Analyse 2019-04

« En 2018, 727 Belges ont changé de sexe, selon les chiffres du Registre national. » [1] Un chiffre bien plus élevé que celui recensé l’année précédente qui comptait 110 personnes. De nombreux journalistes attribuent cette augmentation à différents facteurs tels que le changement de législation, l’exemple médiatisé de la journaliste flamande Bo Van Spilbeeck, ainsi que la diffusion du film Girl. 

Alors qu’auparavant, les personnes devaient se soumettre à de lourdes contraintes médicales pour pouvoir changer de sexe, à savoir l’imposition d’un avis psychiatrique et d’une stérilisation ; depuis janvier 2018, elles en sont désormais exemptées [2]. Une décision humaine qui accélère et facilite la modification de la lettre « M » en « F » (et inversement) sur les documents officiels de la personne.

Toutefois, malgré les avancées législatives et l’accueil positif réservé à Bo Van Spilbeeck lors de son coming-out, il n’en demeure pas moins qu’au quotidien, les personnes transgenres restent victimes de discrimination.  Cette constatation a été relevée par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) et le Point d’Information Transgenre (UZ-Gent) lors de leur dernière enquête délivrée en décembre 2018. Ils ont pu comparer les résultats de cette étude à ceux qu’ils avaient obtenus dix ans auparavant et vraisemblablement, les résultats ont très peu changé. Les obstacles principaux au coming-out restent les mêmes : la famille, les réactions et le travail [3]. Et les lieux de discrimination continuent à être nombreux : que ce soit sur le milieu du travail, à l’école, chez les professionnels de la santé, sur les réseaux sociaux ou encore durant les activités sportives [4]. Dès lors, que faire face à ces freins et à ces actes de violence ? Couples et Familles s’attelle à la question…

Quelques éléments de clarification

Selon le point d’information transgenre, « le concept d’identité de genre renvoie à la perception intime d’être un garçon, une fille, les deux à la fois ou ni l’un ni l’autre. L’identité de genre correspond la plupart du temps au sexe attribué à la naissance : on naît avec un corps de fille et on éprouve également le sentiment d’être une fille/une femme (et l’inverse pour un garçon/homme). Lorsque le sexe psychologique (l’identité de genre) d’une personne et le sexe biologique attribué coïncident, on dit que la personne est cisgenre. Mais il se peut également que ces deux composantes soient plus ou moins en conflit, ou ne coïncident pas du tout. Tout en étant né(e) avec un corps de fille, on n’éprouve pas le sentiment d’être une fille/femme. Ou l’on se sent à la fois garçon et fille, homme et femme. » [5] On dit de cette personne qu’elle est « transgenre » ou « transidentitaire ». 

La transidentité est vécue différemment pour chaque personne en fonction de son expérience personnelle. Certaines personnes ne s’identifient pas au genre qui leur a été assigné à la naissance par le corps médical, d’autres ne se reconnaissent pas du tout dans la vision binaire de l’être humain… Pour remédier à cette dissonance intérieure, certaines personnes auront recours à un changement de prénom et de sexe, à une modification de leur expression de genre (par exemple en choisissant de nouvelles coupes de cheveux, en adaptant leur style vestimentaire…), parfois à une intervention chirurgicale ou médicale… Les différents ajustements dépendront des besoins subjectifs de la personne.

En outre, la transidentité est à distinguer de l’orientation sexuelle. De nombreuses personnes font encore trop souvent cet amalgame. Selon le point d’information transgenre, « l’attirance de la plupart des personnes transgenres pour un ou plusieurs sexes (ou mieux: genres) NE change PAS après leur transition. Une personne née homme et attirée par les femmes reste la plupart du temps attirée par les femmes après sa transition en femme, mais sera alors ‘d’un seul coup’ perçue comme lesbienne. Il ne s’agit là que d’étiquettes. » [6]
 
Enfin, l’AJL (l’Association des Journalistes Lesbiennes, Gays, Bi.e.s et Trans) insiste également pour bien différencier la transidentité du travestisme : « Se travestir, c’est adopter temporairement les codes vestimentaires et sociaux d’un autre genre. Pas tout à fait la même chose que d’avoir le sentiment profond que son genre ne correspond pas à son sexe biologique. » [7]

