Analyse 2022-07

Lors de la rentrée scolaire 2022-2023, un tout nouveau tronc commun, aux référentiels actualisés, a été mis en place. Celui-ci concerne la période allant des maternelles jusqu’aux 15 ans des jeunes. Le but est double ; d’abord, offrir aux élèves un bagage commun polytechnique afin de valoriser des compétences différentes, de mobiliser différentes formes d’intelligence, ce qui leur permettra de poser un choix d’orientation réfléchi. Et enfin, de repenser les référentiels vieux de 25 ans pour que le contenu des cours soit en adéquation avec les futur·e·s citoyen·ne·s du 21e siècle. 

La mise en place d’un nouveau tronc commun de la première maternelle à la troisième secondaire a débuté cette année pour la première et la deuxième maternelle. Il entrera en vigueur pour la troisième et la quatrième maternelle lors de la rentrée scolaire 2023-2024 et ainsi de suite.

Le tronc commun se veut « polytechnique et renforcé », il valorise les multiples types d’intelligences afin que les élèves touchent à un maximum de matières différentes, explorent leurs forces et faiblesses et apprennent à se connaître. Ainsi, iels pourront poser un choix mature et positif d’orientation vers l’enseignement général, qualifiant ou de transition. Il y aura alors une décision prise par l’adolescent·e de poursuivre vers tel ou tel enseignement, ces deux derniers ne représenteront plus des lieux où l’on est envoyé par dépit ou par échec. Aussi, le tronc commun créera plus d’hétérogénéité dans les classes puisqu’il s’étendra jusqu’à l’âge de 15 ans, et donc, offrira une plus grande égalité sociale à l’école. Il a également pour objectif de créer une scolarité plus épanouissante et inclusive pour tous et toutes. À cela, la modernisation des contenus d’apprentissage ont été repensés pour être en accord avec les évolutions de notre société. Ils offriront aux élèves des compétences adaptées à la citoyenneté du 21ème siècle. Mais est-ce réellement le cas ?

Il y a donc aujourd’hui 8 domaines d’apprentissage dont 3 domaines transversaux inédits, en accordant une égale valeur à l’ensemble des différents apprentissages. Il y a ceux que nous connaissons depuis déjà quelques années ; français, arts et culture, maths, sciences et techniques, sciences humaines, philosophie et citoyenneté, ainsi que éducation physique et à la santé. Ensuite, nous avons les langues qui comprendront une nouveauté l’année scolaire suivante. En effet, « l’éveil aux langues » en maternelle débutera lors de l’année 2023-2024. En troisième primaire1 , il sera obligatoire d’avoir dans son cursus l’apprentissage d’une langue moderne. Pour ce qui est de l’obligation d’apprendre le néerlandais, cela est encore en discussion et n’est pas encore programmé pour les années suivantes. Puis, nous entrons dans la nouveauté. Un premier apprentissage est né cette année « créativité, engagement, esprit d’entreprendre ». Il comprend différentes visées : l’organisation et la gestion de projets, l’expression personnelle, l’anticipation et la planification, le travail d’équipe. Ensuite, le deuxième apprentissage novateur se nomme « apprendre à apprendre et à poser des choix ». Il a pour objectifs de tirer des enseignements de ses expériences, d’identifier ses affinités et ses projets de vie. Et enfin, le troisième et dernier apprentissage « apprendre à s’orienter » a pour intention de faire découvrir le monde scolaire, ses filières et options, de mieux connaître le monde des activités professionnelles, de développer des projets personnels et professionnels.

De futur·e·s travailleur·euse·s ou de futur·e·s citoyen·ne·s ?

La Fédération Wallonie-Bruxelles a répondu aux problèmes que rencontrent les étudiant·e·s avec l’orientation en ajoutant deux apprentissages supplémentaires au programme. Nous pourrons analyser les retombées positives de ces derniers dans quelques années. Seulement, ces nouveaux apprentissages suffisent-ils à affirmer que notre éducation s’inscrit dans la citoyenneté du 21ème siècle ? Qu’entendons-nous par cela ?

La loi finlandaise qui concerne l’école fondamentale dispose d’objectifs fondamentaux autres que celui de faire devenir les enfants des futur·e·s travailleur·euse·s dans un monde hiérarchique et capitaliste. Elle énonce les objectifs suivants : « Il s’agit d’amener les élèves à développer une culture humaniste, d’en faire des membres de la société éthiquement responsables et de les doter des connaissances et des compétences dont ils auront besoin dans la vie. L’instruction doit favoriser la culture et l’égalité de tous les membres de la société, ainsi que les conditions dans lesquelles les élèves pourront participer activement à leur éducation et poursuivre ce processus de développement tout au long de leur vie. En outre, l’enseignement pré-primaire, partie intégrante de l’éducation de la petite enfance, a pour finalité d’améliorer la capacité des enfants à apprendre. Enfin, l’objectif de l’éducation est de garantir l’égal accès à l’éducation sur tout le territoire national 2». Pour ce faire, il est indispensable de percevoir l’école comme une petite société à en devenir.

