Analyse 2016-06

 

Homosexuels, transsexuels et transgenre sont-ils les bienvenus dans les Eglises, en particulier l’Eglise catholique ? Et peuvent-ils prétendre à une démarche spirituelle ? La question a donné lieu à débat lors d’un atelier organisé lors de Rivespérance 2016 à Namur le 5 novembre 2016. Une confrontation de points de vue qui permet de faire avancer la réflexion. 

Dans certains milieux – pensons aux manifestations en France contre le mariage pour tous – il est fréquent de considérer que « la théorie du genre » implique une volonté de détruire la famille classique et d’instaurer une vision où l’identité sexuelle se choisit et se modifie au gré des humeurs du moment. Dans ce contexte, le récent rassemblement « Rivespérance 2016 », organisé à Namur par la revue catholique de spiritualité « Rivages », proposait un atelier de réflexion intitulé : « Transgenre, transexuels, homosexuels : tous chercheurs de Dieu ? ». En sous-titre : « La recherche de notre identité peut-elle nous amener à chercher Dieu ? ». En d’autres mots : le questionnement d’une personne quant à son identité ou son orientation sexuelle est-il un obstacle ou un terreau favorable à une démarche spirituelle ?

Pour traiter de cette question, trois personnes avaient été invitées à présenter leur point de vue particulier : Michel Elias, de la communauté du Christ libérateur [1], une association de chrétiens homosexuels ; José Gérard, pour l’association Couples et Familles ; et Ignace Berten, en tant que théologien et éthicien catholique.

Les participants à l’atelier étaient une vingtaine, d’âges et de profils assez divers. Quelques étudiants de l’Université de Namur qui avaient choisi cet atelier pour réaliser un travail pour leur cours de sciences religieuses ; un groupe de quelques jeunes d’origine africaine venus d’une paroisse bruxelloise, qui s’interrogeaient sur la position de l’Eglise catholique vis-à-vis des homosexuels et transgenre ; quelques représentants de la communauté du Christ libérateur ; et enfin quelques personnes qui se préoccupaient de la question en tant que parents ou proches de personnes homosexuelles ou transgenre. La diversité des profils des participants et de leurs préoccupations fit d’ailleurs la richesse des échanges et des partages de points de vue. A noter que tous les participants ont fait preuve d’une grande écoute et qu’aucun n’a saisi l’occasion de cet atelier pour livrer un discours unilatéral.

Faut-il se méfier de la « théorie du genre » ?

Même si certains parlent systématiquement d’une « théorie du genre », il faut rappeler qu’il n’existe pas une seule théorie du genre, mais un concept de genre et des études de genre assez diverses, qui étudient la manière dont une société ou une culture associent au sexe des personnes un certain nombre de comportements, de rôles, de fonctions dans la société.

Pour Couples et Familles, en tant qu’association familiale, le concept de genre est d’abord un concept qui permet d’analyser les relations entre hommes et femmes au départ de ce que la société ou la culture considère comme constitutif de ce qu’est un homme, de ce qu’est une femme, des rôles et fonctions que l’on attribue aux uns et aux autres. Et ceci n’est pas une préoccupation purement théorique, mais vient du fait que ces rôles et fonctions assignés aux hommes et aux femmes ont été à la base et ont servi à justifier les inégalités et les discriminations entre les sexes tout au long de l’histoire, voire la domination d’un sexe sur l’autre, ce que l’on appelle habituellement la société patriarcale. 

Ces dernières dizaines d’années, les mouvements de femmes ont lutté pour l’égalité. Mais de manière plus globale, à côté de la recherche d’égalité entre hommes et femmes, l’idée s’est imposée qu’il était  bénéfique, en particulier pour l’épanouissement des enfants et pour l’équilibre familial, que l’homme et la femme aient tous deux des revenus propres et une insertion professionnelle dans la société.

Dans la foulée, une deuxième préoccupation autour du concept de genre a pris une place importante dans la vie des familles. En effet, conscients des inégalités et des discriminations qui découlaient des stéréotypes associés aux genres, de nombreux parents sont attentifs à ne pas inculquer à leurs enfants, même involontairement,  des stéréotypes de genre : la petite fille infirmière et le garçon ingénieur, ou la petite fille se consacrant au soin des autres et le petit garçon actif dans l’ordre de la production. Si l’on feuillette les catalogues de jouets, il est très clair qu’il y a les jouets pour les garçons et les jouets pour les filles. De nombreuses études ont déjà été faites à ce sujet.

Dans la pratique de Couples et Familles

En tant qu’association d’éducation permanente qui travaille sur les questions relationnelles et familiales, la préoccupation de l’égalité hommes/femmes est une préoccupation transversale dans toutes les activités de Couples et Familles. Mais, de manière plus spécifique, ces questions ont été abordées ces dernières années sous deux angles particuliers.

La première de ces démarches spécifiques a abouti à la publication d’un dossier intitulé « Coming out. Quand l’homosexualité survient… » [2] La question de départ : qu’est-ce qui se passe dans une famille où l’homosexualité s’invite ? Généralement, c’est un choc. L’homosexualité fait rarement partie des rêves des parents pour leurs enfants.