Du soutien familial

Annie Pullen Sansfaçon, professeure agrégée à l’université de Montréal et cofondatrice de l’organisme « Enfants transgenres Canada » veille à sensibiliser la population aux réalités des enfants trans et milite pour la reconnaissance de leurs droits au Québec [8]. Selon ses recherches, ce n’est pas l’identité transgenre qui est problématique pour la personne, mais bien les expériences de stigmatisation et de victimisation qui engendrent de la détresse psychologique et une faible estime de soi [9]. Par ailleurs, des études scientifiques démontrent que « les enfants transgenres soutenus par leurs parents, au sein de la famille et socialement, ont une identité aussi forte, cohérente et ancrée que les jeunes cisgenres » [10]. Lorsqu’ils sont dans un environnement soutenant, ils n’apparaissent pas plus déprimés que les enfants cisgenres et ne sont que marginalement plus anxieux que les autres enfants [11].

Par conséquent, pour Couples et Familles, le soutien parental et plus largement familial apparait comme une ressource prioritaire à développer. La famille étant le premier lieu de socialisation de la personne, il est fondamental qu’elle puisse s’y sentir en sécurité, accueillie et aimée pour qui elle est réellement à l’intérieur d’elle-même. Cet aspect est particulièrement mis en exergue dans le film Girl dans lequel on constate que la protagoniste, Lara, bénéficie d’un soutien quasi inconditionnel de son père.

Cependant, pour que la famille puisse être soutenante, il est primordial qu’elle puisse elle-même être soutenue. Dans notre société actuelle, une certaine norme est encore bel et bien ancrée : la plupart des parents s’attendent à avoir un enfant cisgenre. Dès lors, lorsque leur enfant leur annonce qu’il est transgenre, cela peut être vécu comme un choc et cela peut prendre un certain temps avant que les parents acceptent totalement la situation [12]. Ils doivent renoncer à un enfant qu’ils avaient « fantasmé » pour redécouvrir leur enfant « réel ». Quelque part, n’est-ce pas un exercice que tout parent devrait pouvoir faire pour aller à la rencontre authentique de son enfant, qu’il soit cisgenre ou transgenre? Quoi qu’il en soit, ces parents doivent pouvoir se sentir accompagnés dans ce qu’ils vivent pour pouvoir entrer dans un processus d’acceptation et d’ouverture à ce qu’ils n’avaient pas anticipé ou imaginé pour leur enfant, mais aussi pour ne pas se sentir isolés ou stigmatisés.

Par ailleurs, il est important que les familles puissent avoir accès à des services qui les aident à comprendre le vécu de leur enfant. De cette manière, elles seront plus aptes à développer une attitude empathique à leur égard et plus présentes dans l’accompagnement des différents remaniements identitaires de ce dernier.

Vers une plus grande inclusion sociale

Beaucoup de préjugés existent au sujet des personnes transgenres. Certaines personnes les croient malades et d’autres pensent qu’il y a un risque de contamination pour leurs propres enfants s’ils s’y frottent de trop près [13]. Or comme l’affirme le World Professional Association for Transgender Health, « être transgenre, transsexuel ou indépendant dans son identité de genre est une question de diversité, pas de maladie mentale » [14].

L’intolérance, la discrimination et la haine proviennent la plupart du temps d’idées préconçues et/ou d’un manque de connaissance à l’égard de l’autre qui est perçu comme différent. Par conséquent, pour Couples et Familles, il est essentiel de démystifier la transidentité. Ce n’est qu’en communiquant et en informant les personnes que les mentalités vont pouvoir changer dans notre société. Sensibiliser chaque citoyen à la question permet de déconstruire toute une série de stéréotypes s’y raccordant, mais aussi de tendre vers une société plus inclusive. Chacun devrait pouvoir se sentir libre d’être qui il est et pouvoir être reconnu comme tel sans que cela ne lui porte préjudice.

