Analyse 2018-20

Ou plutôt : « quand on ouvre les yeux sur le fait qu’il est impératif de se bouger pour la planète ». Car ce n’est pas un scoop, le monde va plutôt mal. Mais tant que notre train-train quotidien ne s’en voit pas chamboulé, cette réalité inconfortable ressemble plus à une théorie lointaine sur laquelle nous n’avons que peu de prises qu’a une vérité qui nous concerne tous, de près, et sans exception. Plus le temps passe et plus nous devons en prendre conscience. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’y va pas par quatre chemins : il appelle à « modifier rapidement, radicalement et de manière inédite tous les aspects de la société » [1] pour que le réchauffement planétaire soit limité à 1,5°C.

Début octobre 2018, le GIEC publie le résumé d’un rapport de plusieurs centaines de pages. Cette synthèse est adressée aux « décideurs », car ne nous en déplaise, l’avenir de notre Terre dépend assurément en grande partie de prises de décisions politiques. C’est en 2015, lors de l’adoption de l’Accord de Paris que l’établissement de ce rapport avait été demandé, et son contenu ne peut laisser indifférent. « Les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1 °C sont déjà bien réelles, comme l’attestent l’augmentation des extrêmes météorologiques, l’élévation du niveau de la mer et la diminution de la banquise arctique. » [2] a déclaré Panmao Zhai, coprésident du Groupe de travail I du GIEC.

Aujourd’hui la température moyenne augmente, par décennie, de 0,2 ± 0,1°C. Cela s’explique par toutes les émissions contemporaines, mais aussi antérieures. Si l’on continue à suivre cette cadence, entre 2030 et 2052, le réchauffement climatique sera supérieur au 1,5°C dont parle le GIEC. Dès lors, comment éviter le dépassement de ce seuil ? Pour répondre à cette question, les scientifiques mettent deux éléments en avant : d’une part, parvenir, en 2030, à une réduction de 45% des émissions de gaz à effet de serre comparé à 2010 au niveau mondial ; et d’autre part, parvenir à des émissions nettes nulles aux alentours de 2050. [3] Cela signifie qu’il ne faudra plus propager dans l’atmosphère le CO2 dont on ne sait se débarrasser. [4]

Bien qu’il existe des techniques qui permettent de retirer le CO2 de l’atmosphère, on ne peut parler de solution miracle. En effet, celles-ci n’ont pas encore été testées au niveau mondial [5], et qui plus est, une dépendance à ces mécanismes n’est certainement pas la meilleure voie à suivre.

Et si nous dépassons les 1,5°C, que se passera-t-il ? Dans un scénario qui impliquerait une augmentation de 3°C de la température moyenne terrestre en 2100 (scénario qui risquerait de se produite si rien ne change), les conséquences sont dramatiques pour la planète : « l’océan est partiellement mort, les céréales poussent mal, les canicules sont cinq fois plus fréquentes et l’eau potable devient une ressource limitée pour des centaines de millions de gens… » [6]

Que fait l’Etat ?

Surproduire pour que les gens surconsomment pour qu’une minorité s’enrichisse : stop. Pourquoi ce modèle est-il encore d’actualité alors que le monde scientifique a tiré la sonnette d’alarme depuis plusieurs années déjà ? Pollution, gaspillage, détérioration de l’air, de la terre, des océans : de nouveau, stop. Les Etats tardent à prendre – et surtout à concrétiser –  des mesures susceptibles d’amener un changement radical (et positif). En Belgique, alors que les médias d’information font écho aux conclusions du rapport du GIEC, dans le même temps ils nous informent qu’un véhicule de service de la police fédérale sur six pollue trop que pour pouvoir circuler à Bruxelles et à Anvers. En effet, bien que ceux-ci ne remplissent pas les critères d’accès aux zones de basses émissions, ils peuvent tout de même y pénétrer, sans amende à la clé, contrairement au citoyen lambda qui s’y aventurerait. [7] Fait assez interpellant car l’on pourrait penser que l’Etat se devrait de donner l’exemple plutôt que de se cacher derrière la devise « faites ce que je dis et pas ce que je fais » …

