Analyse 2022-08

Le gouvernement fédéral a donné son accord sur le budget fédéral pour 2023-2024. Dès janvier, celui-ci limitera les conditions d’octroi des crédits-temps pour les travailleur·euse·s du secteur privé et des interruptions de carrière pour les fonctionnaires fédéraux, dans le but d’amortir le choc énergétique.

Concernant les crédits-temps, l’allocation est maintenue à 516€ net/mois pour un temps plein. Cependant, s’il était possible d’obtenir ce congé jusqu’aux 8 ans de l’enfant, à partir de janvier, la condition d’âge diminuera à 5 ans. Les 4 autres motifs justifiant la prise de crédit-temps restent inchangés. Aussi, les 51 mois actuellement octroyés sur l’ensemble de la carrière d’un·e parent·e seront raccourcis à 48 mois.

Pour l’interruption de carrière, l’allocation est maintenue à 432,40€ net/mois pour un temps plein. Néanmoins, la durée de l’interruption partielle de la carrière a été amoindrie de 60 mois à 48 mois sur l’ensemble de la carrière d’un·e parent·e.

Ce qui compte

La crise sanitaire a astreint la population belge à domicile, réunissant ainsi les membres d’une famille à temps plein au sein d’un même espace. Les Belges ont appris à ralentir le rythme de la vie quotidienne, à avoir les enfants à la maison la journée, à jouer avec eux·elles, à dialoguer avec les ados, à redéfinir les espaces avec leur conjoint·e. Iels ont souffert du manque de leurs ainé·e·s qui ont redoublé d’effort technologique pour maintenir les contacts avec les leurs. Iels ont vécu dans l’angoisse pendant des mois. Iels ont également éprouvé de grandes souffrances lors de la perte de proches.

La période pandémique achevée, les Belges n’en sont pas sortis indemnes. Lorsque l’on passe des mois confinés, on a le temps de goûter aux plaisirs et aux difficultés du vivre ensemble, de réfléchir à ce qui importe réellement : la santé de nos proches, la liberté de passer du temps de qualité avec eux·elles, de les soutenir dans la maladie.

Le travail avant toute chose ? Gouvernement has been ?

Le gouvernement belge ne suit pas la volonté de ses citoyen·ne·s en leur imputant du temps avec leurs proches. Les parent·e·s se sont mobilisé·e·s avant que les décisions soient prises sur les réseaux sociaux, offrant leurs témoignages. Aussi, plusieurs confédérations syndicales (FGTB, CSC) ainsi que La ligue des familles1 ont réagi2 , s’opposant à la diminution des congés familiaux, en vain.

Pourquoi le gouvernement choisit-il d’économiser sur le bien-être des familles fragilisées ? Ces « congés » ne représentent pas un luxe ou un caprice, mais une réelle bouée de sauvetage permettant aux parent·e·s de garder la tête hors de l’eau. Grâce à ces dispositifs, les familles parviennent à maintenir leur travail et organiser leurs différentes obligations familiales telles que le suivi médical à l’hôpital des enfants vivant avec une pathologie, l’aide aux devoirs, la création de lien avec les enfants en bas âge…

Sans ces aides, des parent·e·s (des mères, surtout) issu·e·s de familles monoparentales, en situation de précarité ou avec un·e enfant à particularités se retireront du marché du travail et donc, engendrant d’autres dépenses en sécurité sociale (maladie, chômage…)

Des décisions qui impactent les femmes

Sans surprise, ce sont davantage les femmes qui prennent les régimes de crédit-temps, de congé thématique ou de l’interruption de carrière. En avril 2022, si l’on comptabilise les 3 régions, il s’agit de 150.070 allocataires féminins (63,0%) contre 88.235 allocataires masculins (37,0%). C’est surtout en Région flamande que les citoyen·ne·s y ont recours : en avril 2022, il s’agit de 166.094 allocataires (69,7%) contre 61.691 en Région wallonne et 10.520 en Région de Bruxelles-Capitale (25,9% et 4,4%)3 .

En effet, selon l’IWEPS4 , le travail domestique, l’éducation des enfants, le domaine du soin (des enfants, des personnes âgées…) est majoritairement pris en charge par les femmes même lorsqu’elles travaillent à temps plein. En rentrant à la maison, les femmes vivent un temps plein de maman, de fille de parent·e·s vieillissant·e·s, avec la charge mentale que cela implique.

Les congés parentaux devraient permettre aux parent·e·s de s’accorder du sommeil et repos, des contacts sociaux, des loisirs, des "vrais congés" dans une vie qui enchaine un temps plein double. Pourtant, ces congés peu rémunérés empêchent trop de parent·e·s d'y recourir et met en difficulté les familles qui y recourent (49% selon l’Ipsos). Il était essentiel d’améliorer ces conditions d’accès aux différents congés parentaux. Aujourd’hui, la situation empire encore, aggravant la conciliation entre le travail et la vie de famille, qui est l'un des enjeux auxquels les familles font face5 .