La responsabilité de cette mission éducative doit être partagée. Bien entendu, les parents doivent pouvoir s’ouvrir au dialogue et parler de l’identité sexuelle avec leurs enfants. Mais tous ne s’en sentent pas capables ou n’en ont pas l’envie. C’est pourquoi,  ils ne doivent pas être les seuls acteurs concernés. L’éducation à cette thématique doit également pouvoir passer par l’école et les cellules EVRAS (éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle) de sorte qu’aucun enfant ou adolescent ne soit privé d’informations. En outre, la sensibilisation doit aussi s’adresser aux adultes ou aux aînés car ils sont les premiers concernés en termes de discrimination à l’emploi ou au sein d’instances publiques, de santé ou de loisirs. Plusieurs associations tâchent de mener des campagnes anti-discriminations et d’informer la population aux transidentités : Genres Pluriels, le Point d’Information Transgenre, l’asbl Trans-ition... Leur soutien doit être le fruit d’une préoccupation sociétale et des moyens doivent être mis en œuvre pour pérenniser leurs projets institutionnels.

Enfin, ce n’est qu’en modifiant nos normes actuelles que les personnes transgenres pourront se vivre réellement comme inclues dans la société. Ce changement de norme passe également par la diffusion de différents modèles identitaires dans les médias.  Certaines actrices transgenres se sont investies de cette mission comme par exemple Jamie Clayton dans la série télévisée « Sense 8 » ou encore Laverne Cox dans « Orange is the New black ».

En conclusion, même si certaines avancées ont eu lieu (par exemple : d’un point de vue législatif), que les personnes transgenres osent faire leur coming-out plus tôt qu’il y a dix ans et qu’elles commencent à être plus visibles dans la société d’aujourd’hui, il est certain qu’il reste du chemin à faire afin qu’elles bénéficient des mêmes droits, des mêmes chances et de la même considération humaine que tout un chacun. [15]

 

 

 

[1] «  Une augmentation jamais observée auparavant : plus de 700 Belges ont changé de sexe l’an dernier » In  https://www.rtl.be/ (consulté le 11/02/19)
[2] « La chambre approuve la loi sur les transgenres » In https://www.rtbf.be/ (consulté le 11/02/19)
[3] « Les personnes transgenres toujours autant victimes de discrimination au quotidien » In https://www.rtbf.be/ (consulté le 11/02/19)
[4] « Les transgenres toujours victimes de nombreuses discriminations » In https://www.dhnet.be/ (consulté le 11/02/19)
[5] « Identité de genre » In http://www.infotransgenre.be/ (consulté le 11/02/19)
[6] « Préférence sexuelle » In http://www.infotransgenre.be/ (consulté le 11/02/19)
[7] « Comment parler des personnes trans » In https://www.huffingtonpost.fr/ (consulté le 11/02/19)
[8] Annie Pullen Sansfaçon et Olie Pullen – Finalistes du Prix des Droits et Libertés 2016 » In https://www.youtube.com/ (consulté le 11/02/19)
[9]Raymond et al 2015 In Pullen Annie, « Vers une perspective trans-affirmative des jeunes transgenres et de leurs familles : enjeux et pistes d’intervention », Séminaires de l’IRSPUM, février 2017. (consulté le 28/01/19)
PPT disponible gratuitement sur : https://docplayer.fr/
[10] Haga et Olson 2015, Olson et coll.2016 In Pullen Annie, « Vers une perspective trans-affirmative des jeunes transgenres et de leurs familles : enjeux et pistes d’intervention », Séminaires de l’IRSPUM, février 2017. (consulté le 28/01/19)
[11] Durwood, McLaughlin, Olson 2017 In Pullen Annie, « Vers une perspective trans-affirmative des jeunes transgenres et de leurs familles : enjeux et pistes d’intervention », Séminaires de l’IRSPUM, février 2017. (consulté le 28/01/19)
[12] Brill and Pepper 2008, Pullen Sansfaçon 2015a, Pullen Sansfaçon 2015b In Pullen Annie, « Vers une perspective trans-affirmative des jeunes transgenres et de leurs familles : enjeux et pistes d’intervention », Séminaires de l’IRSPUM, février 2017. (consulté le 28/01/19)
[13] Pullen Sansfaçon et col.2015 In Pullen Annie, « Vers une perspective trans-affirmative des jeunes transgenres et de leurs familles : enjeux et pistes d’intervention », Séminaires de l’IRSPUM, février 2017. (consulté le 28/01/19)
[14] Le World Professionnal Association for Transgender In Pullen Annie, « Vers une perspective trans-affirmative des jeunes transgenres et de leurs familles : enjeux et pistes d’intervention », Séminaires de l’IRSPUM, février 2017. (consulté le 28/01/19)
[15] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

 

 

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