Analyse 2019-05

Depuis dix semaines, de nombreux écoliers participent chaque jeudi à un mouvement de grève scolaire pour le climat. Un acte de désobéissance civile qui suscite l’inspiration des uns et un grincement de dents des autres. Vendredi passé, ces jeunes ont appelé à une mobilisation plus générale et ont invités les adultes à prendre part à une grève globale. Que comprendre de leur demande ? D’où provient une telle impulsion ? Couples et Familles revient sur ces différentes interrogations.

Pour rappel, il y a quelques mois, les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) tiraient la sonnette d’alarme et appelaient à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon eux, il est nécessaire de « modifier rapidement, radicalement et de manière inédite tous les aspects de la société pour que le réchauffement planétaire soit limité à 1,5°C » [1]. Des mesures doivent être prises dès maintenant, sans quoi il en résulterait de lourdes conséquences telles que l’apparition de tempêtes, de sécheresses, d’inondations… [2] Des conséquences qui formeraient sans nul doute un accélérateur de crises géopolitiques au détriment de la sécurité et de la paix sur terre, comme le rappelle la branche française du WWF [3].

Le mouvement ‘Claim The Climate’ en collaboration avec de nombreuses personnalités belges a relayé cette information à l’aide d’une vidéo intitulée « Je peux pas, j’ai climat » et a invité la population belge à manifester pour la justice climatique le 2 décembre 2018, c’est-à-dire la veille de l’ouverture de la conférence climatique internationale COP24 à Katowice en Pologne. Ce à quoi 65 000 belges ont répondu présents. Il s’agissait alors de la plus grande mobilisation climatique que la Belgique ait connue jusque-là.

Vraisemblablement, de nombreux citoyens belges se sentaient concernés par la thématique climatique. Cependant, à peine 24h après ce grand rassemblement, c’est à la déception qu’a dû faire face cette foule. En effet, lors de la COP24, l’état belge n’a pas été en mesure de co-signer une déclaration proposant d’accélérer le pas dans la lutte contre le réchauffement climatique . Une décision qui a laissé cette population amère, mais certainement pas immobile.

Greta Thunberg, figure de proue du projet de grève scolaire

Si nos représentants n’ont pas pu s’accorder et se rallier à d’autres pays plus ambitieux lors de la COP24, cette conférence climatique n’a pourtant pas laissé la jeunesse de marbre. Durant la dernière journée de cette conférence, Greta Thunberg, une militante suédoise d’à peine 16 ans qui fait grève scolaire tous les vendredis devant le parlement de son pays depuis fin août 2018 afin de réclamer des mesures politiques climatiques rapides, a appelé les écoliers du monde entier à suivre sa démarche. Un message fort qui est à l’origine de la création du mouvement Youth for climate en Belgique et qui est porté par deux adolescentes néerlandophones (Anuna De Wever et Kyra Gantois) ainsi qu’une jeune francophone (Adélaïde Charlier).

Le 10 janvier 2019, Youth for Climate organisait sa première grève scolaire et depuis lors, un nombre exponentiel de lycéens se sont joints au mouvement. Leur initiative perdure chaque jeudi, de semaine en semaine, avec l’idée d’interpeller les politiques. Ces jeunes ont une conscience éveillée des dangers qui les guettent et désirent que les décideurs prennent leur responsabilité en effectuant des choix audacieux, ils revendiquent un plan climatique imminent afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C comme l’a vivement recommandé le GIEC. Ils le clament haut et fort, c’est leur avenir qui est en train d’être sacrifié ! Ils sont prêts à poursuivre ce combat jusqu’aux élections.

De nombreux mouvements ont été inspirés par la ténacité de ces jeunes et ont vu le jour, non seulement pour leur assurer du soutien, mais aussi pour développer leurs propres actions de protestation à l’égard du gouvernement ou de conscientisation de la population. Ces groupements recouvrent des étudiants du supérieur (Students For Climate), des professeurs (Teachers For Climate), des grands-parents (Grands-parents pour le climat) ainsi que des professionnels (Workers For Climate).

Une grève mondiale pour le climat

Pas moins de 123 pays ont répondu à l'appel de Greta Thunberg en participant à la grève mondiale pour le climat de ce vendredi 15 mars 2019 [5]. De nombreuses actions ont eu lieu dans le but de sensibiliser les politiques aux dérèglements climatiques, la plupart étant  menées par un public jeune. Greenpeace a d'ailleurs mis à disposition une carte du monde recensant les plusieurs milliers d'actions qui ont eu lieu ce vendredi 15 mars [6]. L'une des plus marquantes symboliquement demeure celle menée par une cinquantaine de jeunes qui se sont rendus devant le siège de l'ONU à New-York et se sont allongés en faisant les morts [7]. Une mise en scène qui a pour but de réclamer une accélération de la lutte contre le changement climatique, mais aussi de mettre fin à l'ère du climato-scepticisme, poursuit Alexandria Villasenor, égérie de ce combat aux Etats-Unis [8].