Mais il semblerait que la Belgique ait bien du mal à se lancer dans la transition. « Les Etats sont actuellement loin d’atteindre les objectifs minimalistes qu’ils se sont fixés à Paris en décembre 2015. Et la Belgique a tristement rejoint le groupe des pays européens les moins ambitieux en matière d’action climatique » [8] peut-on lire dans un article publié le 8 octobre 2018 sur le site du parti Ecolo. L’article n’oublie pas non plus de faire le point sur les démarches wallonnes : « les actions essentielles restent insuffisantes, voire en régression, dans les trois grandes priorités : la stratégie de rénovation des bâtiments, la mobilité et la relocalisation de l’économie. Il est en outre incompréhensible que les plusieurs centaines de millions de revenus du Fonds Kyoto (quotas d’émissions ETS [9]) ne soient pas affectés par la Région à des mesures en faveur de la lutte et de l’adaptation aux changements climatiques. » [10]

Et les Belges ?

Fin 2017, les résultats d’une enquête nationale [11] sur le climat ont été publiés. Ceux-ci révèlent que 85% des belges considèrent le changement climatique comme étant une problématique urgente à traiter. Il est intéressant de souligner que les répondants ont tendance à imputer la responsabilité du changement climatique à « autrui ». Plus de 90% des individus interviewés parlent de l’industrie, et ils sont un peu plus de 80% à charger le transport de marchandises. Le transport de personnes n’est pas épargné : ils sont 63% à le mentionner. Enfin, environ 40% pointent les familles. Mais il semblerait que cela soit en sous-estimant leur influence. [12] Toutefois, la plupart des Belges veulent en faire plus pour la planète, notamment au niveau du chauffage, de l’isolation, de l’électricité verte et de l’énergie solaire. Mais étonnamment, alors que les personnes interviewées estiment que certains comportements peuvent faire une réelle différence, elles « boudent » ces dits comportements. Pour illustrer cette tendance : plus de la moitié des répondants estiment que le recours à l’énergie solaire peut faire la différence, mais moins d’un quart des répondants s’en servent. [13]

Il semblerait aussi que, généralement, les citoyens sont conscients de l’impact de l’industrie, de la déforestation, etc. sur le climat ; mais quand il s’agit de l’impact du chauffage ou de l’alimentation par exemple, là, ils le sont beaucoup moins car l’influence est moins perceptible. Pour finir, on peut aussi signaler que seulement 5% des répondants sont très satisfaits des efforts des pouvoirs publics en matière de lutte contre les changements climatiques. Par contre, le nombre de personnes insatisfaites a augmenté de 7% [14] (comparé à 2013).

De la théorie à la pratique

Ces constats renforcent la conviction, qu’a Couples et Familles, qu’il est nécessaire de conscientiser les familles à la responsabilité qu’elles aussi, ont dans la lutte contre le réchauffement climatique, et plus largement dans l’entrée dans la transition. Dans cette perspective, le milieu associatif peut constituer un véritable levier pour atteindre cet objectif de sensibilisation, par exemple, en mettant des outils concrets à disposition des citoyens pour les aider à alimenter leur réflexion, et à développer leur esprit critique. Tâche dont Couples et Familles s’est prioritairement occupée ces derniers mois, via la rédaction et diffusion d’analyses [15] en lien avec la transition, via l’organisation de plusieurs tables rondes sur la question, et surtout via l’élaboration d’une étude [16] qui se focalise sur les familles en transition. Par ailleurs, lors de la fête donnée en l’honneur de la parution de l’étude, les membres de l’équipe de Couples et Familles ont invité les personnes présentes à faire entrer leur famille dans la transition durant le mois de septembre, tout en se prêtant également eux-mêmes à l’exercice.

Ce défi s’est déroulé de façon assez positive. Néanmoins, la mobilité semble être le point sur lequel ont buté tous les membres de Couples et Familles.

