Analyse 2019-17

Le 10 juillet dernier, la loi relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires a modifié le Code civil français. Désormais, « l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques » [1]. Si cela semble couler de source, les parents qui recourent aux corrections, aux menaces ou aux paroles rabaissantes sont encore très nombreux… Et en Belgique aussi. À quand le même type de loi chez nous ? Mais surtout, à quand une réelle prise de conscience qu’il n’y a pas de « petite » violence, ou de violence « méritée » ?

On fait souvent de l’abolition de la fessée le fer de lance des revendications, mais les violences éducatives ordinaires (VEO) recouvrent une réalité qui va bien au-delà de la claque. Sont considérées comme VEO toutes les violences physiques telles que les coups, les gifles, les pincements, mais aussi les secousses, les projections, le tirage de cheveux ou d’oreilles, ainsi que les violences verbales et psychologiques comme les cris, les moqueries, les injures [2], l’isolement, les menaces, le chantage affectif, etc. Cette liste est loin d’être exhaustive.

Une forme d’éducation qui n’en est pas une

Si on leur colle l’adjectif « éducatives », c’est parce que ces violences visent « à faire obéir l’enfant, stopper un comportement, lui faire apprendre quelque chose, s’épargner le regard de l’entourage, soulager l’emportement ou la peur de l’adulte » [3]. Or, tout type de violence est répréhensible. On ne peut se réfugier derrière l’excuse « la fin justifie les moyens ». En plus de ne pas être admissible, le fait qu’un acte de violence soit perpétré dans un but éducatif est incompréhensible tant son côté contreproductif saute aux yeux : en effet, donner une fessée à un enfant parce qu’il a frappé son frère ou sa sœur, par exemple, n’est pas très cohérent [4].

Par ailleurs, ces violences sont qualifiées d’« ordinaires » car malheureusement très courantes, « tolérées, voire recommandées dans [la] société » [5]. Bien souvent, on les a vécues nous-mêmes en tant qu’enfant et, si l’on est parent, on en a peut-être commis malgré nous, sur nos rejetons. A-t-on pour autant été maltraités ou maltraitants ? Pas spécialement. Il est important de relativiser le propos. Les parents ne sont pas des surhumains et leurs nerfs sont mis à rude épreuve. Mais si une gifle s’est perdue, ou si l’enfant désobéissant a été grondé ou menacé, il faut pouvoir réparer le geste ou la parole en s’excusant et en expliquant pourquoi ceux-ci étaient inadéquats. Au contraire, culpabiliser l’enfant en laissant penser qu’il a mérité cette correction rajoute une couche de violence supplémentaire.

Conséquences en termes de santé publique

Le débat sur les VEO est très sensible et relève plus du registre de l’émotionnel que du rationnel. Pourtant, leurs conséquences désastreuses sur l’enfant, rigoureusement démontrées dans de nombreuses études, sont des arguments tangibles qui devraient permettre d’objectiver le débat. En plus d’être une violation aux droits de l’enfant, les VEO représentent un réel problème de santé publique, puisqu’elles impactent l’intégrité physique et le développement émotionnel et affectif de l’enfant. L’angoisse et la peur de subir les foudres de ses parents peuvent être très nocives pour le cerveau de l’enfant, particulièrement chez les plus jeunes, dont le cerveau est encore malléable. Un enfant maltraité sera plus vulnérable vis-à-vis de la drogue ou de l’alcool, ou encore sera plus facilement en proie à de la dépression, ou des troubles anxieux, de l’agressivité, etc. [6] 

De nombreuses études soulignent également les répercussions que les VEO peuvent avoir sur la descendance des enfants maltraités [7]. Parfois – et c’est heureusement loin d’être toujours le cas –, l’histoire se répète, comme si « les générations amènent aux suivantes la "note" non réglée avec la précédente et font ainsi "payer" à leurs enfants le malheur de leur propre enfance » [8].

