Analyse 2019-29

Passer par l’étape de la transition, de la réappropriation de son corps, est déjà un long parcours en soi. Notre société et ses normes évoluent progressivement mais ce n’est pas suffisant. À titre d’exemple, souvenons-nous de cette polémique à propos de personnes transgenres dans le domaine sportif professionnel, jugées selon des stéréotypes [1].

Les médias nous ont présenté l’histoire agitée d’une handballeuse suédoise professionnelle : Louise Sand. Elle n’est pas la première, bien sûr, à avoir été victime de discriminations et malheureusement, elle ne sera probablement pas la dernière non plus. Aujourd’hui, la pression du monde sportif a eu raison de sa carrière, cette dernière l’a interrompue.

Le regard sur la transidentité mérite d’être changé, de gagner en bienveillance, encore et toujours et particulièrement dans le domaine du sport. En effet, ce domaine fonctionne de façon binaire, séparant par catégorie les hommes et les femmes. Qu’en est-il pour une personne en transition ou ne se considérant pas comme tel·le ? Louise a quitté le terrain pour une cause bien précise : pour prendre soin d’elle et pour se consacrer à sa transition. Cela finit plutôt bien. Mais est-ce utile de rappeler que ce n’est pas le cas pour tout le monde ? L’histoire de Louis·e est actuelle, mais bien des sportifs sont passés par ces étapes fastidieuses. Le domaine du cyclisme en est également empreint : un coureur du Tour de France, Robert Millar est aujourd’hui reconnu comme Philippa York. Elle a performé en tant que cycliste professionnelle jusqu’en 1995. Les mentalités étaient-elles différentes de celles d’aujourd’hui ? Ce qui est certain c’est que Philippa s’est soudain éclipsée, pendant plusieurs années, afin de mener sa transition à l’abri des regards, ce qui en dit long.

Petit rappel de vocabulaire [2] 

  • Genre : si la notion de sexe fait référence aux différences biologiques indiscutables entre les hommes et les femmes, le concept de genre renvoie quant à lui aux rôles sociaux attribués aux individus en fonction de leur sexe. Les caractéristiques dites « féminines » ou  « masculines » ne sont pas innées mais font l’objet d’une construction sociale et culturelle.
  • Cisgenre : à l’inverse des transgenres, les cisgenres sont les personnes dont l’identité de genre correspond à l’expression de genre. Le sexe biologique correspond au ressenti.
  • Transgenre : personne ayant une identité de genre différente de celle qu’on lui a assignée à la naissance. Cette identité peut être masculine ou féminine, ou bien sortir de cette binarité imposée par la société.

Coup d’œil sur le monde du sport de haut-niveau

Le monde du sport de compétition lutte contre le dopage et autres fraudes en tout genre jouant sur les performances. Mais ne se trompe-t-il pas de combat en demandant aux personnes en transition d’arrêter leur traitement (principalement hormonal) ou, à l’inverse, en leur demandant d’en consommer, histoire de « rétablir l’équilibre » ? Les athlètes femmes hyperandrogènes sont soumises à faire baisser médicalement leur taux de testostérone, l’hormone masculine. Cependant, l’athlète Caster Semenya désignée comme « un mâle biologique » crie haut et fort : non ! Il s’agit d’une attaque envers son identité. Un procès est lancé. Elle est soutenue par des instances sportives et surtout par l’opinion publique [3]. Pour elle, elle a déjà gagné. Mais n’est-ce pas regrettable d’en arriver là ? Lui prescrire des médicaments, cela renvoie l’image qu’il y a quelque chose à transformer, quelque chose qui ne va pas. Où poser la distinction ? À partir de quand n’est-on plus considérée comme femme, mais comme homme ? Qu’est-ce qui fait que nous soyons totalement femme ou totalement homme ? Est-ce véritablement injuste qu’une femme trans participe à une compétition dans une catégorie féminine ? Cela mène-t-il réellement à une concurrence déloyale ? Séparer les « vraies » femmes ou « vrais » hommes se révèlent extrêmement violent pour les personnes trans. Le corps est poussé à bout mais l’estime de soi et l’amour-propre aussi.