Sophie, mariée et maman de trois enfants explique : « Notre confort de vie a primé sur le changement, il y a un gain de temps indéniable à faire nos trajets en voiture ».

Emeline, étudiante devant effectuer pas mal de déplacements entre les différentes implantations de son école, son lieu de stage, la maison familiale et le domicile de son compagnon, considère, elle aussi, que la voiture reste la solution la plus pratique pour effectuer tous ses déplacements. Cela lui évite notamment de devoir faire face à une articulation complexe entre l’horaire de ses cours et celui des transports en commun. Toutefois elle a tout de même tenté récemment une conciliation voiture/transport public. En se garant en périphérie de Bruxelles pour effectuer la suite de son trajet en bus ou en métro, elle s’est rendu compte que de la sorte, elle gagnait du temps et pouvait davantage apprécier son déplacement dans la capitale.

En ce qui concerne Aurelie, difficile pour elle aussi de se passer de sa voiture. Mais elle essaye tout de même d’agir au niveau de sa mobilité en essayant le plus souvent possible de supprimer les déplacements inutiles sur plusieurs jours alors que s’ils ont lieu dans la même région, il est possible de les rassembler. Elle illustre : « Par exemple, lorsque je vais voir mes parents, j’en profite pour voir mon formateur qui habite la même ville. » Par contre son compagnon a quant à lui troqué sa voiture contre une trottinette pour effectuer certains trajets.

Pour ma part, j’ai tout de suite su qu’il me serait impossible de me passer de ma voiture. Mon compagnon et moi habitons un petit village mal desservi en transport en commun. Il me faudrait prendre deux bus et un train pour me rendre au travail… Toutefois, tout n’était pas perdu d’avance. Pendant le défi de Couples et Familles se déroulait aussi la « Semaine de la Mobilité en Wallonie », l’occasion de se passer de la voiture pour profiter des alternatives mises en place… Mais quelle alternative ? Cet évènement ne s’est pas concrètement propagé jusque dans « notre campagne » alors que c’est précisément dans les zones rurales fort écartées qu’il faudrait impérativement réaliser des aménagements au niveau de la mobilité… Néanmoins, en arpentant le site du Portail de la mobilité en Wallonie, j’ai pu découvrir des outils intéressants qui – à l’avenir, quand ils seront davantage connus du grand public – pourront peut-être me servir, comme une plateforme de covoiturage [17] par exemple.

Les petites choses simples à mettre en place au quotidien

Lors du défi, nous nous sommes rendu compte qu’il était facile de changer pas mal de nos habitudes en actes bénéfiques pour la planète. Sophie résume à merveille notre ressenti à toutes : « Ce défi, qui au départ me faisait un peu peur, m’a permis de prendre conscience qu’il y avait moyen de faire les choses différemment sans bouleverser complètement la vie de famille. Il nous a permis de mettre le pied à l’étrier sur des points qui nous touchaient déjà mais pour lesquels nous n’avions pas passé le cap. Nous comptons garder toutes les nouvelles habitudes prises parce que nous avons fait des changements qui étaient à notre portée. Nous n’avons rien bousculé mais plutôt pris de nouvelles petites mesures et espérons continuer dans ce sens petit à petit. »

Fuir les emballages individuels en plastique et le papier aluminium, cuisiner des produits locaux, préférer ajouter un pull plutôt que de faire grimper la température de la maison, lors des courses, acheter uniquement ce dont nous avons besoin, favoriser la récupération en donnant ou en se procurant des choses en « seconde main », etc. : cette liste non exhaustive donne un aperçu des nouveaux rituels qui ont facilement été adoptés par nos familles respectives et qui pourraient aussi probablement l’être par bon nombre de familles.