Pratiquer la communication non violente

Imposer des règles, donner un cadre, est essentiel dans l’éducation. Mais la violence n’est pas le moyen d’y parvenir. Et si une grande partie des violences éducatives pouvait être supprimée tout simplement en améliorant la communication entre les parents et leurs enfants ? Comme son nom l’indique, le concept de communication non violente (CNV), développé par Marshall Rosenberg, vise à évacuer l’agressivité de nos interactions, de notre discours. Cette manière de communiquer est utile autant dans les relations de couples, qu’au sein de la famille, de l’école, du travail, etc.
La démarche de la CNV s’articule en quatre temps : tout d’abord, il s’agit d’observer (et non pas d’évaluer ou de juger) le comportement en cours qui affecte négativement (ou positivement) notre bien-être ; ensuite, il faut identifier le sentiment qu’il provoque en nous (est-ce de la tristesse ? de la colère ? de l’inquiétude ?). La troisième étape consiste à identifier le besoin lié à ce sentiment (besoin de calme ? de sécurité ?). Finalement, il faut demander à l’autre des actions concrètes qui contribueront à notre bien-être. Pour illustrer la théorie, voici un exemple concret tiré du livre de Marshall Rosenberg : « Quand je vois tes chaussettes traîner dans le salon, je suis en colère car j’ai besoin de plus d’ordre dans les pièces que nous partageons ; peux-tu les mettre au sale ? » [9] Cette formulation, qui ne relève évidemment pas du remède miracle aux difficultés que représente l’éducation, permet au moins de légitimer la colère tout en la canalisant.

Les parents parviennent ainsi à s’exprimer calmement et à exposer clairement leurs sentiments et besoins à leurs enfants. D’un autre côté, la CNV permet aussi aux enfants, qui éprouvent parfois des difficultés à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent et qui se laissent déborder par leurs émotions, de se familiariser avec celles-ci et de les nommer.

Mais si les quatre étapes permettent l’expression sincère et authentique d’une personne, elles sont aussi applicables du côté de l’interlocuteur. Celui qui reçoit la demande doit pouvoir écouter de manière empathique les émotions et les sentiments de l’autre afin de contribuer à son « mieux-être » [10]. Dans le cadre de l’éducation, il en va de l’épanouissement de l’enfant : l’empathie et la bienveillance des parents sont indispensables au bon développement de son cerveau [11].

Et avec les tout-petits ? Pourquoi ne pas utiliser le langage des signes ?

Mais comment communiquer avec un enfant de moins de deux ans qui ne parle pas encore ? Peut-être n’utilise-t-il pas encore de mots ni de phrases, mais un tout-petit est quand même capable de s’exprimer, à travers de simples gestes. Alors pourquoi ne pas utiliser le corps, et plus particulièrement les mains, comme outils pour se faire comprendre ? C’est le pari qu’a relevé Alyne [12] pour dialoguer avec ses enfants dès leur plus jeune âge.

Dans les années 1980, Linda Acredolo et Susan Goodwyn ont étudié les possibilités qu’offrait l’utilisation de la langue des signes pour permettre à l’enfant de s’exprimer entre ses six et ses dix-huit mois, avant qu’il ne possède l’usage de la parole. Sur base de recherches antérieures et de leurs propres expériences, les deux spécialistes américaines ont remarqué une diminution des pleurs et du sentiment de frustration chez les enfants qui signaient, mais aussi un renforcement de leur lien d’attachement, ainsi que de plus grandes capacités intellectuelles et un plus large vocabulaire [13].

Pour Alyne, signer avec son bébé est une première étape pour introduire la CNV au sein de la famille. En effet, pour que l’ambiance soit bonne, les besoins de chacun doivent être comblés. Pour le nourrisson, il s’agit d’abord des besoins physiologiques de base : manger, boire, dormir, se faire changer. Ensuite, viennent les besoins de sécurité et les besoins affectifs. C’est pourquoi le choix des premiers mots en langage des signes se calque sur ces besoins : on apprendra d’abord à l’enfant à signer « lait », « encore », « dormir », etc. afin qu’il puisse exprimer ses besoins et que ses parents puissent y répondre au mieux. On lui apprendra également à exprimer ses émotions (j’ai peur, j’ai mal, je suis fâché, etc.). Le vocabulaire peut être ensuite élargi à souhait – tant que l’apprentissage reste ludique et ne se transforme pas en bourrage de crâne [14].