Mais quelles que soient les opinions plus ou moins ouvertes que pouvaient avoir les parents avant la révélation de l’homosexualité d’un enfant, ils abordent alors le plus souvent cette question de manière pratique et non pas théorique. Bien sûr, encore aujourd’hui, certains homosexuels sont rejetés par leur famille, de manière plus ou moins durable. Mais pour la plupart, une fois le choc passé, les parents sont conscients qu’il ne s’agit pas d’une maladie, d’une perversion ou d’une fantaisie et ils souhaitent aider leur enfant à grandir dans un chemin d’épanouissement. Ils sont bien conscients que la société n’est pas encore totalement exempte d’attitudes de moqueries, de rejets, de discriminations. Et que leur enfant aura sans doute à en souffrir.

Promouvoir l’épanouissement de leur enfant, c’est espérer pour lui une insertion sociale réussie, une ouverture à des valeurs et à des préoccupations citoyennes et spirituelles, c’est aussi espérer qu’il pourra entretenir des relations affectives et amoureuses riches, jusqu’à un projet de famille s’il le souhaite. Ce sont en fait les préoccupations de tout parent pour n’importe lequel de ses enfants, mais dans un contexte comportant des difficultés particulières.

À noter que cette question de l’homosexualité ne survient pas nécessairement à l’adolescence. Il n’est pas rare que des personnes qui ont voulu nier leur orientation homosexuelle et se sont engagées dans un couple hétéro décident après vingt ans de vie en couple hétérosexuel de ne plus se mentir à eux-mêmes et aux autres. Là aussi, le choc est parfois douloureux.

On peut étendre cette réflexion aux jeunes qui ne se sentent pas bien dans leur genre, qui se sentent garçon dans un corps de fille ou l’inverse. Là aussi, pour une association familiale comme Couples et Familles, le souci premier est de voir ces personnes trouver un chemin d’épanouissement malgré les difficultés qu’ils risquent de rencontrer.

La deuxième démarche a abouti à l’organisation d’un colloque qui s’intitulait : « Qui a peur du genre ? ». C’était à l’époque où de grandes manifestations étaient organisées en France contre le mariage pour tous et où de nombreuses voix condamnaient sans appel ce qu’ils appelaient la théorie du genre. Pour les détracteurs, il apparaissait que le concept de genre visait à nier la différence homme/femme, à vouloir la fin de la famille traditionnelle et à prôner la possibilité de changer d’identité de genre selon sa fantaisie. Un peu comme si porter un regard critique sur les rôles que l’on assigne aux hommes et aux femmes conduisait automatiquement à remettre en cause les identités sexuelles.

Il n’y a pourtant pas de raison à ce que ce passage soit automatique. Les personnes qui se sentent mal dans leur identité sexuelle et qui entament une démarche pour se sentir davantage en harmonie avec eux-mêmes ne le font pas par fantaisie.

Considérer qu’utiliser le concept de genre conduit à attaquer la famille, c’est aussi nier d’une certaine manière tout le travail qui a été fait dans les associations au départ de ce concept pour promouvoir une plus grande égalité entre hommes et femmes et donc des projets familiaux riches.

Démarche spirituelle et questions de genre

Lors de l’atelier, le théologien Ignace Berten a rappelé que, par le passé, homosexualité et démarche spirituelle étaient incompatibles. « Comme on le sait, et pendant très longtemps, la Bible en témoigne, on a considéré l’homosexualité comme une perversion morale. Toute possibilité de rapport entre homosexualité et spiritualité était donc exclue. Au tournant du vingtième siècle, on l’a considérée plutôt comme une maladie qu’il s’agit de soigner, voire de guérir : il arrive qu’on trouve encore une telle affirmation. Actuellement, il y a une évidence généralement admise : l’homosexualité est une tendance innée non choisie, et pour beaucoup source de souffrance. Pour l’Église, la personne homosexuelle doit donc être respectée et non discriminée. Au synode, le paragraphe qui rappelle cela, qui est explicitement affirmé dans le catéchisme de l’Église catholique, a tout juste obtenu les deux-tiers requis pour être accepté : c’est dire qu’il y a du chemin à faire.

Si l’Église accepte le fait de l’homosexualité, elle condamne cependant la relation homosexuelle. Typiquement, en France, lors des débats en vue de l’instauration du PACS, Pacte civil de solidarité, en 1999, l’Église a mis tout son poids pour empêcher le vote de la loi. Lors du débat sur le mariage pour tous, en 2013, une note de la Commission famille de l’épiscopat s’y est aussi opposée, mais en disant qu’après tout le PACS n’était pas si mauvais que cela, qu’on pouvait l’améliorer, qu’il était juste de reconnaître un statut à l’union homosexuelle, mais ajoutait la note à condition, du point de vue éthique, qu’il n’y ait pas de pratique homosexuelle au sein de couple… On voit le profond malaise de l’Église par rapport à l’homosexualité, et à toutes les situations ou positions qui ne correspondent pas à l’hétérosexualité classique. »

Pourtant, pour Couples et Familles, les questions qu’une personne peut se poser sur son identité, en particulier son identité sexuelle ou de genre, la rend peut-être plus qu’une autre disponible pour une démarche plus globale de recherche de sens. S’interroger sur son identité, c’est le lot de tout le monde. Qui suis-je, pour les autres et éventuellement au regard de Dieu pour les croyants, et quelle doit être ma vie ? Les homosexuels et transgenres ne se posent-ils pas la question avec une plus grande acuité ? Et cette interrogation sur soi-même ne peut-elle constituer une base très concrète et sérieuse pour une démarche spirituelle ? 

