Analyse 2022-05

La première question que nous posons à des parent·e·s est souvent associée au sexe du bébé « c’est une fille ou un garçon ? ». Il arrive parfois aussi qu’avant même que l’enfant naisse, des futur·e·s parent·e·s organisent une « gender reveal », une fête d’origine américaine qui s’étend de plus en plus dans nos pays occidentaux, où les invité·e·s, et parfois les parent·e·s découvrent le sexe du bébé.
Nos croyances occidentales s’associent au fait que nous divisons la société en deux groupes : ceux qui disposent du sexe masculin et celles qui disposent du sexe féminin. Pourtant, selon Amnesty International (2018)1 , 1,7% de la population mondiale naît avec des caractéristiques de l’intersexuation, un pourcentage comparable à celui de de la population mondiale qui possède des cheveux roux.

Les personnes intersexuées, ou inter, présentent des variations des caractéristiques sexuelles. Elles peuvent être physiologiques, hormonales ou génétiques. Leur particularité est qu’elles ne correspondent pas aux catégories « mâles » ou « femelles » déterminées par la médecine. En termes plus simples ; certains enfants inter naissent avec un appareil génital qui n’est pas conforme aux normes permettant de déterminer s’iel est une fille ou un garçon, d’autres enfants sont pourvus d’un corps féminin mais sont en possession des chromosomes XY associés au sexe masculin, et inversement. Ces variations sont tout à fait saines et naturelles.

Ajoutons que les caractéristiques sexuelles ne sont pas totalement « masculines » et « féminines » puisque le chromosome Y est, dans la norme, associé au sexe masculin, mais tous les hommes ne disposent pas de chromosome Y, et certaines femmes en ont un. Autre exemple, l’œstrogène est associé aux femmes alors qu’il est également présent chez les hommes. Il ne s’agit que de normes basées sur une moyenne générale car la plupart des hommes disposent d’un chromosome Y et les femmes produisent en général plus d’œstrogènes que les hommes. Mais tous les hommes et toutes les femmes ne correspondent pas à ces variations.2 Nous disposons tous·tes de variations qui nous sont propres.

Qu’en est-il du terme hermaphrodite ?

Le terme hermaphrodite est né de deux personnalités grecques ; Hermès, le dieu du commerce et des voyages, le messager des dieux et Aphrodite, la déesse de l’amour, du désir et de la beauté. Ils eurent un fils, Hermaphrodite. Un jour, lorsqu’il se baigne dans un lac, une nymphe aquatique s’éprend de lui. Les sentiments n’étant pas réciproques, il refuse ses avances. La nymphe supplia les dieux d’être unie à lui pour toujours. Le vœu est exaucé : leurs corps fusionnent pour créer un être à la fois mâle et femelle. Cette allégorie est donc erronée. Une personne intersexuée n’est pas un être mi-mâle, mi-femelle doté d’un appareil génital double.

À l’heure actuelle, il est préférable d’utiliser le terme intersexe. Il est porteur, militant, non pathologisant, désigné pour regrouper les personnes intersexuées ayant conscience d’appartenir à un groupe d’individus qui partagent une expérience commune.

Ni homme, ni femme ?

Lorsqu’un enfant nait intersexué, il arrive que les médecins considèrent son sexe comme « ambigu », souffrant d’une anomalie à guérir puisqu’iel ne s’inscrit pas au sein de la catégorie homme ou femme. Quelques heures après la découverte, il arrive encore, en Belgique, que des médecins proposent la chirurgie d’assignation aux parent·e·s. Pris·e·s par suprise, non informé·e·s et/ou apeuré·e·s par la manière dont l’intersexuation est décrite par les médecins comme marginale et pleine de souffrance, iels répondent favorablement à l’appel des médecins. Pourtant, l’enfant n’est pas malade. Malgré cela, la société veut à tout prix gommer le malaise d’un individu qui se trouverait dans l’entre deux des catégories socialement établies.

 Selon l’asbl « Genres Pluriels 3 », la plupart des personnes intersexuées se vivent, volontairement ou non, dans un sexe majoritaire mâle-femelle et un genre majoritaire homme-femme. Les personnes intersexes sont des individus intersexués qui présentent les traits psychologiques d’intersexuation, c’est-à-dire qui refusent la binarité de sexe et/ou se vivent dans un sexe minoritaire : ni mâle ni femelle, hermaphrodite, 60/40, 40/60, ...4 En effet, certaines personnes intersexes ne revendiquent pas leur identité selon la binarité homme-femme mais par une « identité intersexuée5 ».

 Le vrai sexe ?

La chirurgie d’assignation est proposée aux parent·e·s lorsque leur enfant ne correspond pas au standard morphologique mâle ou femelle. Les médecins déterminent alors le « vrai sexe » de l’enfant. Il subira une chirurgie correctrice et prendra un traitement hormonal afin de compléter l’intervention médicale6.

Certaines personnes intersexuées sont à l’aise avec l’intervention subie lors de leur jeunesse. Cependant, énormément d’autres ne le sont pas. En effet, ces chirurgies sont pour la plupart traumatisantes et irréversibles. Aussi, elles réduisent la possibilité d’être à nouveau opéré dans le futur dans le sens d’une chirurgie de réassignation si l’individu ne se sent pas en accord avec le corps qui lui a été imposé par sa précédente chirurgie.

Ces chirurgies d’assignation posent question de la notion du consentement libre et éclairé, c’est à dire, qu’il doit être obtenu sans forme de pression et que le·la patient·e doit avoir reçu toute information pertinente sur ; le diagnostic, la nature du traitement, l’intervention à effectuer, le degré d’urgence, les bénéfices et les risques, les conséquences d’un refus ainsi que les autres possibilités de traitement7. Cette notion est liée à celle d’autodétermination individuelle, le droit d’être acteur·trice de sa vie sans influence extérieure.

