Analyse 2017-31

Une fois n’est pas coutume, parlons chiffon. Un tout nouvel accessoire est récemment venu gonfler la garde-robe – déjà bien fournie –  de la très célèbre poupée Barbie. Robe de soirée, pantalon, jupe, short, tenue de sport, uniforme en tout genre, maillot de bain, escarpins, sandales, chaussures de sport, lunettes de soleil ; bref, Barbie est parée pour toutes les occasions inimaginables et a largement de quoi faire pâlir de jalousie les adeptes des « Reines du shopping » tant son dressing frise l’explosion. Jusqu’à récemment, il ne lui manquait que le voile pour être réellement « équipée » à cent pour cent…

Désormais, elle l’a. Mi-novembre, Mattel, le célèbre fabriquant de jouet, a dévoilé – ou plutôt, voilé – sa nouvelle figurine. Polémique, te voici…

Pourquoi un voile ?

C’est l’escrimeuse Ibtihaj Muhammad, première athlète américaine voilée à avoir concouru aux Jeux Olympiques, à Rio en 2016, qui a servi de modèle à la poupée. [1] « Ibtihaj continue d’inspirer partout les femmes et les jeunes filles pour qu’elles repoussent les barrières » [2] explique la marque sur son compte Instagram officiel.

Ibtihaj Muhammad a très vite fait ses preuves en escrime. En mettant un pied dans cette discipline, un monde de nouvelles perspectives s’est ouvert à elle : école de renom, etc. Après son diplôme obtenu à l’université de Duke, elle rejoint l’équipe nationale américaine où elle excelle dans son sport. [3] En plus d’être la première athlète américaine à avoir participé voilée aux Jeux Olympiques, elle fût aussi la première à y être médaillée, son équipe ayant décroché la médaille de bronze. [4] Citée dans un discours de l’ancien président des Etats-Unis, Barack Obama, son parcours outrepasse l’univers sportif. D’ailleurs, le fameux classement des cent personnalités les plus influentes du monde proposé par le magazine Time ne l’a pas oubliée. [5]

Mais cet hommage à l’athlète américaine ne plait pas à tout le monde. En fait, ce qui fait grincer des dents, c’est surtout son habit. Le voile choque. Sur le site Rtl.be, on peut lire que nombreuses sont les personnes qui estiment que la figurine voilée « ne représente pas l’image traditionnellement véhiculée par Barbie : une femme moderne et indépendante. » [6]

Barbie : une femme moderne et indépendante. Vraiment ?

Il suffit de regarder la version de la Barbie que nous avons toujours connue – coiffée impeccablement et maquillée à outrance – pour d’emblée s’apercevoir que les adjectifs « superficielle » et « matérialiste » viennent supplanter haut la main les incontournables « moderne » et « indépendante » qu’on veut à tout prix lui associer.

Certes, Barbie sait conduire, possède sa propre voiture –  et même son propre avion – elle a sa maison, et une panoplie de professions l’accueille à bras ouverts. C’est probablement en cela qu’elle peut sembler indépendante et moderne, et constituer une sorte de modèle pour les fillettes… Mais quid de sa maigreur excessive ? Quid de ses mensurations hors normes qui font d’elle « un appât à hommes » ? Quand l’on pense à ces éléments, souhaite-t-on réellement que la jeune génération s’identifie à cette poupée ?

Barbie, toute une histoire

Une pin-up blonde ou brune (mais de préférence, blonde), à l’origine, Barbie c’était cela. Au fil du temps, elle a subi moult modifications et de nombreux nouveaux modèles sont sortis. Mais ce n’est que depuis l’an passé (soit depuis 2016) que ses formes ont été révisées. Ont été conçues des poupées Barbie de tous types : de la petite à la grande en passant par la « curvy », la ligne « Fashionistas » ne s’attache pas à une seule et unique morphologie.

Une avancée ? Peut-être… Le corps de Barbie n’est, certes, plus figé. Il diffère d’un modèle à un autre ; à l’instar des personnes faites de chair et d’os et de ce fait, prône la différence. Néanmoins, il est fort probable que les enfants auront toujours une préférence pour le modèle originel dont les proportions ont en fait été pensées dans un souci, non pas d’esthétisme et d’ode à la minceur, mais bien de pragmatisme. L’objectif étant qu’avec un tel corps, les fillettes puissent aisément l’habiller et la dévêtir. [7] C’est certainement les parents qui auront une préférence pour ces nouveaux gabarits davantage réalistes car ils y verront un jouet plus « responsable » … mais les préoccupations des enfants ne sont peut-être pas de cet ordre.

Regard d’adultes sur un jouet d’enfants

Il ne faut pas perdre de vue qu’une Barbie reste avant tout un jouet. Il s’agit d’un objet créé afin de divertir les enfants. Leur imagination débordante favorise la création d’innombrables scénarios qui alimentent les histoires qu’ils font vivre à leur jouet. Tel un metteur en scène, le jeune se laisse porter par sa créativité pour placer Barbie dans toutes sortes de contextes. Il peut faire d’elle une femme au foyer, tout comme il peut faire d’elle une femme d’affaires. Il peut décider de lui octroyer le statut de célibataire, de femme mariée (ou divorcée), ou encore de femme fiancée (que ce soit à Ken… ou pourquoi pas, à une autre Barbie). Tout est possible. Les enfants sont maîtres des épopées que leur(s) poupée(s) expérimentent.