Selon le pédopsychiatre Marc Gérard, agir sur la colère générée par les pleurs des enfants en bas âge serait l’action préventive la plus efficace vis-à-vis des mauvais traitements inconscients commis par les parents [15]. Réduire l’incompréhension et la frustration de certains parents face à leur bébé en pleurs, grâce à la communication et aux signes, est donc un bon moyen de lutter contre les VEO. Mais la logique de l’éducation bienveillante va même plus loin : le fait de signer avec le bébé prévient aussi les violences dites « douces », comme le fait de changer son bébé ou de le laver sans le prévenir, ou de le forcer à manger sans explication. Or, les parents qui utilisent les signes ont davantage tendance à entrer en dialogue avec leur enfant, à l’inclure dans une décision qui le concerne, au lieu de le mettre devant le fait accompli et de décider à sa place [16].

Déconstruire l’idée d’une violence qui puisse être éducative mais également promouvoir la communication, le dialogue sous toutes ses formes, l’expression sincère et l’empathie… Ce sont certainement des pistes à exploiter dans le cadre de la sensibilisation et de la prévention contre les violences éducatives ordinaires. Mettre fin aux VEO est essentiel. Et ne nous trompons pas de cible : il s’agit bien d’une atteinte aux droits des enfants et non d’une atteinte au prétendu « droit de correction » des parents ; ces derniers qui, en revanche, se doivent d’accomplir leur devoir d’éducation dans la bienveillance [17].

 


Pour aller plus loin :

 

 

 

 

[1] Observatoire de la violence éducative ordinaire [OVEO], « Loi d’interdiction des "violences éducatives ordinaires". Quelques précisions juridiques », 18/07/2019 : https://www.oveo.org/ (consulté le 12/08/2019).
[2] Les phrases adressées aux enfants peuvent rester gravées très longtemps dans leur esprit. Couples et Familles a réalisé un dossier qui souligne l’importance d’accorder une attention particulière aux mots : Le poids des mots, dossier n° 123, Éditions Feuilles Familiales, mars 2018.
[3] Définition présente dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. OVEO, « Loi d’interdiction des "violences éducatives ordinaires". Quelques précisions juridiques », op. cit.  
[4] Délégué général aux Droits de l’enfant, Les impacts des violences éducatives ordinaire sur le bien-être et le développement de l’enfant, Avis, 19/04/2019, p. 10 : http://www.dgde.cfwb.be/ (consulté le 16/07/2019).
[5] OVEO, « Loi d’interdiction des "violences éducatives ordinaires". Quelques précisions juridiques », op. cit.
[6] Délégué général aux Droits de l’enfant, op. cit., p. 6-8.
[7] OVEO, « Études scientifiques sur les effets de la violence éducative ordinaire » : https://www.oveo.org/ (consulté le 18/07/2019).
[8] « Les enfants battus deviennent-ils des parents maltraitants ? », Points de repère pour prévenir la maltraitance, 7e éd., Fédération Wallonie-Bruxelles, Yapaka.be, mai 2018, p. 103-104 (Temps d’arrêt / Lectures) : http://www.yapaka.be/ (consulté le 18/07/2019).
[9] ROSENBERG M., Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs). Initiation à la communication non violente, 3e éd., Genève, Éditions Jouvence, 2016 : https://books.google.be/ (consultés le 13/08/2019).
[10] Ibid.
[11] GUÉGUEN C., « Le cerveau de l’enfant », L’école des parents, 622, 2017/1, p. 40-43 : https://www.cairn.info/ (consulté le 19/07/2019).
[12] Alyne François est maman de deux enfants. Côté professionnel, elle anime notamment des ateliers pour apprendre aux parents à utiliser le langage des signes avec leur bébé. Pour plus d’information : http://www.petitemarmite.be/ (consulté le 12/08/2019).
[13] « History of Baby Sign Language » : https://www.babysignlanguage.com/ (consulté le 12/08/2019).
[14] Entretien avec Alyne François, Fernelmont, 09/08/2019.
[15] GÉRARD M., « Repères pour prévenir la maltraitance », Points de repère… op. cit., p. 10.
[16] Entretien avec Alyne François, op. cit.
[17] Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.






 

 

 

 

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