La Belgique a déjà été interpellée et réprimandée par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU le 1er février 2019 car il considère que les enfants intersexués sont inutilement soumis à des procédures médicales de normalisation au sein du pays8. Par procédures inutiles, il entend les mutilations génitales ou une stérilisation, une opération chirurgicale, un traitement hormonal, une psychiatrisation ou encore une expérimentation médicale ou scientifique non consentis. D’ailleurs, le 14 février 2019, le Parlement européen a adopté la résolution 2018/2878 sur les droits des personnes intersexuées. Les eurodéputés condamnent fermement les procédures médicales de normalisation des enfants intersexes et invitent les États à adopter dès que possible une législation protectrice de l’intégrité physique, l’autonomie et l’autodétermination de ces enfants9.

Faire famille avec l’intersexuation

La figure du médecin est autoritaire. Son discours sera interprété comme celui·celle qui dit vrai puisqu’iel est le·la professionnel·le. Iel aura beaucoup d’influence, bien plus qu’un autre individu sans blouse blanche. Alors, lorsqu’un·e médecin annonce que le nouveau-né souffre d’une malformation génitale, que l’intersexuation est présentée comme pathologique et qu’une solution immédiate telle que la chirurgie est proposée, la réponse des parent·e·s suit souvent celle du médecin.

Lorsque les parent.e.s ne sont pas informé·e·s sur l’intersexuation, apprendre que le bébé dispose d’une anomalie, et qu’iel est né·e avec un sexe inhabituel peut représenter un grand choc. Pourtant, l’enfant ne souffre pas d’urgence médicale. Iel est simplement différent.

Pour les personnes intersexes, l’idéal serait d’attendre la majorité de l’enfant concerné·e pour qu’iel décide lui·elle-même de comment iel souhaite vivre avec son corps, y apporter une modification ou non. Pour ce faire, il est important d’informer l’enfant sur son corps et celui des autres, et lui permettre de se découvrir avec le temps.

Il peut être étrange de ne pas attribuer un genre au bébé lors des premières années de sa vie, de lui offrir un prénom mixte, de débuter une éducation non genrée, de s’habituer à la vue de son sexe différent. Pour tout cela, il est indispensable de ne pas rester isolé·e. D’abord, il est possible de se diriger vers un·e professionnel·le faisant partie du « Réseau Psycho-Médico-Social trans*/inter* belge »10 afin d’obtenir un suivi par des personnes formées sur les questions d’intersexuation. En effet, obtenir des informations par des médecins formé·e·s sur le sujet peut être rassurant pour les parent·e·s et permettre à l’enfant d’être accompagné·e par des personnes compétentes. Puis, s’entourer d’autres parent·e·s d’enfant intersexué·e peut se révéler être d’un grand soutien, créant des moments privilégiés pour discuter avec des concerné·e·s, recevoir des astuces liées à la parentalité particulière vécue.

Dans quelques années, il nous semblera peut-être anodin de répondre à la question « c’est une fille ou un garçon ? » que notre enfant est intersexué. Il est important de visibiliser les différents individus qui vivent au sein de notre société et de valoriser la différence afin d’obtenir une société de plus en plus tolérante et bienveillante et de moins en moins catégorisante et normalisatrice.11

 


1 D’abord, ne pas nuire : il faut garantir les droits des enfants nés intersexués par Amnesty International, page consultée le 13/09/2022.
2 Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (2020) Brochure d’information à l’intention des parents d’enfants présentant des variations des caractéristiques sexuelles (brochure). Institut pour l’égalité des femmes et des hommes : Bruxelles.
3 Genres Pluriels est une association qui œuvre à la visibilisation, à la valorisation, au soutien, à l’amélioration des droits et à la lutte des discriminations qui s’exercent à l’encontre des personnes transgenres/ aux genres fluides et intersex(ué)es.
4 Définition des intersexes par Genres pluriels, 2019, page consultée le 13/09/2022.
5 Dortier, J-F. (2014). Nos cinq sexes. Dans : Martine Fournier éd., Masculin-Féminin : Pluriel (pp. 19-31). Auxerre, France : Éditions Sciences Humaines.
6 Kraus, C., Perrin, C., Rey, S., Gosselin, L. & Guillot, V. (2008). Démédicaliser les corps, politiser les identités : convergences des luttes féministes et intersexes. Nouvelles Questions Féministes, vol. 27(1), 4-15.
7 Consentement libre et éclairé par Cliniques universitaires Saint-Luc, 2018, Bruxelles, page consultée le 13/09/2022.
8 IDAHOT 2021 par Genres pluriels, 2019, page consultée le 13/09/2021.
9 Ibid
10 Le réseau psycho-médico-social trans*/inter* belge par Genres pluriels, 2021, page consultée le 13/09/2021.
11 Analyse rédigée par Amandine Bernier suite à une rencontre avec Lou-Anne Auquier, ayant écrit son mémoire sur « Le corps médical et l’intersexuation : quels sont les enjeux de ce lien ? » dans le cadre du Master en Transition et Innovations Sociales, Université de Mons, 2021. Pour en savoir plus sur le sujet, n’hésitez pas à cliquer sur le lien du Podcast RCF :  Les conséquences de l’autorité médicale sur l’intersexuation enregistrée avec Lou-Anne Auquier : Les conséquences de l’autorité médicale sur l’intersexuation par RCF Sud Belgique, 05/09/2022, [Podcast].

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