Analyse 2017-04
En ce mois de février, la question de l’alcool nous taraude chez Couples et Familles. D’abord parce que de nombreux belges se sont engagés à laisser tomber – l’espace d’un mois – la consommation de cette substance ; et ensuite, parce qu’un plan d’action de lutte contre l’alcool 2017 – 2025 tarde à se concrétiser.
28 jours sans une goutte d’alcool
Tel est le principe de la campagne « Tournée Minérale » [1] proposée par la Fondation contre le cancer. Même s’il s’agit de la première initiative de ce type en Belgique, le concept existe déjà ailleurs, comme en Angleterre où là il est question de « Dry January » ; une façon de commencer l’année sur des bases saines.
Mais quel est l’intérêt de ce type d’opération pour les citoyens ? Un mois sans alcool auquel succèdera un autre mois au cours duquel les bonnes vieilles habitudes risquent de ressurgir aussi vite qu’elles ont été abandonnées a-t-il réellement lieu d’être ? Pourquoi pas. La participation à ce genre de défi ne va pas sans une réflexion personnelle par rapport à sa propre consommation ; et peut-être aussi plus globalement par rapport à la place qu’occupe l’alcool dans notre société. Ajoutons que pas mal de personnes reconnaissent les effets bénéfiques (détente, meilleur sommeil, etc.) de l’abstinence déjà après quelques jours.
En s’efforçant de ne pas succomber à l’alcool pendant le mois du challenge, on est confronté à l’omniprésence de celui-ci dans notre mode de vie ; on se rend compte que l’alcool s’est insidieusement imposé dans bon nombre de situations sociales. Toutes les occasions sont-elles bonnes pour trinquer ? Il se peut que l’on réalise que non ; ou que l’on s’aperçoive que le contenu des verres qui s’entrechoquent peut facilement être remplacé par une boisson aux vertus davantage saines qu’euphorisantes. Ainsi, tout citoyen expérimente en quelque sorte ce à quoi chaque femme enceinte est confrontée ; à ceci près que le défi – qui ne dure qu’un mois – est agrémenté de gadgets favorisant une ambiance bon enfant et même, un esprit d’équipe où l’on se serre les coudes pour atteindre ensemble l’objectif tout en recevant moult encouragements et où des cadeaux sont à la clé... bref, un peu comme si un mois sans alcool c’était la mer à boire. Précisons toutefois que les personnes présentant un réel problème de consommation ne sont pas visées par cette campagne étant donné que leur sevrage nécessite un suivi médical.
L’idée consiste donc davantage à conscientiser les citoyens – notamment en mettant l’accent sur le coût financier et l’atteinte à la santé qu’engendre leur propre consommation d’alcool – plutôt qu’à sérieusement remettre en question la position des politiques publiques et le cadre légal existant actuellement en la matière.
Etat des lieux
Selon un rapport de 2013 de l’Institut Scientifique de Santé Publique, 82% de la population belge (de 15 ans et plus) consomment de l’alcool. Les problèmes en lien avec l’alcool concernent quant à eux 6% des jeunes âgés entre 15 et 24 ans et environ le double d’adultes âgés entre 35 et 64 ans. [2]
En outre, une consommation excessive d’alcool serait la cause de 6% des décès en Belgique. [3]
Couples et Familles est également interpellé par le fait que la consommation problématique d’alcool est souvent à l’origine du délitement des relations familiales et sociales, voire facteur de violences conjugales.
Au niveau mondial, l’OMS avance un chiffre interpellant : 3,3 millions de décès annuels seraient imputés à un usage excessif d’alcool. Dans la catégorie des personnes âgées entre 20 et 39 ans, l’alcool est responsable d’environ un quart des décès. Remarquons que la consommation d’alcool occasionne aussi bon nombre d’incapacités. De plus, la famille et les proches d’une personne présentant une consommation problématique sont également impactés par celle-ci ; tout comme peut aussi l’être une personne étrangère à l’usager. [4]
D’un point de vue économique, nous pouvons ajouter que l’alcool coûterait à la Belgique pas moins de 4,2 milliards d’euros par an (chômage, prise en charge médical, etc.). [5]
Absence d’accord
Au vu de ces données, il paraît indispensable que les politiques publiques interviennent sans tarder, et pourtant, aucun plan n’a encore remporté l’unanimité…
En 2008, un plan fût mis au point : le Plan d’Action National Alcool ; mais il fût considéré comme peu concret… En 2010, une Déclaration conjointe pointait l’importance d’une politique qui prenne en compte aussi bien la demande que l’offre d’alcool. En 2013, étant donné les conséquences de l’usage nocif de l’alcool aussi bien sur la santé que sur la société, il fût décidé d’élaborer un Plan Alcool pour 2014-2018 afin de compléter les décisions existantes. Toutefois, il ne vit jamais le jour faute d’accord entre les décideurs ; sans parler du lobbying ambiant. [6] Deux points particuliers firent capoter le projet : la volonté de clarifier la législation de vente d’alcool aux mineurs, et l’interdiction de vente dans les distributeurs automatiques. [7] Ensuite, c’est en octobre 2016 qu’un nouveau plan – idéalement basé sur les recommandations de l’OMS – était supposé se concrétiser : le Plan Alcool 2017-2025. Mais encore une fois, il n’en fût rien.
