Analyse 2017-08

Une pub Lidl récente véhicule des stéréotypes sexistes évidents. Mais le Jury d’éthique publicitaire n’en a pas jugé ainsi. Comment analyser cet évènement ?

Personne ne peut nier l’omniprésence de la publicité dans notre société où le consumérisme s’est insidieusement imposé depuis de nombreuses années déjà.

Ce « bombardement » incessant de spots et d’images publicitaires auxquels il est presqu’impossible d’échapper une fois que nous allumons notre téléviseur, que nous ouvrons un journal, que nous activons notre radio, que nous surfons sur internet, que nous nous attardons sur les réseaux sociaux, etc. fait partie intégrante de notre quotidien.

Tout et n’importe quoi est même propice à en devenir le support. Ainsi, les messages publicitaires ne se contentent plus de capter le regard des usagers de la route en s’exposant sur des panneaux de tailles diverses et variées ornant les grands axes routiers ou les arrêts de bus, mais aussi en s’affichant sur les bus eux-mêmes par exemple ; qui – soit dit en passant – peuvent s’avérer réellement distrayants et potentiellement dangereux…

Quoiqu’il en soit, ce n’est pas la problématique de la forme que revêt la publicité qui a suscité la rédaction de cette analyse ; mais bien celle de son fond.

Des garde-fous nécessaires

La publicité étant partout, et qui plus est, visible aux yeux de tous, y compris des plus jeunes, la réguler s’avère une réelle nécessité. Dès lors, Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et le Jury d’éthique publicitaire (JEP) veillent au grain. Alors que le premier de ces organes a pour mission la régulation de l’audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il n’est compétent pour ce qui est des règles relatives au contenu des publicités que dans quelques rares cas : « respect de la dignité humaine, discriminations, protection des mineurs... » [1].

C’est donc le plus souvent au Jury d’éthique publicitaire qu’il incombe de s’occuper des plaintes relatives au contenu des publicités diffusées aussi bien à la radio, qu’à la télévision ; mais aussi via les autres médias. [2] Depuis le 1er février 2017, d’autres supports se sont ajoutés à cette liste et gonflent ainsi le champ de compétences du JEP. Nous pouvons par exemple citer les brochures, ou encore, les folders. [3]

« Assurer une publicité loyale, véridique et socialement responsable » [4]

Tel est l’objectif poursuivi par le JEP et mis en avant sur son site internet. Néanmoins, la notion de « socialement responsable » semble fort relative et il n’est donc pas toujours évident d’adopter un positionnement – soutenu par une argumentation tout aussi à même d’être discutée – approuvé de tous.

Les plaintes déposées auprès du JEP sont consultables en ligne, et si certaines personnes semblent « chercher la petite bête » et que d’autres paraissent s’outrer facilement, le fait est que certaines publicités sont réellement porteuses d’un contenu inapproprié rendant dans de tels cas tout à fait légitime l’existence d’organes de régulation.

Par exemple, une publicité du Forem mettant en scène une fillette déguisée en femme de ménage (où tablier, gant, chiffon, et produit d’entretien étaient de la partie) accompagnée du slogan : « Osez réaliser vos rêves… Devenez auxiliaire de ménage » a fait l’objet d’une plainte auprès du JEP qui, après analyse, a conclu – entre autres – que cette « image désuète renforce un stéréotype à caractère sexiste, à savoir que les services de nettoyage sont offerts essentiellement par des femmes. Il a également estimé que la publicité contribue ainsi à perpétuer des préjugés sociaux allant à l’encontre de l’évolution de la société. » [5]

Comme en 2017 de telles publicités existent encore, on ne peut que souligner l’importance de la mission du jury d’éthique publicitaire.

Le cas LIDL

Peut-être avez-vous entendu parler de la décision controversée du JEP à l’égard d’une campagne publicitaire pour Lidl ; ou peut-être avez-vous même entendu l’une de ces publicités à la radio. Si ce n’est pas le cas, un aperçu de cette campagne qui fait polémique s’impose.

Une voix off nous apostrophe : « Hé là-bas, vous aimez boire un délicieux cola ? »
« Et une femme délicieuse, vous aimez ça aussi hein ? Mais ça coûte cher les femmes délicieuses hein ? Elles veulent des belles sacoches. Elles aiment aller au restaurant. Tous les week-ends ! (...) Alors, vous voulez toujours vous payer une femme délicieuse ? Si oui, Lidl a pour vous du cola qui va vous laisser assez d'argent pour l'entretenir. » [6]

Est-ce parce que le JEP est débordé, croulant peut-être sous un grand nombre de plaintes qui n’ont pas réellement lieu d’être, qu’il n’a pas jugé bon de déclarer que la publicité Lidl n’entrait manifestement pas dans la catégorie du « socialement responsable », comme l’estime Couples et Familles ; ou pense-t-il sincèrement, après examen minutieux, que cette campagne publicitaire ne contribue pas à perpétuer des stéréotypes de genre ?

Telle est la question que nous nous posons chez Couples et Familles.

Pourtant, pas besoin d’analyser en profondeur le contenu de cette campagne pour être confronté aux stéréotypes qui en émanent… N’est-il pas clairement question d’associer la femme à des adjectifs tels que matérialistes, vénales… et, surtout, n’est-il pas question de la déshumaniser en la considérant comme une vulgaire marchandise ?  « Vous voulez toujours vous payer une femme délicieuse ? » clame l’annonce publicitaire. Est-ce normal de considérer que l’on puisse « se payer » une femme ? Dans le chef des partisans du sexisme, cela ne fait probablement aucun doute.