Même si le défi est terminé, nous souhaitons encore aller plus loin dans la transition et avons des idées bien précises en tête : désengorger la salle de bain de la multitude d’emballages en plastique qui peut s’y trouver (acheter de plus gros contenants, essayer le shampoing solide, le dentifrice en poudre, le cure oreille réutilisable, etc.) tenter de réaliser nos produits d’entretien… L’une d’entre nous a aussi le projet d’acquérir un poulailler au printemps prochain pour pouvoir consommer des œufs bien frais, mais aussi de transformer une vielle étagère récupérée en boîte à livres afin de faire profiter sa communauté et les passants de romans, BD, etc. dont elle n’a plus l’usage. Bref, la transition a autant de portes d’entrée qu’il n’y a d’individus sur la planète et il est possible de s’y mettre en douceur, sans que cela ne représente un poids ! À chacun, en fonction de ses possibilités, de mettre sa propre pierre à l’édifice… Il n’est pas trop tard. À notre niveau, agissons. C’est la multiplication des changements individuels et leur effet d’entraînement sur les autres qui pourront, avec les décisions politiques qui s’imposent, provoquer les changements radicaux que le GIEC estime indispensables. [18]


Pour aller plus loin :
- « Il est encore temps » : Site internet dont l’objectif est de montrer aux citoyens comment participer, à leur échelle, à lutte contre le réchauffement climatique, contre la déforestation, etc. La raison d’être de ce site ? Montrer que tous, nous pouvons agir pour la planète et qu’il n’est pas trop tard pour éviter que la situation ne devienne encore plus grave.
- « Familles en transition », dossier n°125 des Nouvelles Feuilles Familiales. 

 

 

 

 


[1] Communiqué de presse du GIEC. « Approbation par les gouvernements du Résumé à l’intention des décideurs relatif au Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C ». 8 octobre 2018, 5p. 
[2] Ibid.
[3] Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C. In : https://www.climat.be/. Consulté le 9 octobre 2018.
[4] Plus 1,5ºC dès 2030 : le Giec appelle à des transformations «rapides et sans précédent». In : https://www.lesoir.be/. Consulté le 9 octobre 2018.
[5] Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d'un réchauffement planétaire de 1,5 °C. In : https://www.climat.be/. Consulté le 9 octobre 2018.
[6] Il est encore temps. Vidéo publiée sur la page Facebook de Pablo Servigne le 8 octobre 2018 et consultée le 11 octobre 2018.
[7] Plus de 800 véhicules de police sont trop polluants à Bruxelles et Anvers. In : https://www.rtbf.be/. Consulté le 10 octobre 2018.
[8] Rapport du GIEC sur le dérèglement climatique : le temps du courage, de l’ambition et de l’exemplarité. In : https://ecolo.be/. Consulté le 10 octobre 2018.
[9] Emissions Trading System. Système d’échange de quotas d’émission : les entreprises peuvent acheter des quotas d’émission qu’elles peuvent ensuite échanger avec d'autres, en respectant un plafond.
[10] Rapport du GIEC sur le dérèglement climatique : le temps du courage, de l’ambition et de l’exemplarité. In : https://ecolo.be/. Consulté le 10 octobre 2018.
[11] Enquêté effectuée auprès de 1500 belges et publiée par le service Changements Climatiques du SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement, et dont les conclusions figurent sur le site www.climat.be
[12] Enquête publique sur le climat : 85% des Belges considèrent les changements climatiques comme un problème qui demande une réponse urgente ! In : https://www.climat.be/. Consulté le 10 octobre 2018.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Ensemble, réfléchissons à demain. Analyse 2018-07 de Couples et Familles.
Les enfants peuvent-ils être des acteurs de la transition ? Analyse 2018-09 de Couples et Familles.
Le gaspillage textile, une préoccupation familiale ? Analyse 2018-10 de Couples et Familles.
Concilier minimalisme, couple et parentalité : mission impossible ? Analyse 2018-12 de Couples et Familles.
Comment inciter à la transition au sein des familles ? Analyse 2018-18 de Couples et Familles.
[16] « Familles en transition » de Couples et Familles (Dossier NFF n°125).
[17] https://www.carpool.be/
[18] Analyse rédigée par Audrey Dessy.

 

 

 

 

 

 

 

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