Le comité olympique a entamé une réflexion en 2003 concernant la question et a établi un rapport précisant que les personnes transgenres peuvent participer aux compétitions à condition qu’elles remplissent 3 critères : que tous les changements anatomiques soient terminés, que leur changement de sexe soit légalement reconnu et que les thérapies hormonales utilisées lors de la transition puissent être vérifiées [4]. Si on se met à la place de personnes concernées par ce rapport, notre empathie vient nous dire que rajouter ces règles rend encore plus difficile, alors qu’elle l’est déjà suffisamment, la transition. En effet, ces étapes dudit rapport se basent sur des changements physiques, mais dans le vécu et la réalité de ces personnes, les changements sont principalement psychologiques. De plus, ces règles semblent dans la réalité des faits, compliquées à respecter dans un même temps. Pour que des changements anatomiques soient réalisés, les changements hormonaux doivent, légalement parlant, être accomplis auparavant, donc comment se situer ? De plus, toutes les personnes transgenres ne désirent pas forcément recourir aux opérations. « Les personnes s’identifient de manière différente : certains vont vouloir une transition complète, grâce à des interventions hormonales, chirurgicales. D’autres ne se reconnaissent pas dans le côté binaire, être totalement homme ou femme » explique Frédéric Burdot, psychologue dans l’équipe transidentité du CHU de Liège.

Ce rapport présente des contradictions et par conséquent, a évolué durant l’année 2015. Peu avant les Jeux olympiques de Rio, une nouveauté survient : les femmes ayant fait le choix de devenir hommes peuvent participer aux tournois masculins sans aucune restriction. Mais qu’en est-il des hommes désirant devenir femmes ? Une fois de plus des inégalités de genre émergent. Un an avant la prochaine compétition, ils ou elles devront passer des tests pour prouver que leur taux de testostérone ne dépasse pas un certain seuil. La disparité femme-homme est toujours d’actualité et le système binaire considéré comme la norme. Cela ne date pas d’hier, souvenons-nous de ce que nous avons appris dans les livres d’histoire : dans l’Antiquité, les femmes n’étaient pas autorisées à se rendre au Colisée, à participer à des jeux sportifs. Finalement, notre société a-t-elle tant évolué que ce que l’on pourrait croire ? Dans les mentalités, les filles sont encore associées à la gymnastique et à la danse, alors que les garçons sont perçus comme des sportifs de haut niveau en pratiquant du foot, du rugby et de la musculation. Sur nos chaînes de télé, rares sont les compétitions féminines retransmises comparées aux masculines… Si ces stéréotypes de genre sont encore hautement présents, alors comment faire lorsque nous sommes confrontés à des questions plus délicates comme celle de la transidentité ?

Inégalités dans le sport : remettre en question nos normes de genre

Selon les actualités, les équipes de football féminines commencent à faire entendre leur voix. Nos habitudes sont bousculées, les femmes se réapproprient les codes de ces sports de haut niveau « typiquement masculins ». Les dérives sexistes ne sont pas loin. Pourtant, ce combat ne date pas d’aujourd’hui ? Pour donner un exemple : les premières équipes de foot composées de femmes se sont formées au cours du XXe siècle [5]. On retrouve des problématiques telles que l’inégalité salariale entre joueuses et joueurs mais aussi la différence de visibilité, que cela soit sur les écrans ou dans la presse. De plus, les violences morales et verbales sont quotidiennes lorsque l’on est une femme sur le terrain. Selon la sociologue Béatrice Barbusse, le sexisme est ancré dans le sport, cependant, on peut voir l’effort de féminisation du sport, ce qui offre une possibilité de reconfigurer les rapports de genre [6]. Le domaine du sport a sa part à jouer dans l’émancipation. L’éducation y joue également un grand rôle : en tant que parent, il est plus aisé d’imaginer sa fille élancée, gracieuse et agile et son garçon fort, rapide et persévérant. Les stéréotypes de genre sont tenaces, que l’activité sportive soit choisie par les parents ou par l’enfant lui-même, qui en est déjà imprégné. Et si une petite fille jouait au foot ? Et si un garçon voulait devenir danseur classique ? Pour cela, il faudrait se détacher de cette vision binaire et des normes qu’elle engendre.

