Analyse 2020-04

Mi-janvier, la presse a relayé les conclusions d’une étude menée par le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) concernant l’organisation des services de maternité en Belgique. Le rapport recommande de fermer 17 petites maternités du paysage hospitalier belge, soit environ une maternité sur six. Pourquoi ? Les maternités concernées sont trop peu rentables. Pour Couples et Familles, la recherche de rentabilité dans le domaine des soins de santé ne peut se faire à n’importe quel prix.

La Belgique compte aujourd’hui 104 hôpitaux disposant d’un service de maternité. Selon leurs calculs, combinant à la fois objectifs d’efficience (diminuer le coût par accouchement) et maintien d’une certaine qualité et accessibilité des soins, les experts du KCE recommandent de fermer près d’une maternité sur quatre en Wallonie (8 sur 34)1 et près d’une sur six en Flandre (9 sur 59)2. Maggie De Block, ministre fédérale de la Santé (Open-VLD) en affaires courantes, a déjà fait part publiquement de son soutien favorable à une telle mesure3.

Des maternités trop coûteuses

Le coût par accouchement est trop élevé dans les petites maternités. Selon les calculs savants du KCE, le nombre minimal de naissances par maternité devrait s’élever à 557 par an, en moyenne, pour limiter les coûts par accouchement. Les experts parlent même d’un idéal de 900 à 1000 accouchements sur l’année pour qu’une maternité soit réellement efficiente, tout en garantissant qu’il n’y aurait « aucune perte de qualité »4.

Actuellement, le quota réglementaire est de 400 accouchements par an minimum. En fermant les petites maternités, qui dépassent de peu le seuil des 400, des économies pourraient être réalisées sur les coûts fixes (matériel, emploi du personnel, etc.). Par ailleurs, le KCE constate sur l’ensemble de la Belgique un surplus de 600 lits de maternité. D’après ses prévisions, ce surplus atteindrait les 1000 lits en 2025. En fermant les 17 services les moins rentables, les maternités voisines verraient leur activité augmenter de 17% (toujours selon les calculs des experts), ce qui permettrait d’utiliser les lits surnuméraires sans entraîner de frais supplémentaires.

Cette volonté de faire des économies dans les services de maternité se traduit déjà par le raccourcissement des séjours en hôpital après l’accouchement. Depuis janvier 2015, les jeunes mères ne restent que trois jours dans le service avant de quitter la maternité. Si retourner chez soi permet, dans la plupart des cas, de retrouver rapidement un certain confort – ce qui n’est pas spécialement vrai, malheureusement, pour les familles en situation de précarité –, le risque de vide de soins constitue un véritable problème. Un mauvais suivi, une absence de soutien dans l’entourage ou encore un manque d’explications de la part du personnel peut vite provoquer de l’angoisse et une surcharge morale et physique lors du retour à domicile. Le « congé » de maternité porte d’ailleurs bien mal son nom5.

Des fermetures lourdes de conséquences

En diminuant le temps de séjour à la maternité, les économies se font souvent au détriment du suivi des patientes. Les soins sont concentrés sur le moment de l’accouchement tandis que l’accompagnement du post-partum est relégué au second plan. En fermant les maternités « non rentables », le personnel des maternités voisines verra sa charge de travail augmenter considérablement et devra assumer des « accouchements à la chaîne ». Le quota de 400 naissances par an, considéré désormais comme trop faible, représente déjà en moyenne plus d’une naissance par jour, ce qui est loin d’être négligeable, surtout lorsqu’on sait qu’un accouchement dure en moyenne 8 à 14 heures…6 Se dirige-t-on vers des « usines à bébés » dans lesquelles le personnel médical a encore moins de temps à consacrer aux soins et aux conseils personnalisés ? En se basant sur le nombre de naissances pour juger de l’efficience des maternités, le KCE ne s’est-il pas trompé d’indicateur ? N’est-il pas plus pertinent de prendre en compte, avant tout, le bon déroulement de la naissance, l’écoute et le suivi des jeunes mères ? Au micro de RTL Info, une jeune femme prise en charge à la maternité d’Auvelais – située dans une région socio-économiquement moins favorisée – témoigne de l’importance, pour elle, d’avoir reçu du soutien de la part de l’équipe médicale. Elle n’aurait sans doute pas pu bénéficier de la même attention dans une grosse structure où le personnel est surchargé7.

Fermer des maternités pose également la question de l’accessibilité des soins. Heureusement, le KCE a intégré cette préoccupation à son calcul : chaque femme âgée de 15 à 49 ans doit pouvoir rejoindre une maternité dans un « délai sûr », estimé à 30 minutes8. C’est ainsi que quatre maternités « non rentables » ont pu échapper à la sentence du KCE, car elles étaient les seules accessibles dans ce laps de temps. De nombreuses réactions se sont fait entendre sur le choix de ce délai. Comment a-t-il été calculé ? Quels paramètres ont été pris en compte ? Il n’est pas rare que le trafic routier multiplie par deux ou trois la durée moyenne d’un trajet en heure de pointe. Certains sarcastiques conseillent de ne pas accoucher à ce moment-là !9 Les experts ont-ils pensé aux couples qui ne disposent pas de voiture ?10 Aux femmes qui accouchent seules sans entourage proche pour les aider ? Par ailleurs, pour les accouchements à risque, le temps est souvent précieux. Certes, la suppression de quelques maternités ne transformera pas la Belgique en désert médical. Mais concentrer les lieux de soin dans les plus grosses villes, n’est-ce pas aller à contre-courant des nécessités du terrain ?

