Analyse 2017-14

Jadis, la plupart des parents y recouraient sans rougir pour corriger leur progéniture : coups de ceinture ou de règle, fessées récurrentes, tirages d’oreille à tire-larigot, etc. ; aujourd’hui, les châtiments corporels sont souvent considérés comme barbares et inadmissibles. Cependant, ont-ils pour autant totalement disparu des pratiques éducatives mises en place par les familles en général ? Oui, aurait-on tendance à s’exclamer en chœur. Mais en y regardant de plus près sommes-nous certains de ne pas recourir à des méthodes qui entrent dans le champ de ces fameux châtiments ? 

Pour répondre à cette question, il convient de savoir de quoi l’on parle. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies définit le châtiment corporel comme « tout châtiment dans lequel la force physique est employée avec l’intention de causer un certain degré de douleur ou de gêne, même légère. Le plus souvent, cela consiste à frapper (« corriger », « gifler », « fesser ») un enfant de la main ou avec un objet : fouet, bâton, ceinture, soulier, cuiller de bois, etc. Mais cela peut aussi consister, par exemple, à lui donner des coups de pied, à le secouer ou à le jeter par terre, à le griffer, à le pincer, à le mordre, à lui tirer les cheveux ou à le frapper sur les oreilles, à l’obliger à rester dans une position inconfortable, à le brûler, à l’ébouillanter, à lui faire ingérer de force telle ou telle chose (par exemple en lui lavant la bouche au savon ou en le forçant à avaler des piments rouges). De l’avis de Comité, le châtiment corporel est invariablement dégradant. De plus, il existe d’autres formes non physiques de châtiment tout aussi cruelles, dégradantes et donc incompatibles avec la Convention. Cela consiste, par exemple, à rabaisser l’enfant, à l’humilier, à le dénigrer, à en faire un bouc émissaire, à le menacer, à le terroriser ou à le ridiculiser. » [1]

Des pratiques diverses et variées

Cette définition recouvre indéniablement une étendue de pratiques que l’on aurait pourtant tendance à ne pas placer sur un pied d’égalité. La fessée occasionnelle entre ainsi dans le même panier qu’un coup de bâton ou une brûlure ; alors que certains parents ayant exceptionnellement eu recours à la « petite » fessée ne peuvent imaginer un seul instant infliger des brûlures à leur enfant ni le frapper avec un quelconque objet. Pourtant, une tape sur les fesses (ou ailleurs soit dit en passant) constitue bel et bien l’utilisation de la force physique dans le but de causer « un certain degré de douleur ou de gêne »

Ainsi, pourquoi des parents la tolèrent-ils dans certains cas et pas dans d’autres ? Pourquoi considérer qu’« il y a fessée et fessée » ? Probablement car il s’agit d’une pratique inscrite dans les mœurs de bien des familles et que lorsqu’elle n’entre pas dans le champ de la maltraitance, son emploi semble constituer un outil d’éducation qui aurait fait ses preuves.

Justement, interrogeons-nous : quelle est l’efficacité des méthodes éducatives incluant les châtiments corporels ? Peut-on parler de punition sensée ? L’enfant qui la subit n’aurait-il pas plutôt tendance à se « blinder » ? Plusieurs études révèlent que la violence n’est pas sans conséquence sur les enfants, que ce soit sur le court ou le long terme. En impactant le développement cognitif, affectif et sensoriel de l’enfant, des difficultés de plusieurs ordres peuvent se manifester : comportementales, relationnelles ; mais aussi, émotionnelles. Cela peut se traduire par un sentiment d’insécurité, d’abandon, d’infériorité, etc. [2]

En outre, l’utilisation de la violence pour punir un enfant ne lui laisserait-elle pas croire que celle-ci est une solution qu’il pourra envisager lorsqu’il se trouvera confronté à un problème ?

Quoiqu’il en soit, d’autres parents sont incontestablement contre la fessée et considèrent que comme elle constitue un châtiment corporel à juste titre, elle doit dès lors se voir interdire. Mais ces parents sont-ils néanmoins certains d’être eux-mêmes respectueux du « bien-être » de leur enfant ? Par exemple, punir l’enfant en le privant de sorties peut également lui être préjudiciable dans une certaine mesure. Effectivement, en interdisant à l’enfant de se rendre à son activité sportive, une opportunité de prendre soin de sa santé lui est ainsi retirée…

Que peuvent donc faire les parents ?

Couples et Familles estime que les parents doivent pouvoir se faire respecter, et ce dès le plus jeune âge de leur(s) enfant(s). Effectivement, nous pensons que si l’autorité des parents n’est pas établie dès le départ, leur manque de crédibilité auprès des enfants les placera en position de faiblesse et les amènera à devoir faire face à des situations dont ils ne sauront comment se dépêtrer. Pour ce faire, il est indispensable que les parents « tiennent paroles » ; qu’ils mettent en œuvre leurs dires : les enfants doivent comprendre que leurs parents « ne rigolent pas ». Même si la communication parent/enfant semble incontournable lorsqu’il y a eu transgression d’une règle, est-ce suffisant pour éduquer ?

Certains parents sont contre le concept même de punition/sanction estimant que seul le dialogue constitue une réponse adéquate face à une bêtise…

Dans La Libre, Philippe Béague écrivait en 2001 : « La parole est donc première mais il serait naïf de croire qu'elle suffit. Il serait inquiétant d'ailleurs qu'un enfant immédiatement s'y soumette puisque la plupart du temps elle lui interdit son plaisir et c'est bien lui qui lui donne cœur à vivre. Trop soumis, il serait mort-vivant ! Il faudra donc re-dire et à la fois sévir. » [3]

Pour Couples et Familles, il est effectivement indispensable d’intervenir concrètement lorsqu’un enfant a mal agi. Sévir s’avère être une mission parentale que ne peuvent balayer d’un revers de main les parents. Toutefois, cette action doit s’intégrer dans une démarche cadrée par des valeurs telles que le respect, la tolérance, etc. que l’on retrouve dans la parentalité positive.

« La parentalité positive renvoie à un comportement parental qui respecte l'intérêt supérieur de l'enfant. Les parents qui agissent ainsi veillent au bien-être de l'enfant, favorisent son autonomie, le reconnaissent comme un individu à part entière et le guident en fixant les limites dont l'enfant a besoin, de manière à l'aider à s'épanouir pleinement. La parentalité positive respecte les droits de l'enfant et l'élève dans un milieu non violent, excluant tout châtiment corporel ou psychologiquement humiliant lors de la résolution de conflits ou l'apprentissage de la discipline et du respect. La vraie discipline ne peut être enseignée par la violence. » [4]

Cette philosophie éducative ne milite donc aucunement pour l’avènement de l’enfant roi. Elle n’exclut en rien la discipline ; mais le recours à la violence.

Couples et Familles se positionne

Nous pensons que, comme dit dans le magazine Psychologies, une fessée n’est « pas dramatique » [5] même s’il s’agit incontestablement d’une forme de punition dépourvue de sens ou comme dit dans Psychologies : d’une « mauvaise punition » [6]. Nous pensons qu’un enfant ne peut être considéré comme battu ou violenté si au cours de son existence celui-ci a reçu quelques rares fessées… Néanmoins, une fois cet acte impulsif posé, en parler parait nécessaire. Même s’il serait idéal bien entendu, de ne jamais en arriver à cette sanction.

Yapaka souligne également l’importance de ne pas généraliser toutes les situations où il y a fessée. « Il peut arriver qu’un parent débordé ne parvienne pas à limiter autrement son enfant que par un geste, une fessée par exemple. Ce geste, s’il est occasionnel, n’est pas synonyme de maltraitance ou de rupture de la relation entre l’adulte et l’enfant. Il est préférable d’aider le parent à comprendre en quoi il a été dépassé, comment il peut dire « J’aurais pas dû » sans perdre la face… » [7]

Quelle est la meilleure façon d’agir lorsqu’un enfant a mal agi ? Qu’il est difficile de répondre à cette question tant un enfant n’est pas l’autre, tant les situations sont variées, tant les cultures familiales portent des philosophies diverses…

Le Dr Gilles-Marie Valet, pédopsychiatre cité dans un article publié sur www.20minutes.fr considère que la violence est à proscrire. « A chaque bêtise, il y a une réponse adaptée, la meilleure sanction étant celle qui a un lien avec l’acte commis ». [8] Par exemple, si l’enfant casse une vitre, sa sanction pourrait consister à déduire les frais de réparation de son argent de poche. Et quid de l’enfant colérique ? Le pédopsychiatre conseille d’attendre que celui-ci se calme, pour ensuite entamer un dialogue. [9] De la théorie à la pratique, Couples et Familles reconnaît qu’il y a un monde de différence et qu’il ne doit pas être aisé du tout pour les parents de trouver la meilleure façon de punir leur(s) enfant(s). Culpabiliser les parents qui tentent de faire de leur mieux n’est certainement pas la solution pour éradiquer les châtiments corporels des pratiques éducatives.

