Analyse 2017-19
Les grandes vacances débutent…Imaginez-vous en train d’errer dans les allées du supermarché à la recherche d’une valise pour partir en voyage. Plus que quelques jours avant le grand départ ! Vous vous projetez en maillot de bain à la plage sous le soleil à vous délasser et à vous amuser avec votre famille bien aimée…Vous soufflez, vous vous sentez léger, le temps s’est arrêté...Quand soudain, vôtre rêverie est frappée de plein fouet par ce rayon bien rempli, mieux rempli que d’habitude d’ailleurs ! Des cartables à foison, des lots de blocs de feuilles lignées, quadrillées, colorées…Des présentoirs « Vive la rentrée ! » arborent l’allée centrale du magasin et des parents soucieux d’en finir avec cette corvée se dépêchent de rayer ce qui a été demandé sur leur petit papier.
Interloqué par cette situation, « Couples et Familles » a voulu se questionner sur ce besoin qu’ont les supermarchés à avancer chaque événement et sur ce que cela renvoie des familles et leur rapport au temps ?
Les enfants, les premiers concernés
Comment se sentir en vacances, libres et insouciants lorsque l’on pense déjà au retour en classe ? Pour certains, la rentrée scolaire est redoutée ; pour d’autres elle est désirée. Mais quoi qu’il en soit, elle est une source importante d’émotions qui est parfois difficile à canaliser. Dès lors, faut-il laisser les enfants s’épuiser à éprouver ces émotions (stress, inquiétude, appréhension, impatience, envie…) pendant deux mois alors que quelques jours voire semaines suffisent à les préparer?
Prendre le temps
« La Ligue des familles est d’avis que pour qu’un enfant soit « d’attaque » à la rentrée, il est primordial que celui-ci ait eu l’occasion de ne plus penser à l’école pendant les vacances » [1]. Finir son année scolaire et préparer l’année suivante, n’est-ce pas là une façon de ne plus vivre de moment « off » ? Laissons-nous aux enfants la possibilité de vivre pleinement une expérience et de la clôturer ? Les laissons-nous découvrir autre chose que le drill habituel de l’année scolaire ? Peuvent-ils expérimenter d’autres rythmes peut-être plus marginalisés ? Peut-être plus respectueux de leurs besoins à eux ? Peuvent-ils encore vivre l’ennui ? Ou doivent-ils être nécessairement tout le temps occupés ? Peuvent-ils encore vivre cette tension interne qui les amène à mobiliser leurs ressources et à se transformer en aventuriers, scientifiques ou petits artistes? Cette tension qui leur donne la force et l’esprit de chercher/créer/innover pour quitter cet état inconfortable qu’est l’ennui ?
Anticiper les festivités
Les supermachés nous paraissent de plus en plus pressés d’étaler leurs marchandises et précipitent alors de grands moments clés pour les enfants. En juillet, c’est l’arrivée des fournitures pour la rentrée, en octobre l’introduction des chocolats de Saint-Nicolas dans les rayons, en novembre les publicités pour célébrer la Noël, et en février les œufs pour fêter la Pâques.
Bien-sûr, avec de telles méthodes de marketing, les grandes surfaces sont loin d’être lésées ! Après tout, « le temps, c’est de l’argent ! ». En deux mois d’exposition aux différents articles, vos enfants ont eu le temps de développer une soudaine nécessité absolue de les consommer ! Et il est parfois difficile pour les parents de batailler de semaine en semaine avec eux et de leur refuser ce qu’ils ne cessent de convoiter.
Néanmoins, quand ils sont interrogés, les directeurs Marketing semblent dire que ces initiatives commerciales répondent aux demandes des parents. [2] Pour reprendre l’exemple de la rentrée des classes, selon l'observatoire Approuvé par les familles consacré à la rentrée 2017, 52% des parents ont décidé de faire leurs courses scolaires durant le mois de juillet [3]. Peut-être s’agit-il pour eux d’un objectif en moins à réaliser, d’une source de stress dont ils peuvent se débarrasser ?
Des enfants désorientés
Pratiques commerciales ou empressement des parents ? Peu importe ! Pour « Couples et Familles », ce qui est important c’est de se remémorer que ces acteurs ne sont pas les seuls concernés. Pensons-nous aux enfants lorsque l’on se permet de jouer avec le temps ?
En effet, comment l’enfant peut-il se repérer dans le temps si les informations qui lui sont apportées dans les centres commerciaux ne reflètent pas les périodes adéquates ? Selon Marie Gauthier, pédopsychiatre (ULG et CHR Liège), « les fêtes sont liées aux conditions atmosphériques : la Toussaint, ce sont les feuilles qui tombent et la Saint-Nicolas, c’est le gel. Elles inscrivent les enfants dans les mouvements des saisons et de la nature. Ici, ces pratiques commerciales induisent un décalage complet par rapport au vécu de l’enfant. Ça déshumanise et ça «commercialise» le rapport de l’enfant à son environnement. » [4]
De plus, au-delà des secondes, minutes ou heures gagnées à tout anticiper, les conséquences sont la privation d’instants importants, d’étapes ou de rituels qui ont pourtant tout leur sens au sein de la famille. Ces instants partagés créent la culture familiale, soudent les différents membres entre eux et renforcent les liens qui les unissent.
Dès lors, comment ne pas expédier chaque tâche et ne pas négliger la symbolique qu’elle peut représenter pour la famille ou du moins pour l’un de ses membres?
« Vite, que je perde la raison ! »
Alors qu’au début du 19ème siècle, l’industrialisation avait pour but de servir l’homme, il semble que la tendance se soit inversée à ce jour. L’être humain doit devenir de plus en plus performant et les nouvelles technologies l’aident dans ce sens! La communication interrelationnelle en est directement affectée. On appelle ou envoie des e-mails à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, on essaie de répondre dans les plus brefs délais à défaut d’être mal perçu par notre entourage ou notre employeur. On mélange nos espaces et heures de travail avec le domicile, et on finit par désorganiser toutes les sphères de notre vie. « Notre société entière est comme un TGV qui va de plus en plus vite, sans que les passagers sachent vraiment où ils vont. Quand au conducteur, il n’y en a point : le train est sur pilote automatique, et personne ne sait s’il peut ralentir » [5].
Nous sommes devenus maîtres en la matière lorsqu’il s’agit de gérer plusieurs choses à la fois. Et à certains moments, ces compétences nous sont parfois bien facilitatrices. En effet, nous devons jongler entre vie professionnelle, familiale, personnelle et imprévus… Cependant, comment ne pas céder à un rythme de vie effréné et ne pas emporter ses enfants dans cette course contre la montre ? Il est un fait avéré que certains enfants ne sont pas épargnés dans de tels modes de vie, de plus en plus d’entre eux consultent des psychologues dès l’âge de six ans car se sentent sous pression [6]. Comment leur éviter de grandir dans le stress ? Comment se réapproprier son temps ? Et comment le faire au bénéfice de la famille ?
« Le slow parenting »
Face à toute cette agitation quotidienne, un nouveau mouvement est apparu, celui du « slow parenting ». « L’idée n’est pas de tout faire lentement, mais juste de vivre à une vitesse « normale » par rapport à notre rythme biologique et psychologique, et celui de nos enfants » [7]. Il importe dans ce mouvement de réfléchir et sélectionner les activités qui font sens pour soi et la famille. Choisir moins mais mieux, c’est-à-dire s’autoriser à refuser en conscience une proposition plutôt qu’une autre pour éviter d’être débordé par les nombreuses sollicitations et réussir à ne plus se sentir envahi. En outre, le slow parenting prône des moments « pour ne rien faire », des instants où l’on se retrouve juste en famille à « être » ensemble dans le présent [8]. Ce sont des occasions de bénéficier de temps libres et de s’adapter aux envies et besoins de la famille.
S’accorder à sa juste mesure
Pour « Couples et Familles », le rapport au temps devrait être un objet de réflexion dans l’éducation des enfants car il participe au développement du bien-être familial mais aussi à leur développement individuel. Nous vivons tous avec un rythme qui nous est propre. Certains sont plus actifs que d’autres et cela ne les empêche pas de vivre en toute tranquillité. Seulement, vivre en famille c’est faire coexister nos différences et tenter de trouver la juste cadence, celle qui respectera les besoins de chacun. Il nous semble donc nécessaire que chaque famille puisse trouver un rythme qui lui convienne, prendre les décisions en connaissance de cause, sans jugement mais si possible en conscience [9].
Pour aller plus loin :
« Vivre le temps autrement » de Pierre Pradervand
« Eloge de la lenteur » de Carl Honoré
« La Zen attitude ? Pas pour moi ! », Mazelin Salvi Flavia, In Psychologies Magazine, Juillet-Août 2017, p.36-41.
[1] Les cahiers de vacances, Analyse 2017-15, couples et familles
[2] Les cartables sont déjà en rayon: "C'est comme Noël, Pâques et Saint-Nicolas, nous sommes envahis de plus en plus tôt pour la publicité." In http://www.rtl.be/ (consulté le 10 juillet 2017)
[3] Rentrée 2017 : les parents prévoient un budget de 480 euros en moyenne par enfant In https://www.rtbf.be/ (consulté le 10 juillet)
[4] Saint-Nicolas déjà dans les supermarchés, un tort pour les enfants In http://www.lesoir.be/ (consulté le 12 juillet 2017)
[5] Pradervand Pierre, Vivre le temps autrement, Notre bien le plus précieux, Editions Jouvence, 2004.
[6] Diego Christine, Le slow parenting pour prendre son temps en famille, (le 12 avril 2017) In http://www.parents.fr/ (consulté le 12 juillet 2017)
[7] Slow parenting ou parentalité lente comme antidote au stress de la vie familiale In http://www.familipsy.com/
[8] Slow parenting ou parentalité lente comme antidote au stress de la vie familiale In http://www.familipsy.com/
[9] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.
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