Si ces fermetures devaient être exécutées, il y aurait également des incidences sur l’emploi du personnel des services concernés et en particulier sur celui des sages-femmes. Pour la présidente de l’Union professionnelle des sages-femmes belges et pour celle de l’Association francophone des sages-femmes catholiques, il ne faut pas confondre le métier de sage-femme avec celui d’infirmier11 : les premières ne sont pas polyvalentes et les envoyer dans d’autres services pour renforcer les équipes en pénurie ne pourrait avoir lieu sans les former au préalable. Pour le KCE, une partie des sages-femmes devraient donc suivre des formations en vue d’élargir leurs compétences – mais cela représente également un coût, n’est-ce pas ? –, tandis qu’une autre partie serait reclassée dans les maternités voisines. Les employés mutés pourront-ils choisir leur futur hôpital ?

Les sages-femmes ne seront pas les seules à pâtir de ces potentielles fermetures : en réalité, tous les services en souffriront les conséquences, puisque la maternité est « la porte d’entrée » d’un hôpital. La pédiatrie, les urgences, la radiographie, parmi d’autres, pourront également être impactées12.

Rentabilité et santé ne font pas bon ménage

Cela dit, il ne faut pas fermer les yeux sur les nombreux défis que les hôpitaux doivent relever : se maintenir à la pointe de la technologie, soigner une population vieillissante, s’attaquer à des maladies chroniques plus fréquentes, etc. Pour les maternités, la baisse globale de la natalité doit également être prise en compte. Comme beaucoup d’hôpitaux clôturent leur comptabilité dans le rouge, le précédent gouvernement fédéral avait, dès octobre 2014, lancé les grandes lignes d’une réforme du paysage hospitalier, notamment en créant des réseaux d’hôpitaux13. Ceux-ci permettent de répartir entre plusieurs établissements les coûts liés à l’acquisition d’un matériel médical de pointe.

L’idée de faire des économies en rationnalisant les services de maternité et de réinjecter les montants dans d’autres départements de l’hôpital n’est pas mauvaise en soi. L’on sait que certains services manquent cruellement de personnel ou que le matériel y est obsolète. Mais cela ne risque-t-il pas de déplacer le problème ? La mesure préconisée par le KCE s’inscrit dans une logique de concentration dans de grandes structures, aux antipodes des démarches de relocalisation qui reprennent pourtant aujourd’hui tout leur sens. Garantir un service de proximité, ré-humaniser le dialogue de santé, accompagner le patient, valoriser le travail social du personnel médical… Voilà les éléments qui ne devront pas être perdus de vue par les futurs décideurs. Car si la fermeture des maternités a fait grand bruit ces derniers jours, rappelons toutefois qu’il ne s’agit que des résultats d’une étude et qu’une telle mesure n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant14. La décision de fermer ou non les services concernés reviendra aux hôpitaux eux-mêmes, dans la lignée des réorganisations enclenchées par la création des réseaux hospitaliers15. Au niveau politique, le prochain gouvernement fédéral détiendra aussi un rôle important… mais le brouillard ne semble toujours pas désépaissir de ce côté et l’on reste dans l’incertitude quant à la personne qui sera en charge du portefeuille de la Santé. Dans tous les cas, pour Couples et Familles, la décision de fermer des maternités ne pourra se faire au prix d’une diminution de l’accompagnement des mères et de leurs nouveau-nés16.

 

 

 

 


 

1. Il s’agit des maternités d’Auvelais, Eupen, Heusy, Huy, Lobbes, Mons, Montigny-le-Tilleul et Soignies.
2. « Le KCE recommande de fermer 17 petites maternités qui ne sont pas assez efficientes », 16/01/2019 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 17/01/2020).
3. « Maggie De Block sur la fermeture de maternités : "Dans certains cas, il n’y a même pas une naissance par jour" », 19/01/2020 : https://www.lesoir.be/ (consulté le 20/01/2020).
4. « Une réduction du nombre de maternités est possible dans notre pays », communiqué de presse du KCE, 16/01/2020 : https://kce.fgov.be/ (consulté le 17/01/2020).
5. DE WANDELER C., « Réduction du séjour à la maternité : ce que les femmes ont à y perdre… et à y gagner ? », analyse de Vie Féminine, novembre 2015 : http://www.viefeminine.be/ (consulté le 24/01/2020).
6. « Combien de temps dure un accouchement ? », 30/01/2019 : https://www.journaldesfemmes.fr/ (consulté le 27/01/2020).
7. « C’est pas tous les jours dimanche », 19/01/2020 : https://www.rtlplay.be/ (consulté le 20/01/2020).
8. « Une réduction du nombre de maternités est possible dans notre pays », op. cit.
9. VAN DE WOESTYNE Fr., « Édito : N’accouchez pas aux heures de pointe ! », 17/01/2020 : https://www.lalibre.be/ (consulté le 24/01/2020).
10. La durée du trajet en transports en commun n’a pas été examinée par les experts (LEFEVRE M. (e. a.), « Synthèse. Organisation des maternités en Belgique », KCE Reports, 2019, p. 29 : https://kce.fgov.be/ (consulté le 27/01/2020)).
11. WITTVROUW V. et NISET A., « Fermeture de 17 maternités en Belgique : la colère des sages-femmes ! », 20/01/2020 : https://pro.guidesocial.be/ (consulté le 21/01/2020).
12. « 17 maternités menacées de fermeture », 16/01/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 17/01/2020).
13. « Réorganiser le paysage hospitalier et le financement des hôpitaux » : https://www.inami.fgov.be/ (consulté le 20/01/2020).
14. « Maggie De Block sur la fermeture de maternités : "Dans certains cas, il n’y a même pas une naissance par jour" », op. cit.
15. TONERO C., « Trop petites maternités? "Aux hôpitaux de voir si c'est encore tenable" », 21/01/2020 : https://www.rtbf.be/ (consulté le 27/01/2020).
16. Analyse rédigée par Sigrid Vannuffel.


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