Bien entendu, si le scénario élaboré par l’enfant vire vers du racisme, du sexisme ou encore, de l’intolérance, il va de soi que l’adulte se doit d’intervenir pour lui expliquer en quoi l’histoire qu’il a créée est inconvenante. Les notions du « vivre ensemble » peuvent s’apprendre de bien des manières. Pourquoi pas via des saynètes dont Barbie serait l’actrice ?

Remarquons qu’il est fort probable que pour les enfants, la figurine ne constitue en aucun cas un modèle. Où nous, adultes, sommes susceptibles de voir de l’anorexie ou une version dégradante de la femme, eux ne voient qu’une « dame en plastique » dont ils prennent plaisir à vêtir, à faire parler, à coiffer… sans jamais s’obstiner à vouloir lui ressembler.

Notre regard, assombri par la constante mise en exergue de problématiques sociétales, ne correspond en rien à celui, innocent et naïf, des enfants. Barbie est un jouet, non le symbole de la femme. Sa place est dans une manne, au côté des peluches, des jeux de société et autres babioles en tout genre. Il serait une erreur de faire d’elle un bouc-émissaire, de lui reprocher de perpétuer une vision désuète d’un soi-disant « idéal féminin ». Depuis plusieurs dizaines d’années, Barbie a accompagné des générations de petites filles dans leur enfance sans pour autant entraver le développement de leur sens critique…

La nouveauté : le voile

Ce n’est pas parce que Barbie est dotée d’une tenue d’un nouveau style qu’il en sera autrement. S’il déplaît aux parents que la figurine se pare d’un voile, absolument rien ne les oblige à se procurer ce modèle atypique.

Quoiqu’il en soit, Barbie et son voile peuvent constituer une porte d’entrée vers un dialogue pas toujours nécessairement présent entre un parent et son enfant. La question de la diversité culturelle, la question du port du voile, la question des religions, etc. sont autant de thématiques pas forcément évidentes à aborder avec les plus jeunes. Voilà donc une opportunité à saisir pour ceux qui veulent entamer la discussion sur le sujet avec leur progéniture.

En outre, n’oublions pas que la fameuse « Barbie voilée » est avant tout une représentation de Ibtihaj Muhammad. Ainsi, c’est également une « Barbie sportive de haut niveau ». Pour enseigner aux plus jeunes la nécessité d’aller au-delà des apparences, quel formidable outil que cette poupée. Non ?

Une question d’argent

Néanmoins, ne nous voilons pas la face – et c’est le cas de le dire – la Barbie voilée est beaucoup plus qu’une athlète confirmée et qu’un support ludique dont peuvent se servir les parents désemparés pour aborder certaines questions des plus sérieuses avec leurs enfants. En fait, c’est surtout un jouet propice à la séduction du marché – non négligeable – que représentent les pays musulmans. Un coup de boost lancé par la marque en difficulté financière [8], ou une volonté de rendre hommage à l’athlète voilée… l’on peut se poser la question.

Toutefois, la poupée est conçue et elle viendra très bientôt rejoindre les allées des magasins de jouets. Sa sortie est prévue pour l’an prochain, en 2018. [9] Pour commencer l’année en beauté plutôt qu’en polémique, gardons à l’esprit ce qu’est une Barbie : un support permettant la « concrétisation physique » des histoires créées de toutes pièces par l’imaginaire des petits, où le cynisme des aînés n’a pas sa place.

Bref, pour Couples et Familles, il n’y a vraiment pas de quoi se mettre Ma(r)ttel en tête… [10]

 

 

 

 

 


[1] Le géant Mattel a-t-il eu raison de créer la toute première Barbie voilée ? La poupée fait polémique. In : https://www.rtl.be/. Consulté le 22 novembre 2017.
[2] La première barbie voilée sera commercialisée en 2018. In : http://soirmag.lesoir.be/. Consulté le 22 novembre 2017.
[3] JO-2016 : Ibtihaj Muhammad, l'escrimeuse américaine voilée porte l'estocade aux préjugés. In : http://www.france24.com/. Consulté le 23 novembre 2017.
[4] L'escrimeuse Ibtihaj Muhammad a inspiré la première Barbie avec un hijab. In : http://www.parismatch.com/. Consulté le 23 novembre 2017. 
[5] JO-2016 : Ibtihaj Muhammad, l'escrimeuse américaine voilée porte l'estocade aux préjugés. In : http://www.france24.com/. Consulté le 23 novembre 2017.
[6] Le géant Mattel a-t-il eu raison de créer la toute première Barbie voilée ? La poupée fait polémique. In : https://www.rtl.be/. Consulté le 22 novembre 2017.
[7] En 2016, Barbie devient enfin une femme comme les autres. In : http://madame.lefigaro.fr/. Consulté le 27 novembre 2017.
[8] Le géant Mattel a-t-il eu raison de créer la toute première Barbie voilée ? La poupée fait polémique. In : https://www.rtl.be/. Consulté le 27 novembre 2017.
[9] La première barbie voilée sera commercialisée en 2018. In : http://soirmag.lesoir.be/. Consulté le 27 novembre 2017.
[10] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

 

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