Précisons que dans ces recommandations, l’OMS préconise une action sur la demande d’alcool (intervention préventive et traitement) ainsi que sur l’offre.
Dans le compte-rendu de la Commission des travaux publics, de l’action sociales et de la santé du jeudi 10 novembre 2016, le ministre Prévot apporte un éclairage sur cet insuccès. Il explique que malgré des attentes revues à la baisse concernant l’offre d’alcool – compromis oblige – il n’était plus demandé au Fédéral que trois mesures qui semblent s’avérer nécessaires pour protéger les mineurs. La première : clarifier la loi sur l’interdiction de la vente de spiritueux aux mineurs. Effectivement, on peut penser qu’une loi floue invite à sa transgression. Ensuite, la seconde mesure est la suivante : l’interdiction de la vente d’alcool dans les distributeurs ; machines auxquelles toute personne – y compris mineure – peut avoir accès. Remarquons que même si certains appareils sont équipés d’un dispositif requérant la carte d’identité de l’acheteur de boissons alcoolisées, il est aisé pour un mineur de contourner ce système en empruntant la carte d’un adulte par exemple. Ainsi, cette mesure se veut en cohérence avec l’interdiction de la vente d’alcool aux mineurs de moins de seize ans et avec l’interdiction de la vente de spiritueux aux jeunes de moins de dix-huit ans. Et enfin, l’interdiction de marketing constitue la dernière mesure. Le ministre précise que ces trois mesures représentent le minimum acceptable pour agir sur l’offre, et qu’elles résultent déjà d’un compromis. Toutefois, le Ministre indique que le Gouvernement Fédéral a plus à cœur les intérêts économiques du secteur alcoolier que ceux rattachés à la santé et à la productivité des citoyens ; alors que l’alcool coûte plus d’argent que ce qu’il n’en rapporte à la société. [8]
Il semblerait donc que les finalités que se doit de porter le plan alcool ne soient pas les mêmes pour tout le monde. Alors que certains veulent une action à plusieurs niveaux pour réellement s’attaquer aux problèmes liés à l’alcool, d’autres veulent se limiter à l’usage problématique de celui-ci comme par exemple, Maggie De Block. « Le but n’est pas de materner la population mais de cibler les situations problématiques » [9] peut-on lire dans L’avenir.
Dès lors, tant que les objectifs du plan ne seront pas clairement établis, un accord sur le contenu de celui-ci aura du mal à voir le jour. Et pourtant, il est attendu pour mars 2017…
Quoi qu’il en soit, l’incohérence des politiques publiques frise le ridicule. On pourrait penser que l’interdiction de vente d’alcool aux jeunes de moins de seize ans n’a été élaborée que dans le but de donner satisfaction à l’opinion publique. Effectivement, la consommation de boissons alcoolisées chez les mineurs ne semble pas particulièrement préoccuper nos décideurs vu l’accessibilité aisée de ces produits et l’autorisation de promotion de ceux-ci.
Nous pouvons aussi nous interroger sur la légitimité qu’il y a à avoir fixé la limite d’âge à seize et non pas dix-huit ans, l’âge de la majorité. Est-il logique que les jeunes – dont le développement cérébral est encore inachevé – soient autorisés à être « initiés » aux pratiques de consommations alcooliques avant même de l’être à la conduite automobile (qui elle – soit dit en passant – tendrait peut-être davantage que les beuveries à leur inculquer le sens des responsabilités) ? « Boire ou conduire, il faut choisir ». Mais pendant deux ans – assez de temps qu’il n’en faut pour que de mauvaises habitudes s’ancrent dans les pratiques des jeunes – seule l’option numéro un est autorisée aux adolescents. Le choix est ainsi vite fait… Ne serait-il pas opportun de creuser également du côté de cette incohérence ?
Réflexions autour de l’alcool
Outre la multitude de dispositions qui délimitent les contours de la place que peut occuper l’alcool dans notre société, on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi en faire un cas à part ? Effectivement, alors que les drogues sont bannies du champ légal, n’est-il pas absurde d’autoriser l’alcool dans nos us ? Ou à l’inverse, n’est-il pas aberrant d’interdire les drogues quand l’alcool, lui, est socialement admis ? Dans ce sens, la question paraît choquante. Pourtant, il semble qu’il y ait deux poids, deux mesures… pourquoi ?
Alcool et drogues ont des effets néfastes avérés, même si en quantité raisonnable (du moins, pour certaines substances), c’est l’effet inverse qui peut être observé. Citons le régime méditerranéen dont le vin fait incontestablement partie, ou encore, l’usage thérapeutique du cannabis. Mais, la consommation problématique de ces substances cause du tort aux individus de même qu’à la société. Faudrait-il donc interdire l’alcool ? Cela semble déraisonnable étant donné le nombre de consommateurs. On peut supposer que l’interdiction n’impliquerait pas la suppression de la consommation mais simplement le transfert de celle-ci de la sphère du légal vers celle de l’illégal (probablement accompagné d’une contestation populaire sans précédent). De plus, une fois incriminé, les conditions de production de la substance échapperaient aux contrôles légaux favorisant davantage la nocivité du produit sur la santé. Ce qui vaut pour les drogues. Effectivement, le consommateur n’a souvent aucune idée de la composition de la substance qu’il s’apprête à ingérer, et les conséquences d’un mauvais dosage peuvent être dramatiques. Dès lors, faut-il légaliser les drogues ? Cela peut paraitre tout aussi déraisonnable et tout aussi enclin à susciter une réaction populaire démesurée que l’interdiction pure et simple de l’alcool. L’accès au produit ne serait ainsi plus entravé par la barrière morale que constitue la loi chez certaines personnes et on peut penser que le nombre de consommateurs exploserait, particulièrement parmi les adolescents chez qui le goût du risque est fortement marqué. Mais ne se pourrait-il pas à l’inverse, qu’en encadrant ces produits, (au niveau de la production, de la prévention, de la distribution, etc.) comme c’est le cas avec l’alcool, cela contribue à lutter contre la toxicomanie ? Il semblerait bien qu’il y ait un manque de cohérence...
Pour conclure
C’est particulièrement sur la prévention et la responsabilisation des citoyens que les politiques publiques devraient miser afin de réduire le risque que la consommation d’alcool dérape dans le champ du problématique.
De plus, l’alcool constitue parfois une sorte de refuge (ne dit-on pas « se réfugier dans l’alcool ? ») où la personne échappe pendant quelques instants à ses tourments qui peuvent résulter des maux de la société (mal-être, stress, etc.) sur lesquels il est également nécessaire d’agir.
Enfin, pour ce qui est des jeunes, il semble aberrant de s’étonner qu’ils soient si friands d’alcool alors que celui-ci est placé sur un piédestal dans notre société et qu’il constitue généralement un ingrédient indispensable aux réunions familiales et célébrations en tout genre. Même s’il n’est en principe pas proposé – ou alors juste une gorgée – aux plus jeunes, ceux-ci ne peuvent qu’être témoins de la normalité de sa présence dans nos coutumes et ainsi, devenir des vecteurs de la perpétuation de sa consommation. Si les politiques publiques vis-à-vis de l’alcool sont essentielles, elles ne peuvent donc porter leurs fruits sans une implication éducative des familles vis-à-vis des plus jeunes. [10]
[1] https://www.tourneeminerale.be/fr
[2] Gisle L. La consommation d’alcool. Dans : Gisle L, Demarest S (éd.). Enquête de santé 2013. Rapport 2 : Comportements de santé et style de vie. WIV-ISP, Bruxelles, 2014.
[3] Le Plan d'action de lutte contre l'alcool 2017-2025. In : http://www.cdh-wallonie.be/. Consulté le 20 février 2017.
[4] OMS |Consommation d'alcool. In : http://www.who.int/. Consulté le 20 février 2017.
[5] Les risque | Jeunes et alcool. In : http://www.jeunesetalcool.be/. Consulté le 21 février 2017.
[6] Pourquoi le Plan Alcool est tombé à l’eau | Education Santé. In : http://educationsante.be/. Consulté le 21 février 2017.
[7] Le plan alcool est rejeté | Belgique – lesoir.be. In : http://www.lesoir.be/. Consulté le 21 février 2017.
[8] C.R.I.C. N°39 (2016-2017) – Parlement Wallon – session 2016-2017 – compte rendu intégral – séance publique de commission – Commission des travaux publics, de l’action sociale et de la santé – jeudi 10 novembre 2016. PP. 16-17. In : http://nautilus.parlement-wallon.be/. Consulté le 21 février 2017.
[9] L’Avenir, Toujours pas de plan contre l’alcool | Maggie De Block. In : http://www.deblock.belgium.be/. Consulté le 21 février 2017.
[10] Analyse rédigée par Audrey Dessy.
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