Quoi de plus important qu’une société bienveillante aux citoyen·ne·s uniques, sensibilisé·e·s aux problématiques sociétales actuelles ? L’école manque actuellement d’ouverture : aux autres car nous sommes dans un système qui rejette ceux et celles qui n’ont pas les bonnes notes (et donc, les enfants précaires, porteur·euse·s de particularités ou de handicap), vers l’extérieur pour découvrir la nature, le monde qui nous entoure. Si nous prenons à nouveau l’exemple de la Finlande, nous pourrions nous en inspirer en ajoutant à nos référentiels des apprentissages finlandais indispensables à l’éducation des futur·e·s citoyen·ne·s tels que « connaissance de l’environnement, éducation à la santé, travaux ménagers, l’orientation… ».

Pourtant, les trois nouveaux apprentissages mis en place par le système éducatif belge « créativité, engagement, esprit d’entreprendre », « apprendre à apprendre et à poser des choix » et « apprendre à s’orienter » sembleraient plutôt s’inscrire dans notre monde capitaliste qui promeut le travail à tout prix plutôt que l’épanouissement personnel et l’urgence d’agir pour notre terre. Dès la maternelle, nous percevons les enfants comme des pré-étudiant·e·s et donc, pré-travailleur·euse·s plutôt que des futur·e·s citoyen·ne·s. Est-ce cette société-là que nous souhaitons mettre en avant dans l’apprentissage des enfants ? Devons-nous promouvoir notre société actuelle qui n’est plus adaptée à l’état du monde ou alors, une toute autre, une société futuriste où décroissance, bienveillance, respect et épanouissement seraient considérés comme valeurs primordiales ?

Une approche évolutive et de différenciation : fini d’être un numéro !

Un soutien aux apprentissages est prévu dans le cadre du tronc commun. Il se compose de 5 étapes, seule les deux premières sont d’application pour l’année 2022 : « l’approche évolutive des besoins de l’élève » ainsi que « les périodes d’accompagnement personnalisé. » Les trois suivantes débuteront lors de l’année scolaire 2023 : « les dispositifs spécifiques complémentaires », « le dossier d’accompagnement de l’élève (DAccE) » ainsi que « la nouvelle procédure de maintien exceptionnel. »

L’objectif du soutien aux apprentissages est de lutter contre l’échec scolaire et le redoublement, d’accompagner au mieux l’hétérogénéité des besoins des élèves, de permettre un suivi personnalisé des élèves et de soutenir la motivation et la réussite de tous les élèves tout au long de leur parcours dans le tronc commun.

L’innovation majeure concerne l’apparition d’une toute nouvelle approche qui se veut évolutive et de différenciation. L’idée est, pour les enseignant·e·s, d’adapter les modalités d’enseignement en fonction des besoins qu’iels identifient chez les élèves. Au sein de cette démarche, il existe une grande reconnaissance de l’existence des variétés de profils des élèves. Il est donc important pour les enseignant·e·s d'apprendre à connaitre leurs élèves, à identifier leurs besoins, et en conséquence, d’adapter leurs manières d’apprendre.

Pour faciliter l’approche évolutive et donc, les pratiques de différenciation, des outils ont été proposés. L’outil innovant mis en vigueur lors de l’année 2022 se nomme « les périodes d’accompagnement personnalisé ». Il s’agit de périodes durant lesquelles l’encadrement des élèves sera renforcé.

Pendant au moins deux périodes dans la semaine, un·e intervenant·e supplémentaire se mêlera dans la classe. Il existera deux modalités pour cet encadrement renforcé. Soit, la modalité optimale où deux enseignant·e·s co-enseignent dans la classe, soit une modalité plus minimale qui consistera à regrouper deux classes, et y ajouter un·e troisième intervenant·e. Les individus qui participeront aux heures d’accompagnement personnalisé seront les instituteur·trice·s primaires, les professeur·e·s ; de seconde langue, de philosophie et de citoyenneté ainsi que les logopèdes.

Lors de ces périodes, la classe devient flexible et modulable : des sous-groupes pourront être modulés à l’intérieur des classes, plusieurs adultes seront présent·e·s pour encadrer les enfants et déployer d’autres dispositifs pédagogiques.

Il y aura plusieurs interventions possibles ; celle du soutien sous forme de remédiation pour ceux et celles qui disposent de difficultés d’apprentissage, celle de la consolidation des apprentissages pour ceux et celles qui peuvent approfondir leur compréhension et celle de dépassement pour ceux et celles qui ne disposent d’aucune difficulté et qui peuvent alors obtenir des exercices plus poussés.