En Belgique, le front commun, composé de Youth for climate, Students For climate, Teachers fort climate et Workers for climate, a demandé aux syndicats de déposer un préavis de grève pour cette journée mondiale de mobilisation pour le climat [9]. L'idée étant de transformer cette journée de sensibilisation en grève générale et d'avoir un réel impact auprès du gouvernement belge. À quand une loi spéciale climat ?! « Nous ne pouvons pas laisser toute la responsabilité aux jeunes. En tant qu’adultes, nous devons aussi nous impliquer » avait alors affirmé Philip Spruyt, porte-parole de Workers for climate [10]. Seules quelques centrales professionnelles ont suivi l’appel de Youth For Climate et ont couvert leurs affiliés par une indemnité de grève [11]. Les plus motivés n'ont toutefois pas été découragés par cela. Effectivement, c'est un public intergénérationnel et de tous les horizons qui a été actif dans les différentes mobilisations du pays. Parmi les manifestants présents se trouvaient des écoliers, des étudiants, des scientifiques, des académiques, des professeurs, des associations, des ONG, des organisations et des collectifs, des familles, des syndicats ainsi que plusieurs partis politiques (parmi lesquels le PS, Écolo, et le PTB).

Poursuivre les mobilisations de groupe

Notre société est construite sur un modèle de croissance qui consume l’ensemble de nos ressources planétaires. Il devient impératif de repenser notre organisation sociale. C’est pourquoi, Couples et Familles encourage ces différentes actions de masse. En poursuivant les grèves scolaires chaque jeudi et en prenant part au mouvement de grève générale de ce vendredi 15 mars 2019, les citoyens ont manifesté un réel besoin de changement auprès des politiques. Un changement qui ne peut émaner de simples actions individuelles. Pour qu’il y ait des changements efficaces en faveur de l’environnement et plus largement de la transition, il est nécessaire que certaines actions soient institutionnalisées et passent par le politique. Qui plus est, les dernières manifestations des gilets jaunes ont démontré à quel point on ne pouvait envisager des solutions aux problématiques climatiques sans se soucier de l’impact que celles-ci ont sur les populations les plus démunies. Couples et Familles partage l’avis du sociologue Jean-Baptiste Comby selon lequel on ne peut envisager de justice climatique sans se soucier de la justice sociale [12].

Renforcer le travail de sensibilisation auprès des familles

Lors des différentes manifestations organisées par les écoliers, de nombreux adolescents ont rapporté que le travail de conscientisation se faisait à l’école, auprès des pairs, et également en famille.

De nombreuses valeurs fondamentales sont véhiculées au sein de la cellule familiale. Et par habitude, les parents ne se rendent plus nécessairement compte des attitudes qu’ils adoptent au quotidien. Or, il est de la responsabilité des aînés de transmettre des comportements et des modes de consommation qui veillent à la lutte contre le réchauffement climatique au sein de la famille. C’est en quoi le milieu associatif peut être d’une réelle aide ! Il offre des outils qui facilitent la réflexion et la remise en question, propose des espaces d’échanges autour de différentes thématiques et aussi des pistes de solution pour aller plus loin. Ce dont Couples et Familles s’est principalement chargé ces derniers mois via la réalisation d’une étude complète intitulée « Familles en transition » [13], de plusieurs analyses en lien avec ce sujet [14], d’une capsule vidéo [15], de plusieurs émissions radio [16], de diverses animations ainsi qu’une campagne visant au changement de comportements [17].

À vos votes !

À l'approche des élections, à nous, citoyens adultes qui disposons du droit de vote, d’honorer cette voix politique que les jeunes n’ont pas encore l’opportunité d’exploiter sur le bulletin de vote mais qu’ils s’acharnent à faire entendre hebdomadairement. Il semble pertinent de faire son devoir de citoyen en s’informant auprès des différents partis politiques et en choisissant de voter pour celui qui décide d’œuvrer le plus efficacement dans cette préservation de l’humanité. Différents questionnements peuvent nous aider à adhérer à un programme politique : Le parti pour lequel je compte voter compte-t-il légiférer auprès des entreprises afin de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre ? Compte-t-il rendre les transports en commun plus accessibles financièrement et géographiquement ? Comment compte-t-il intégrer une dimension sociale inclusive à la problématique de l’écologie ? Compte-t-il favoriser une politique sociale de proximité ? Compte-t-il favoriser l’achat de matériaux ou de moyens de subsistances plus écologiques ? …

« Consommer, c’est aussi voter »

Enfin, en tant que consommateur, notre manière de consommer a un réel impact sur les décisions prises par les acteurs économiques. En effet, si chacun d’entre nous tente de consommer plus « vert », l’économie va se plier à la demande du consommateur. Par exemple, une demande accrue de circuits courts et de produits bio va augmenter l’offre de ceux-ci et diminuer l’offre de produits importés et industriels. Ainsi, chaque citoyen détient le pouvoir de participer à la modification de notre société de consommation.