Si l’on se réfère à la définition du sexisme établie par l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, le sexisme renvoie à « un ensemble de convictions ayant trait aux sexes et à la relation entre les sexes. Cette conviction renferme un lien hiérarchique objectif entre les deux sexes, lequel est, par ailleurs, jugé souhaitable. » [7] Couples et Familles estime que cette campagne publicitaire illustre à la perfection cette définition.

Dès lors, une campagne publicitaire prônant de tels propos peut-elle se revendiquer socialement responsable ? Pour Couples et Familles, la réponse est bien entendu « non » !

D’ailleurs, suite aux plaintes, Lidl a stoppé la diffusion de cette publicité et a présenté ses excuses « à chaque client ou client potentiel ayant été choqué » [8] . Sachant qu’une publicité aux propos déplacés entraîne bien souvent un énorme « buzz », ne serait-ce pas une stratégie marketing – si bien maniée – des plus porteuses ? Il est évident que les publicitaires naviguent de plus en plus en eaux troubles… tabler sur l’effet « protestataire » en préparant ses excuses : la nouvelle combinaison gagnante des marques ?

Un sexisme qui affecte les deux sexes…

« Et avoir un mec tout beau, ça vous dit aussi ? Mais attention, ça coûte cher un mec tout beau, hein ! », nous interpelle de nouveau une autre voix off.

« Parce que pour ses belles fesses bien rebondies, faut acheter un vélo de course, of course. (...) Et après le vélo, faudra une moto ! Avec tous les excès de vitesse qui vont avec ! Mais bon, vous aimez bien les mecs tout beaux. Ça tombe bien, Lidl a pour vous des tablettes pour lave-vaisselle qui vont vous laisser assez d'argent pour l'entretenir. » [9]

Ici, c’est l’image d’un « homme objet » que la publicité nous dépeint ; la femme dominant la relation amoureuse, vu que c’est apparemment à elle qu’incombe de faire vivre son couple. Tout comme c’est nécessairement à elle que revient la corvée de s’occuper du lave-vaisselle. Stéréotypes quand tu nous tiens…

…mais peut-être davantage l’un que l’autre

Remarquons que contrairement à la publicité précédente qui associait à la femme une image peu flatteuse, ici, malgré son statut « d’objet à entretenir » l’homme est présenté comme un sportif un peu casse-cou. Un profil enviable à celui de la greluche dépensière présenté dans la première publicité.

Comme si malgré leurs efforts pour mettre en scène une relation « homme femme » où la hiérarchie bascule - comparée à la publicité précédente –  les publicitaires si empêtrés dans leurs croyances n’y sont pas totalement parvenus… Ils nous livrent donc le portrait de l’homme sportif et de la femme qui l’entretient, mais tout en étant reléguée à la cuisine !

La décision du jury qui fait débat

Plusieurs plaintes – pointant le sexisme véhiculé par cette campagne publicitaire – ont bien évidemment été déposées auprès du JEP. [10] Cependant, celui-ci a déclaré que « cette campagne n'est pas de nature à dénigrer ou à discriminer une catégorie de personnes et qu'elle ne contribue pas non plus à perpétuer de stéréotypes. » [11]

Au vu du contenu de la publicité, qui parle pourtant de lui-même, comment une telle déclaration peut-elle se justifier ?  « Le contenu de cette campagne humoristique est à ce point décalé, absurde et irréaliste que cette dernière ne peut raisonnablement pas être perçue au premier degré par le consommateur moyen » [12] explique le JEP.

Une décision anodine ?

Couples et Familles est tout autant interpellé par cette décision émanant d’un jury d’éthique que par les propos douteux véhiculés par cette campagne publicitaire. N’est-il pas préoccupant qu’un tel organe tolère cette immixtion du sexisme dans notre quotidien en prétendant qu’il ne s’agit là que d’humour ? Même si un consommateur moyen ne peut, a priori, pas percevoir cette publicité au premier degré, qu’en est-il des plus jeunes à qui cette subtilité échappe peut-être (voire sûrement) ? Ce type de message ne va-t-il pas impacter leurs représentations des genres ? Sommes-nous réellement prêts à encourir un tel risque en laissant la porte ouverte aux propos qui vacillent entre irrespect et humour ? [13] 

 

 

 

 

 

 


 

[1] Conseil supérieur de l’audiovisuel - Publicité, communication commerciale. In : http://www.csa.be/. Consulté le 27 mars 2017.
[2] Ibid.
[3] Nouvelles compétences à partir du 1er février 2017 |JEP. In : http://www.jep.be/. Consulté le 27 mars 2017.
[4] JEP. In : http://www.jep.be/. Consulté le 27 mars 2017.
[5] FOREM 11-01-2017 : Décision de modification/arrêt. In : http://www.jep.be/. Consulté le 29 mars 2017.
[6] Pour le JEP, la campagne pub controversée de Lidl ne perpétue pas de stéréotypes. In : http://www.rtbf.be/. Consulté le 28 mars 2017.
[7] MICHIELSENS, Magda, et al. Définition du concept de « sexisme ». Bruxelles : Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, 2009, p.28.
[8] Lidl s'excuse pour sa publicité perçue comme sexiste. In : http://www.rtbf.be/. Consulté le 31 mars 2017.
[9] Pour le JEP, la campagne pub controversée de Lidl ne perpétue pas de stéréotypes. In : http://www.rtbf.be/. Consulté le 28 mars 2017. 
[10] Lidl s’excuse pour sa campagne publicitaire jugée sexiste. In : http://www.lesoir.be/. Consulté le 29 mars 2017.
[11] Quand l’avis du Jury d’Éthique Publicitaire sur une pub sexiste est encore plus choquant que la pub. In : http://www.doulkeridis.be/. Consulté le 29 mars 2017.
[12] Ibid.
[13] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants