Analyse 2020-23

femme au foyer, tradwives

Le mouvement « tradwife » prend de l’ampleur. Mais de quoi s’agit-il au juste ? « Trad » vient de « traditionnel » alors que « wife » se traduit par « femme » dans le sens de la femme mariée, de l’épouse. On peut donc traduire cette expression par le « mouvement de l’épouse traditionnelle ».  Qu’entend ce mouvement par « traditionnelle » ?

Le mouvement « tradwife » trouve sa source dans la conviction que le bonheur d’une femme est engendré par le bonheur de son époux, dont elle dépend strictement. Être une bonne épouse est un devoir, mais aussi le seul moyen d’accéder au véritable bonheur. Il n’est donc pas question de s’épanouir via le travail par exemple. Imaginez la femme au foyer, stéréotypée, durant les années 50, qui reste à la maison et se consacre aux tâches ménagères ainsi qu’aux enfants. C’est à cela que les membres du mouvement tradwife veulent revenir. Pourquoi vouloir revenir en arrière, après des années de lutte pour que les femmes gagnent en indépendance et en reconnaissance ?

À l’origine, les premières tradwives se sont manifestées en Angleterre, suivie de près par les États-Unis, s’inscrivant dans la politique de Donald Trump : « Make Traditional Housewives Great Again », c’est-à-dire : rendre leur grandeur aux femmes au foyer traditionnelles1. Cela fait évidemment écho à la célèbre phrase « Make America Great Again ». Précisons que ce sont majoritairement des femmes qui sont à l’origine du mouvement tradwife, lequel s’est présenté comme une riposte aux mouvements féministes. Aujourd’hui, l’intérêt croît, à tel point que des formations (souvent à des prix exorbitants) sont proposées aux femmes afin de devenir des épouses parfaites. Cours de cuisine, apprentissage de l’entretien correct de la maison, conseils pour prendre soin de son apparence (porter des vêtements féminins sans extravagance, se maquiller avec élégance, etc.) ainsi qu’un florilège d’astuces pour rendre son mari heureux (comment l’accueillir lorsqu’il rentre du travail par exemple). Désormais, des pays comme l’Allemagne, le Brésil et le Japon proposent également ces formations. L’ouvrage de référence de ce mouvement, Fascinating Womanhood, est américain et a été écrit en 1963 par Helen Andelin. Il n’a jamais connu un tel succès que depuis ces derniers mois2. En effet, le confinement résultant de la pandémie de Covid-19 a fait que de nombreux ménages sont restés à la maison, avec pour conséquence un véritable boom envers le mouvement tradwife. Le mouvement explose sur les réseaux sociaux, des représentantes du mouvement réalisent même des tutoriels vidéo, qui, d’un point de vue extérieur, peuvent parfois paraître cocasses : « La bonne manière féminine de faire face aux éternuements et aux reniflements. » Certaines autrices de vidéos connaissent un succès grandissant. On peut par exemple citer la « Darling Academy » lancée par Alena Kate Pettit. Mouvement traditionnel, oui, mais avec les avantages marketing de la modernité.

Mais pourquoi ce mouvement se qualifie-t-il comme antiféministe ? Selon les interviews d’adhérentes au mouvement, réalisées par la BBC et traduites par Metro, c’est parce que le féminisme empêche les femmes de faire des choix. Le féminisme ne permettrait aux femmes que de s’inscrire dans une seule trajectoire de vie : entrer dans le monde du travail et rivaliser avec les hommes. Il n’autoriserait pas le choix d’être une femme au foyer3. De plus, le féminisme tend à casser les codes de la féminité « classique », ce qui est contre le principe des tradwives. « Se soumettre » à son mari est vu comme quelque chose de positif par le mouvement tradwife alors que le féminisme prône l’émancipation des femmes. Il semblerait également que le concept de charge mentale soit une pure invention des féministes, selon les adhérentes. À l’heure des manifestations pour l’égalité des genres, le crédo « la place d’une femme est à la maison », s’il ne plaît pas à tout le monde, rallie néanmoins de nouveaux adeptes.

Qui sont ces femmes ?

Les femmes se percevant comme tradwives et qui partagent leur parcours, racontent bien souvent une déception professionnelle. Elles ne s’y retrouvaient pas, ce mode vie ne leur procurait guère de sens. À cela se couple parfois une enfance qui ne correspond pas aux schémas de la famille modèle à leurs yeux : monoparentale, avoir une maman qui travaille, etc. Elles affirment que leur ressenti depuis le plus jeune âge est de vouloir être une épouse et une mère. Elles ont la conviction d’être faites pour ça. Se trouver alors un mari prêt à répondre à leurs besoins et se consacrer au foyer est vécu comme un rêve, un conte de fée. Patriotiques, les femmes interviewées n’hésitent pas à glorifier la Grande-Bretagne des années 50, où l’on pouvait laisser sa porte ouverte sans crainte et où l’on connaissait ses voisins4. Il s’agit bien sûr du profil le plus rencontré des tradwives revendicatrices, qui s’exposent sur les réseaux sociaux ; il est plus difficile d’étudier l’histoire de celles qui se font plus discrètes.

En mémoire du « bon vieux temps »

Le fameux « C’était mieux avant » a encore de longs jours devant lui. La nostalgie peut affecter nos souvenirs de manière à ce que l’on soit persuadé que tout était idyllique. C’est ce qu’on appelle le biais de négativité5. Le positif occupe la principale place de nos souvenirs, ce qui l’est moins est omis. Cela a quelque chose de rassurant. En revanche, ce qui a trait au présent est davantage affecté par le négatif, notamment avec l’accent des médias. En effet, lorsqu’on lit les nouvelles du jour, on trouve bien plus souvent du négatif que du positif. Pourtant, objectivement, chaque période comporte du bon comme du mauvais, plus ou moins dans les mêmes proportions. Le mouvement tradwife se base sur cette nostalgie. « Le temps où les femmes restaient à la maison était bien mieux. » « Il y avait moins de divorces et les familles étaient plus heureuses. » Cette façon de penser, qui définit ce qu’on peut appeler le passéisme, existe pour ainsi dire depuis toujours6. Il peut concerner d’innombrables thématiques : l’éducation, le changement climatique, la société, l’économie, etc. C’est également ce qui nourrit les politiques conservatrices un peu partout dans le monde, qui visent à maintenir en l’état les différents privilèges. C’est en quelque sorte le mythe du « paradis perdu ». Bien sûr, si l’on relativise et si l’on veut bien prendre le temps d’y réfléchir, on s’aperçoit que tout cela relève au mieux d’une croyance infondée. Pour reprendre cette conviction qu’il y avait moins de divorces parce que les mariages étaient plus heureux, on peut mettre en parallèle le fait que les femmes n’avaient pas accès à l’indépendance, ne travaillaient pas et donc n’avaient aucun moyen de prendre un nouveau départ. De plus, le divorce constituait un déshonneur familial, alors qu’il est banalisé aujourd’hui. Peut-on donc être si sûr que les mariages étaient plus heureux avant ? Probablement pas.

Un discours fermé

La revendication de revenir à une assignation genrée des rôles n’est, comme on peut s’en douter, pas compatible avec le mariage pour tous. L’homosexualité est proscrite, tout comme l’avortement et la contraception. Il n’est pas non plus question d’avoir des relations sexuelles avant le mariage. Autre problème : il n’est pas rare que les représentantes iconiques du mouvement vantent la suprématie blanche sur les réseaux sociaux... Culturellement, on peut bien parler d’un mouvement élitiste et conservateur. Évidemment, ce n’est pas honteux d’apprécier de s’occuper de son foyer, le danger se trouve dans le fait de persuader les femmes qu’elles seraient plus heureuses en renonçant à leur indépendance, et de les encourager à faire preuve d’intolérance.

La femme traditionnelle se doit d’être « parfaite ». Et cette prétendue perfection véhicule des clichés sexistes pouvant se révéler dangereux, des violences potentielles se trouvant justifiées par le fait que l’épouse ne s’est pas comportée de manière « parfaite ».

Une question se pose : qu’en est-il du choix des enfants grandissant dans un environnement tradwife ? Dans un tel climat, les petites filles seront sans cesse renvoyées à cette image de soumission domestique. Les tradwives réclament la liberté d’opter pour ce mode de vie, mais laissent-elles véritablement ce choix à leurs enfants ?
L’émergence du mouvement tradwife mène à une réflexion autour de la question du choix : chacun devrait avoir le choix de mener son existence comme il l’entend, certes, mais choisir de s’interdire le choix en se soumettant aux diktats, est-ce encore pleinement un choix ? Par ailleurs, il est bien connu que notre liberté s’arrête là où commence celle de l’autre. Les femmes désirant s’impliquer davantage dans leur foyer devraient pouvoir être libres de le faire, sans pour autant être soumises à la gent masculine. Quant aux femmes ayant l’ambition de travailler, d’être dans la vie active, elles devraient elles aussi avoir l’opportunité de le faire, en égalité avec les hommes, en commençant par l’égalité des salaires par exemple. Il n’y a pas de réponse toute faite à la question de ce que serait « une vraie femme », d’autant que le concept est lui-même dénué de sens. Chacune vise l’épanouissement à sa manière, et personne ne devrait être dénigré pour cela. Rien ne nous empêche de repenser avec nostalgie au « bon vieux temps » ; vouloir l’imposer, c’est une autre histoire7

 

 

 

 

 


 

1. FAVERAU C., « #tradwife. Le dangereux fantasme d’un passé où seuls les hommes comptaient », analyse 04/2020 de l’ACRF : http://www.acrf.be/ (consulté le 01/09/2020).
2. ANDELIN H., Fascinating Womanhood, Bantam, 1963.
3. « L’émergence du mouvement #tradwife, à l’opposé du féminisme », 21/01/2020 : https://fr.metrotime.be/ (consulté le 31/08/2020).
4. ARBRUN C., « Comment devenir une femme au foyer parfaite ? Le boom du mouvement réac #Tradwife », 21/01/2020 : https://www.terrafemina.com/ (consulté le 01/09/2020).
5. CICCOTTI S., Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables, Dunod, 2011.
6. COMBIS H., « "C'était mieux avant"... et ça fait 2 000 ans que ça dure ! », 17/02/2020 : https://www.franceculture.fr/ (consulté le 07/09/2020).
7. Analyse rédigée par Violette Soyez.
 

 

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