Alors, lorsqu’une femme vit dans une famille monoparentale, ou vit avec un enfant qui demande beaucoup de soins, comment est-ce possible d’organiser à la fois la vie familiale et la vie professionnelle ? Dans ce cas, les femmes tombent malade, diminuent graduellement leur temps de travail jusqu’à leur exclusion totale du monde professionnel, les privant alors d’ascension sociale, les renvoyant à la maison, les isolant de leurs contacts sociaux et de leur place dans la société.

Au sein d’une carte blanche, l’association « Vie Féminine » a dénoncé l’aspect genré de ces décisions gouvernementales et répond à l’affirmation suivante de notre Premier Ministre « Nous ne lâchons personne ! » : « Qu’en est-il des parents, et plus particulièrement des femmes, qui depuis trop longtemps galèrent à maintenir un équilibre entre vie privée et vie professionnelle ? Qu’en est-il de ces femmes qui superposent différentes casquettes (mère, travailleuse, aidante, taxi, etc.) au détriment de leur santé physique et mentale, au détriment de leurs besoins, de leur carrière et de leur autonomie économique ? Ne sont-elles pas “lâchées” au seuil d’une précarité et d’un isolement croissants ? Et à l’avenir, doivent-elles s’inquiéter de voir disparaître d’autres droits ?6 ».

L’association « Soralia » a également marqué son mécontentement : « Est-ce un vœu du gouvernement, à peine déguisé, de voir les femmes reprendre place au foyer ?7 »

Plus de solidarité (et de flexibilité) dans le monde du travail ?

Comme l’a dit Paul Tsongas, sur son lit de mort, personne n’a jamais dit : « J’aurais aimé passé plus de temps au bureau8 . » L’équilibre vie professionnelle/ vie personnelle a pris une plus grande importance dans la vie des citoyens. Plus question d’avoir un job qui ne permet pas le télétravail ou encore, un job qui ne laisse aucune souplesse face aux imprévus de la vie (rendez-vous médical, enfant malade, pneu crevé). Ces lieux de travail ne vendent pas du rêve. Au contraire, les jeunes travailleur·euse·s ne sont pas attiré·e·s par cette pensée organisatrice dépassée.

Dans le cas des familles concernées par ces nouvelles directives, il est important pour ces parent·e·s d’être inscrit·e·s au sein d’un job flexible afin de pallier aux différentes décisions gouvernementales. Puisque les politiques ne soutiennent pas les familles en difficulté, c’est à la société d’y répondre et donc, c’est aussi aux employeur·euse·s de permettre la flexibilité à ses employé·e·s en situation difficile.

En effet, réorganiser le temps de travail de ses employé·e·s en fonction de leur mode de vie peut être une bonne idée. Lorsque les problématiques des employé·e·s sont comprises par l’employeur·euse, iels répondent par l’envie d’être présent·e·s pour ce job qui prend réellement en compte leur bien-être personnel. Aussi, le télétravail permet d’éviter de perdre du temps dans les différents trajets, et d’être disponible plus rapidement auprès des enfants. Il est également possible de définir des objectifs de travail sur la semaine, et de permettre à l’employé·e d’organiser son temps comme iel le souhaite, ou alors, de permettre à l’employé·e d’effectuer certaines journées plus longues, et d’autres plus courtes, en fonction des rendez-vous médicaux.

What’s next ?

Nous pouvons nous demander si les familles vont être encore plus en danger dans les années qui suivent par les mesures gouvernementales. Ne nous négligeons pas les uns les autres9 . Les familles sont l’essence même de nos vies. Les enfants méritent d’avoir des parent·e·s présent·e·s pour leur développement, les ainé·e·s doivent avoir l’opportunité de bien vieillir, accompagné·e·s de leurs proches. Il est indispensable que les membres de notre gouvernement entendent les réalités des familles, et réexaminent leurs priorités budgétaires10 .

 


 

1 La Ligue des familles (2022) La diminution des congés familiaux: une mesure qui heurte les parents, par La Ligue des familles, page consultée le 14/11/2022.

2 Pour partager le visuel « Je m’oppose  la diminution des congés familiaux » sur les réseaux sociaux ou y partager votre témoignage: https://www.facebook.com/LigueDesFamillesASBL/photos/a.1383360348416539/5604976126254919/

3 LFA (2022), Chiffres Interruption de carrière, congés thématiques et crédit-temps - avril 2022, par LFA.be page consultée le 14/11/2022. 

4 Síle O’Dorchai (2017), Égalité entre les femmes et les hommes en Wallonie par IWEPS Wallonie, page consultée le 4/10/2022.

5 La Ligue des familles (2022) La diminution des congés familiaux: une mesure qui heurte les parents, par La Ligue des familles, page consultée le 14/11/2022.

6 Vie Féminine (2022),  Pas de soldes sur les congés familiaux !  par Vie Féminine, page consultée le 14/11/2022

7 Stéphanie Jassogne (2022), Faire des économies sur le dos des familles ou des proches : un mauvais calcul ! par Soralia, page consultée le 4/10/2022.

8 Donis Monneuse (2020), Apprenez à jongler entre vie pro et vie perso par Albin Michel, page consultée le 4/10/2022.

9 Pour trouver de l’aide proche de votre domicile: https://www.yapaka.be/tous/page/ou-trouver-de-laide

10 Analyse rédigée par Amandine Bernier

 

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