Des obstacles à franchir

Si les pistes d’action sont nombreuses d’un point de vue politique et individuel pour faire face au réchauffement climatique, n’oublions pas qu’il existe également de nombreux freins à débloquer de type économique, écologique, social...

Le risque est grand de dévaloriser les choix de consommation des populations plus précaires alors que celles-ci peinent à boucler leurs fins de mois. De plus, il serait illusoire de penser que leur mode de vie présente une plus grande empreinte carbone que celle des personnes issues de milieux plus privilégiés. Les statistiques démontrent clairement le contraire [18]. Il n’est donc pas question de moralisation individuelle en matière de lutte contre le réchauffement climatique, à chacun ses possibilités d’action, mais bien de responsabilité collective : comment rendre ces options de consommation responsable et durable accessibles à tout un chacun ?

Ensuite, certaines personnes, et non des plus vulnérables, comme par exemple Donald Trump, vivent dans le déni des problématiques environnementales et, de ce fait, n’envisagent en aucun cas d’effectuer des ajustements individuels dans leur quotidien.

Aussi, une résistance forte des capitalistes peut également avoir lieu. Des groupes de pression font passer le profit immédiat avant d’autres préoccupations telles que l’écologie et ce, même s’ils reconnaissent l’existence de la problématique écologique.

Enfin, malgré l’implication planétaire des citoyens, à ce jour très peu d’entreprises et de gouvernements ont donné suite aux différents mouvements citoyens. Dès lors, s’il ne faut pas perdre espoir en l’avenir, reconnaissons toutefois qu’il s’agit d’un défi de grande envergure à relever ![19]

 

 

 

 

[1] Communiqué de presse du GIEC. « Approbation par les gouvernements du Résumé à l’intention des décideurs relatif au Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C ». 8 octobre 2018, 5p. 
[2] « Climat: comprendre l'accord de la COP24 en trois questions ». In https://www.rtbf.be/ Consulté le 21/03/19
[3] « Le réchauffement climatique : un facteur de guerre ». In  https://www.euractiv.fr/ Consulté le 21/03/19
[4] « Climat: comprendre l'accord de la COP24 en trois questions ». In https://www.rtbf.be/ Consulté le 21/03/19
[5] «  Grève mondiale pour le climat : plus de 123 pays mobilisés suite à l’appel de Greta Thunberg ». In https://www.lesoir.be/ Consulté le 21/03/19
[6] «  Tour du monde des actions de la grève mondiale pour le climat ». In https://moustique.be/ Consulté le 21/03/19
[7] «  Grève mondiale pour le climat : Une cinquantaine de jeunes font les morts devant le siège de l’ONU à New-York » In https://www.lalibre.be/ Consulté le 21/03/19
[8] «  Grève mondiale pour le climat : Une cinquantaine de jeunes font les morts devant le siège de l’ONU à New-York » In https://www.lalibre.be/ Consulté le 21/03/19
[9] «  Grève mondiale pour le climat le 15 mars : les syndicats invités à déposer des préavis ». In  https://www.lesoir.be/ Consulté le 21/03/19
[10] « Pourquoi une grève pour le climat est nécessaire ». In https://www.solidaire.org/ Consulté le 21/03/19
[11] « Grève mondiale pour le climat, ce 15 mars : à quoi s’attendre ? ». In https://www.7sur7.be/ Consulté le 21/03/19
[12] «  Jean-Baptiste Comby : ‘Le climat un problème social rarement présenté comme tel’ ». In http://www.agirparlaculture.be/ Consulté le 21/03/19
[13] « Familles en transition » de Couples et Familles (Dossier NFF n°125).
[14] Les différentes analyses réalisées en lien avec la thématique de la transition sont les suivantes :
Ensemble, réfléchissons à demain Analyse 2018-07 de Couples et Familles.
Les enfants peuvent-ils être des acteurs de la transition ? Analyse 2018-09 de Couples et Familles.
Le gaspillage textile, une préoccupation familiale ? Analyse 2018-10 de Couples et Familles.
Concilier minimalisme, couple et parentalité : mission impossible ? Analyse 2018-12 de Couples et Familles.
Comment inciter à la transition au sein des familles ? Analyse 2018-18 de Couples et Familles
Quand il devient impératif de se bouger pour la planète… Analyse 2018-20 de Couples et Familles
Les fêtes de fin d’année à l’heure de la transition : des traditions à se réapproprier 2018-27 de Couples et Familles
[15] « Familles en transition »
[16] Ces émissions ont été diffusées sur la radio RCF : https://rcf.fr/
[17] Vous trouverez plus d’informations sur la campagne visant au changement de comportements dans l’analyse suivante : Comment inciter à la transition au sein des familles ? Analyse 2018-18 de Couples et Familles
[18] «  Jean-Baptiste Comby : ‘Le climat un problème social rarement présenté comme tel’ ». In http://www.agirparlaculture.be/ Consulté le 21/03/19
[19] Analyse rédigée par Aurelie Degoedt.

 

 

 

 

 

 

 

 

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