Sortir du binaire

Pourquoi cette intolérance envers les personnes transgenres ? La principale cause est le manque d’information. Des fausses idées se propagent et restent tenaces envers ce qu’on ne connait pas. Apprendre à connaître l’autre avec bienveillance est essentiel si l’on veut se défaire des stéréotypes [7]. Malheureusement, aujourd’hui encore, la différence peut être synonyme de rejet… dans les mentalités, mais aussi dans l’administratif : la mention « Autres » s’ajoutant à celles « Femme » et « Homme » sur des formulaires par exemple [8]. Parler d’autres, ne fait que souligner une frontière invisible qui n’a pas lieu d’être : eux et nous. 3 à 7 % des personnes ne se sentent pas en accord avec leur genre assigné à la naissance, qui correspond à leur sexe biologique [9]. Cela touche aux racines de notre société : le droit à l’intégrité physique, au libre arbitre, au consentement, sans oublier la question de la normalité et donc l’assignation forcée d’un genre binaire [10]. Mais pourquoi cette manière de catégoriser nous semble si instinctive ? La vision de dualité est devenue naturelle, voire innée : noir/blanc, le bien/le mal et cela s’étend dans toutes les sphères de notre environnement… femme/homme [11]. Ce système de pensées est apparenté au traditionnel si bien que le remettre en question demande des efforts. Se limiter à être une femme ou un homme est impossible, de nombreux critères, comportements et vécus apportent des différences qui ne peuvent êtres contenues dans des cases. Les pistes seraient de tendre vers une plus grande inclusion sociale, de développer l’esprit critique. Cette remise en question peut commencer dès l’enfance, en permettant aux plus jeunes de ne pas s’enfermer dans cette vision du binaire. On peut constater que même leurs jouets sont genrés. Heureusement, certaines marques évoluent et proposent des alternatives. Par exemple, une nouvelle gamme de poupées non-genrées, entièrement personnalisables [12].

La question se pose notamment dans la réglementation des vestiaires. Jusqu’où être inclusif ? Devrait-on prôner l’usage des vestiaires mixtes ? Rien n’est stipulé au niveau de l’Adeps (Administration de l’éducation physique, du sport et de la vie en plein air) [13]. Au Canada, l’initiative de mettre en place des vestiaires dits universels est née. Les précurseurs sont convaincus que faire se côtoyer les hommes et les femmes réduirait les discriminations selon le genre [14]. Le principe est de sortir des cadres normatifs. Reste à savoir si les citoyens se laisseront convaincre ou non. Et surtout, à savoir si la Belgique devrait s’inspirer de ce modèle. Créer des lieux ou le sport ne se limite pas aux genres, et permet la mixité pourrait être une solution pour l’avenir [15].

 



 

 

 

 

[1] « Transgenre dans le monde du sport, un parcours du combattant », 11/01/19 : https://www.franceinter.fr/ (consulté le 01/10/19).
[2] Femmes Plurielles, Les homosexualités, Dossier, septembre 2017.
[3] FAVRE L., « Pourquoi l’athlète Caster Semenya a déjà gagné le "procès de l’androgynie" », 23/02/19 : https://www.lemonde.fr/ (consulté le 07/10/19).
[4] Information Transgenre, « Vie quotidienne : sport » : http://www.infotransgenre.be/ (consulté le 07/10/19).
[5] BONOMO V., « Football féminin, reprise de volées sexistes et passements de genre », Agir par la culture, 16/10/2018.
[6] BARBUSSE B., Du sexisme dans le sport, 2016.
[7] Pour en savoir plus, voir « La transidentité, est-elle réellement admise en Belgique ? », analyse 2019-04 de Couples et Familles. 
[8] KASASA A., « Sortir d’un monde binaire », Le Ligueur, 17, 26/09/18.
[9] Ibid.
[10] VANDERVEKEN J., « Entre deux sexes », Éducation Santé, janvier 2019.
[11] Pour aller plus loin, voir « Des raisons de voir double à propos du genre ? », analyse 2018-28 de Couples et Familles.
[12] VAILLANT C., « Mattel lance ses “Creatable World”, des poupées non genrées », 25/09/19 : https://www.huffingtonpost.fr/ (consulté le 26/11/19).
[13] BRINDEAU R., « Mixité dans le sport : oui sur le terrain, non dans les vestiaires », Le Ligueur, 21/11/18 : https://www.laligue.be/ (consulté le 26/11/19).
[14] OUELLETTE VÉZINA H., « Vestiaires universels : il faut "innover socialement", dit la Ville de Montréal », 12/09/19 : https://journalmetro.com/ (consulté le 26/11/19).
[15] Analyse rédigée par Violette Soyez.






 

 

 

 

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