En outre, le message de l’évangile s’adresse en priorité à ceux qui sont rejetés, exclus. Le cœur du message de l’évangile est de mettre l’exclu au centre des préoccupations. Très souvent, et encore bien davantage dans d’autres régions du monde, ces personnes sont encore l’objet de discriminations et d’exclusion, voire de condamnations et d’éliminations. Cela ne les met-il pas d’office au centre des préoccupations que devraient avoir les communautés chrétiennes, mais aussi au centre des préoccupations à promouvoir dans la société.

Pourtant, si l’on regarde l’histoire récente de l’Eglise catholique, du moins dans ses instituions et ses textes officiels, les avancées sont encore assez timides vis-à-vis des homosexuels et carrément négatives vis-à-vis du concept de genre.

Entre le premier rapport intermédiaire du synode (octobre 2014) et le rapport final [3] (octobre 2015), on est passé d’une ouverture relative : « Les personnes homosexuelles ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne : sommes-nous en mesure d’accueillir ces personnes en leur garantissant un espace de fraternité dans nos communautés ? » à un texte qui ne parle même plus directement des personnes homosexuelles : « Au sujet des familles qui vivent l’expérience d’avoir en leur sein des personnes à tendance homosexuelle, l’Eglise réaffirme que toute personne, indépendamment de ses tendances sexuelles, doit être respectée dans sa dignité et écoutée avec respect, en prenant soin d’éviter toute marque de discrimination injuste. »

Quant à la « théorie du genre », il n’y eut même pas d’ouverture au début. L’Eglise continue d’envisager ladite théorie comme l’objet d’un complot international visant à faire pression sur les gouvernements nationaux en vue de l’imposer, en ce compris l’obligation de légaliser le mariage homosexuel. Tout cela sous peine de non accès aux subventions internationales. En octobre 2014, le texte disait donc déjà : « Il n’est de même pas acceptable que l’on veuille exercer des pressions sur l’attitude des pasteurs, ou que des organismes internationaux soumettent les aides financières à la condition d’introduire des lois s’inspirant de l’idéologie du gender. » Pas mieux un an plus tard, en octobre 2015, pour le texte final. L’insistance se fait même plus lourde : « Il n’y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille. Le synode considère quoi qu’il en soit comme inacceptable que les Eglises subissent des pressions en la matière et que les organismes internationaux conditionnent leurs aides financières aux pays pauvres à l’introduction de lois qui instituent le mariage entre personnes de même sexe. » 

Au niveau des textes officiels, la porte ne pourrait pas être davantage fermée et verrouillées. Pourtant, lors de l’atelier, plusieurs personnes, en particulier des membres de la communauté du Christ libérateur, faisaient remarquer d’une part que les textes officiels et l’Eglise institutionnelle ne faisaient pas toute l’Eglise, qui est d’abord une communauté de croyants, et d’autre part que, dans l’Eglise comme vis-à-vis de toute institution civile, il convient d’adopter une attitude adulte. Cette attitude adulte amène à prendre distance vis-à-vis des décisions que l’on ne partage pas et à le dire, voire à militer pour un changement. Couples et Familles rappelait d’ailleurs qu’en matière de morale sexuelle et en particulier vis-à-vis de la contraception, il y a plusieurs décennies que les personnes et les couples, ainsi que les associations qui portent leurs préoccupations, ont pris leur autonomie vis-à-vis des prescrits officiels, estimant qu’ils ont à choisir en adultes les comportements qui leur semblent le plus en harmonie avec leurs valeurs et leurs conditions de vie. Il n’en reste pas moins beaucoup de chemin pour changer les mentalités, les prescrits et les institutions, afin d’instaurer un véritable accueil des différences et des droits réels équivalents pour tous [4].

 

 

 

 

 

 


 

[1]   Pour en savoir plus sur la Communauté du Christ libérateur : http://home.scarlet.be/ccl.be/ 

[2]  Pour plus d'information sur ce dossier, consultez la page suivante : www.couplesfamilles.be  

[3] Voir à ce propos une analyse complète du rapport final « Rapport final du synode sur la famille : ouvertures ou blocages ? » (analyses 2015, 13 et 14) : www.couplesfamilles.be

[4]  Analyse rédigée par José Gérard suite à l’atelier organisé à Rivespérance le 5/11/2016.

 

 

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