Ce soutien est bénéfique à la fois aux professeur·e·s et aux élèves. Pour les enseignant·e·s, cela permet d’obtenir une gestion plus facile de la classe, une meilleure observation des acquis et des obstacles rencontrés par les élèves, une adaptation des pratiques ainsi qu’un recul des pratiques par l’observation et la confrontation d’autres points de vue. Pour les élèves, cela permet d’éviter la stigmatisation, de diminuer la crainte des élèves de se tromper en classe et offre la volonté aux élèves d’aller vers les enseignant·e·s pour obtenir de l’aide.

Les prochains outils entreront en vigueur progressivement à partir de l’année 2023. Il s’agit d’abord des dispositifs spécifiques complémentaires qui ne seront d’application que pour pour certain·e·s élèves chez qui les enseignant·e·s auront constaté des difficultés persistantes. Dans ce cas, des stratégies seront appliquées suite au fruit d’une réflexion collective (multiples professeur·e·s, équipe PMS, logopèdes…) Aussi, l’outil du dossier d’accompagnement de l’élève (DAccE) se composera d’un volet administratif, d’un volet parcours scolaire, d’un volet de suivi de l’élève et d’un volet procédures. Il permettra aux équipes de consigner les difficultés qu’elles observent chez les élèves, et les stratégies mises en place pour accompagner l’élève. Dans le cas où un·e élève change d’école, le DAccE gardera une trace de ses difficultés et les stratégies mises en place pour l’aider. Enfin, la nouvelle procédure de maintien exceptionnel correspond au redoublement qui se voudra exceptionnel. Si en fin d’année, les professeur·e·s se rendent compte que les dispositifs spécifiques complémentaires n’ont pas suffisamment fonctionné et n'ont pas permis à l’élève de surmonter ses difficultés d’apprentissage, le maintien sera réfléchi et proposé aux parent·e·s d’élèves qui pourront donner leur avis, et auront la possibilité d’entrer un recours s’iels ne comprennent pas le choix de l’équipe éducative. Lors du maintien, un soutien particulier sera prévu pour l’élève.

Le redoublement est-il vraiment nécessaire ?

La culture de l’enseignement belge rime avec évaluation, échec et redoublement. En tant que citoyen·ne belge, nous pensons que recommencer une année permettra à l’élève qui a du retard de mieux comprendre la matière. Laisser passer un·e élève avec des mauvaises notes serait le résultat d’un enseignement laxiste3 . Alors que souvent, le redoublement est considéré comme punitif par l’élève, entache sa confiance en soi, le marginalise. Aussi, le décrochage scolaire doit être perçu comme un processus d’origine multifactorielle impliquant le champ de la santé, le champ éducatif, le champ pédagogique et le champ sociétal4 . En effet, le décrochage scolaire touche particulièrement les familles moins qualifiées, victimes de discrimination, vivant au sein de quartiers populaires5. Puis, l’engagement des parent·e·s aide l’enfant à s’investir et réussir à l’école. Ce soutien ne peut pas toujours être apporté par des parent·e·s dont la langue maternelle n’est pas le français, d’autres surmené·e·s, vivant des situation de violence ou de pauvreté6. Lorsque les enfants abandonnent les études, iels sont davantage confronté·e·s au chômage. Iels s’engagent alors dans des emplois précaires pour s’en sortir et risquent d’être à nouveau exposé·e·s à la pauvreté . Ainsi, le cycle s’éternise.

Dans le but de briser cette boucle infernale, il est plus intéressant d’accompagner les élèves dans leur individualité et de leur offrir la chance de poursuivre leur éducation au sein des heures ordinaires prévues par les périodes d’accompagnement personnalisé plutôt que de les marginaliser et les abandonner via le redoublement. Ainsi, la Fédération Wallonie-Bruxelles sera riche d’étudiant·e·s varié·e·s, actif·ve·s et réflexif·ve·s7.

 


 

1 Jusqu’à aujourd’hui (2022), la langue moderne est obligatoire à partir de la cinquième primaire en Wallonie.

2 Turkieltaub, S. (2011). Le modèle finlandais, la solution contre le décrochage scolaire ? Journal du droit des jeunes, 310, 37-45. 

3 07.21/ Redoublement : La Fédération Wallonie- Bruxelles toujours championne ! par Union Francophone des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique, 2021, page consultée le 4/10/2022.

4 Versnaeyen, L. & Trappeniers, É. (2021). La relation d’aide aux adolescents en situation de décrochage scolaire : théorie et pratique. Thérapie Familiale, 42, 313-330. 

5 Weixler, F. & Soudoplatoff, A. (2015). Nouveau plan de lutte contre le décrochage scolaire. Les Cahiers Dynamiques, 63, 16-25. 

6 Ibid.

7 Analyse rédigée par Amandine Bernier

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