La question de la légalité

En Belgique, les châtiments corporels sont interdits dans les écoles depuis 1900 mais en ce qui concerne la sphère familiale, un flou subsiste. En tout cas, les châtiments corporels ne sont pas explicitement interdits au sein des foyers ; mais il existe bel et bien des dispositions légales qui incriminent spécifiquement les violences à l’égard des mineurs. En 2000, une circonstance aggravante fait même son entrée dans le code pénal : « le fait de commettre des coups et blessures volontaires à l’encontre d’un mineur. » [10] Remarquons que le code pénal punit aussi le fait de priver volontairement un enfant de nourriture ou de soin ainsi que les tortures et traitements inhumains sur des mineurs. [11] En outre, d’autres textes mettent l’accent sur les droits des enfants. Par exemple, il est stipulé dans la Constitution que « [c]haque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle. » [12]. Quant au code civil, celui-ci prévoit que « [l]'enfant et ses père et mère se doivent, à tout âge, mutuellement le respect. » [13] 

Dès lors, selon Couples et Familles, le code pénal condamne indéniablement la maltraitance à l’égard des enfants. La volonté de légiférer afin « d’interdire la fessée », sachant que si celle-ci a lieu dans la sphère privée de façon exceptionnelle, les parents ne devront probablement faire face à aucune conséquence, a-t-elle lieu d’être ? Couples et Familles estime qu’il s’agit plus d’un combat symbolique que d’une lutte porteuse de changements.

Un des arguments en faveur de l’insertion de cette interdiction dans le code civil est le suivant : elle permettrait de « faire comprendre que la responsabilité des parents est d’utiliser des moyens non violents pour éduquer leurs enfants. » [14] Néanmoins, une loi serait-elle la meilleure voie pour y parvenir ? Ne faudrait-il pas plutôt miser prioritairement sur la mise en place d’autres outils à utiliser dans le cadre du soutien à la parentalité : campagne de sensibilisation, de prévention, etc. ? Ne serait-ce pas aux politiques publiques de s’emparer de la question ?

Quoi qu’il en soit, les pratiques éducatives semblent évoluer, lentement mais surement, vers l’exclusion des punitions corporelles, et c’est tant mieux. Il nous semble que l’important n’est pas tant de légiférer – les coups et blessures volontaires à l’égard des mineurs étant déjà incriminés – mais de faire en sorte que ce type de punition déserte peu à peu nos us pour ne plus survenir que très rarement voire plus du tout… Selon Couples et Familles, une petite tape sur la main d’un enfant impactera probablement beaucoup moins son bien être psychologique que l’exposition fréquente (ou ponctuelle) à des disputes parentales ; de même que son bien être physique que le tabagisme passif par exemple. [15]

 


Pour aller plus loin :

- Existe-t-il de « bonnes » fessées ? Couples et Familles s’était déjà posé la question en 2007 dans une analyse à lire par ici : http://www.couplesfamilles.be/
- Conseil de l’Europe. Abolition des châtiments corporels des enfants – Questions et réponses – Construire une Europe pour et avec les enfants. France : Editions du Conseil de l’Europe, 2007, 57 p.

 

 

 

 

 


 

[1] Commissaire aux droits de l’homme – Conseil de l’Europe. Les enfants et les châtiments corporels : « Le droit à l’intégrité physique aussi un droit de l’enfant ». 2006, 11p. In : https://rm.coe.int/16806da6ec. Consulté en ligne le 21 juin 2017.
[2] MATHIEU, Géraldine. Châtiments corporels – Non, ce n’est pas pour son bien ! Outil pédagogique N°3. Bruxelles : Défense des Enfants DEI – Belgique, 2015, 27p. (p.6).
[3] Grosse voix et gros yeux – La Libre. In : http://www.lalibre.be/. Consulté le 22 juin 2017.
[4] Levez la main contre la fessée, campagne du Conseil de l’Europe, www.coe.int/t/dg3/children/corporalpunishment/positive%20parenting/Default_fr.asp. In : MATHIEU, Géraldine. Châtiments corporels – Non, ce n’est pas pour son bien ! Outil pédagogique N°3. Bruxelles : Défense des Enfants DEI – Belgique, 2015, p. 15.
[5] Comment bien punir ses enfants ? In : http://www.psychologies.com/. Consulté le 22 juin 2017. 
[6] Ibid.
[7] Faut-il châtier les parents qui donnent une fessée ? | Yapaka. In : http://www.yapaka.be/. Consulté le 22 juin 2017.
[8] Comment punir les enfants ? « A chaque bêtise, il y a une réponse adaptée ». In : http://www.20minutes.fr/. Consulté le 22 juin 2017.
[9] Ibid.
[10] DEI- Belgique. Châtiments corporels. Module pédagogique 2008/07. Décembre 2008, 14 p. (p.4). In : http://www.dei-belgique.be/. Consulté le 23 juin 2017.
[11] Ibid. p.5
[12] MATHIEU, Géraldine. Châtiments corporels – Non, ce n’est pas pour son bien ! Outil pédagogique N°3. Bruxelles : Défense des Enfants DEI – Belgique, 2015, 27p. (p.8).
[13] Ibid.
[14] Et nous, on l’interdit quand la fessée ? In : https://www.laligue.be/. Consulté le 23 juin 2017.
[15] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

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