie et au développement durable, mais la préoccupation intergénérationnelle reste fort présente dans le secteur.


Très récemment, début 2015, l’étude « Dis-moi où tu habites… » faisait apparaître les liens entre le type d’habitat que l’on occupe et le type de relations que l’on peut entretenir. Cela se marque jusqu’au grand âge, avec une tendance de plus en plus marquée des personnes d’anticiper leur vieillissement en adaptant leur logement, en changeant de domicile voire en s’inscrivant dans un projet plus collectif pour rendre leur vie quotidienne la moins problématique possible lorsque la mobilité ou les capacités diminueront.


Il fait si bon vieillir ?


Le Cefoc a organisé en juin 2015 un week-end de formation sur la question du vieillissement, sous le titre « Il fait si bon vieillir ? ». Couples et Familles a été associée à la préparation de ce week-end de formation, sur base des différentes recherches déjà effectuées et évoquées ci-dessus. Dans le cadre de ce week-end de réflexion, couples et Familles a voulu attirer l’attention sur le fait que la manière dont la question de la prise en charge des aînés survient dans la vie des personnes puis invite à un processus évolutif est fort proche d’une démarche d’éducation permanente.


En effet, au départ, on se pose souvent la question pour un proche.


Un parent âgé commence à avoir du mal à faire ses courses, à se déplacer, à gérer sa santé ou ses démarches administratives et il faut intervenir pour lui donner un coup de main. Généralement, quand les circonstances le permettent (quand on n’habite pas trop loin par exemple), on intervient spontanément. La situation appelle une intervention et on y répond sans trop se poser de questions. Les personnes qui répondent ainsi spontanément à une demande d’aide ne sont par exemple pas nécessairement conscientes du fait que les aides risquent de devenir de plus en plus importantes et obliger à un investissement de plus en plus significatif, alors que leur énergie ne va pas nécessairement suivre la même courbe. A ce stade, les personnes se demandent simplement comment elles peuvent intervenir pour que la vie du proche corresponde au mieux à ses aspirations et soit la meilleure possible.


Dans un deuxième temps, plus ou moins vite selon les configurations familiales, la personne aidante va essayer que la question soit posée plus largement. Elle va en parler avec ses frères et sœurs et le parent auquel il s’agit de venir en aide, voir comment chacun voit les choses, ce que chacun est prêt à investir, quels choix il faut éventuellement poser. Et les questions à débattre ensemble peuvent être d’ordres très différents selon les situations particulières. Faut-il chercher un autre logement, penser à une maison de repos, à une autre solution ? Faut-il recourir à des aides extérieures ? A quels droits la personne peut-elle accéder ? Etc. Cette préoccupation pourra éventuellement être élargie aux amis et voisins du parent. Comment chacun peut-il intervenir pour veiller à la vie la meilleure possible du proche ?


En corollaire ou parallèlement, on se posera sans doute la question pour soi-même. On se dit que le parent qui devient plus dépendant aurait dû anticiper la situation. Envisager tant qu’il en avait encore l’énergie le déménagement vers un domicile plus petit, plus facile à entretenir, plus proche de commerces, avec moins d’escaliers, plus proche de celui d’un des enfants, etc. Si un changement important s’avère nécessaire, le déracinement et le deuil éventuel auraient sans doute été moins difficiles dix années plus tôt. La personne se dit donc souvent qu’elle ferait bien de se poser sérieusement la question pour elle-même : n’est-il pas temps de mettre en place certaines choses pour préparer l’avancée en âge ?


Après avoir échangé avec les frères et sœurs, avec les proches, on essaie souvent de faire l’inventaire des services auxquels on peut recourir, qu’il s’agisse d’offres privées ou publiques. Que ce soit pour le maintien au domicile ou dans les types d’hébergements extérieurs. Il n’est pas toujours simple de s’y retrouver et l’on peut solliciter l’aide de sa commune, de sa mutuelle, voire d’autres services associatifs ou privés.


Enfin, les questions pratiques que l’on rencontre au quotidien amèneront souvent à analyser le fonctionnement de la société et à porter un regard critique sur celle-ci.


Quelle est la place que l’on réserve par exemple aux ainés dans la société ? Est-ce qu’on les considère comme des personnes à part entière, qui ont des droits, qui souhaitent garder l’autonomie dans leurs décisions, même s’ils deviennent davantage dépendants, etc. ?


Comment est-ce que cette reconnaissance des aînés se marque-t-elle concrètement, par quelle offre de services, quelles aides financières, etc. ?


On s’interrogera peut-être aussi sur le fonctionnement des maisons de repos, sur le fait qu’elles sont devenues, comme les hôpitaux, un secteur économique important, qui doit donc répondre à des normes de rentabilité, et que cela entraine souvent une perte d’encadrement humain au sein de celles-ci.


On sera peut-être aussi amenés à dénoncer les dysfonctionnements, à militer pour d’autres réponses politiques à la problématique, à mettre éventuellement sur pied des solidarités locales pour répondre à certains besoins qui ne sont pas rencontrés. Cela peut se faire de diverses manières : rejoindre un comité de résidents dans une maison de repos pour relayer les questions rencontrées dans la prise en charge du parent, s’engager dans un service d’une mutuelle à destination des aînés, sensibiliser des parlementaires à certaines réalités sociales vécues par les aînés, etc.


Un chemin d’éducation permanente


Cette manière de réagir, c’est un chemin très quotidien vécu par de nombreuses personnes confrontées à la prise en charge d’un parent vieillissant. Chacun y réagit bien sûr selon son tempérament. Certains s’engageront davantage dans le soin individuel et la relation interpersonnelle, d’autres seront plus sensibles à dénoncer les dysfonctionnements et à favoriser de nouvelles initiatives publiques.


Pour Couples et Familles, il s’agit véritablement d’un processus d’éducation permanente. En effet, les personnes partent de questions qui les touchent au quotidien, qui les interpellent, qui sollicitent leur réaction et leur intervention.


Après une première phase de réaction, les personnes prennent un peu de recul et commencent à réfléchir, à analyse la situation, à essayer de déterminer quelle est la meilleure manière de réagir.


Ensuite, elles en parlent avec les proches, confrontent les points de vue, essaient de déterminer une position commune et de voir quelles actions elles peuvent mettre en place pour réagir au mieux ensemble.


Vient ensuite le point de vue sociétal : qu’est-ce que la société a mis en place, comment fonctionne-t-elle, qu’est-ce qui ne fonctionne pas bien ?


Et puis enfin on essaie de voir ce qui pourrait changer, quels sont les changements les plus urgents ou prioritaires et quelles démarches entreprendre pour que ces changements aient une chance de se traduire dans la réalité. Dans le secteur de la prise en charge des besoins sociaux, qui ne font qu’évoluer avec le temps, notamment en raison des évolutions démographiques, c’est toujours de cette manière que la société peut avancer. Le rôle des associations d’éducation permanente comme Couples et Familles est sans doute d’apporter les outils nécessaires pour inviter à cette réflexion et ce regard critique [1].

 

 

 


 

[1] Analyse rédigée par José Gérard au départ de son intervention dans le week-end de formation du Cefoc « Il fait si bon vieillir ? », organisé à La Marlagne les 13 et 14 juin 2015.

 

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