Analyse 2022-11

Dans notre dossier n°131 intitulé Au rythme de l’humain… Aller vite, pour quoi faire ? paru au premier trimestre 2020, nous avons fait la présentation d’une directive européenne, adoptée en 2019, relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants1.

Pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, la directive prévoit surtout des droits individuels des travailleurs en matière de congés parental, de paternité (appelé en Belgique congé de naissance) et d’aidant.

Lors de cette présentation, aidés par les analyses de la COFACE2 et de la Ligue des familles, nous avons noté certains points faibles de la directive liés notamment à la rémunération ou les allocations disponibles pour les bénéficiaires pendant les divers types de congé. Le niveau de ces soutiens financiers est primordial pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, car très souvent une plus grande perte de revenus du ménage empêche les hommes de s’investir davantage dans leur famille. Or, en la matière, la directive laisse toute liberté aux Etats membres, ainsi qu’aux conventions collectives nationales ou sectorielles, de limiter ces compensations financières.

Un autre point faible est la latitude laissée aux Etats membres, qui ont des dispositions plus avantageuses que celles contenues dans la directive, de ne rien améliorer à leur législation ou même, dans certaines conditions, de les réduire.

Il manque également dans les articles de la directive une concrétisation d’un de ses considérants3 relatif à la nécessaire offre de structures d’accueil d’enfants et de services de soins de longue durée. Sans des dispositions contraignantes dans ces domaines, le principal objectif visé par la directive, à savoir l’égalité entre les femmes et les hommes sur le marché du travail, risque d’être fort difficile à atteindre.

Les Etats membres avaient jusqu’au 2 août 2022 pour transposer la directive dans leurs législations respectives. Il nous a, dès lors, semblé intéressant d’analyser la manière dont la Belgique avait opéré cette transposition et quelles sont les avancées dont les familles peuvent à présent espérer bénéficier.

Des consultations préliminaires ont eu lieu basées sur les avant-projets de loi de transposition transmis par M. P.Y. Dermagne, ministre du Travail et de l’Economie, pour ce qui est du droit du travail, et par Mme S. Schlitz, secrétaire d’Etat à l’Egalité des Genres, pour ce qui est du volet « discrimination ».

Les principaux débats ont eu lieu au sein du Conseil national du Travail (CNT) qui regroupe les représentants des employeurs et des travailleurs. Il s’agit de la consultation la plus importante puisque la directive s’inscrit dans le champ du droit du travail.

A ce sujet, dans le cadre de la présente brève analyse d’une matière particulièrement complexe, bornons-nous à retenir ce qui suit.

Dans un premier temps et sans surprise, au CNT, les représentants des employeurs et ceux des travailleurs ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur des parties importantes des modifications législatives proposées4.

En résumé, les représentants des employeurs estiment que la transposition « extrêmement poussée » de la directive contenue dans ces avant-projets de loi introduit des congés et des protections supplémentaires non exigés par celle-ci, alors que la plupart des mesures figurent déjà dans la législation belge, engendrant ainsi une complexité et une insécurité juridiques pour les entreprises.

Par contre, les représentants des travailleurs souscrivent globalement aux modifications proposées par les deux avant-projets de loi.

Toutefois, après 9 mois de discussions supplémentaires, les partenaires sociaux sont parvenus à une CCT (convention collective de travail) entrée en vigueur le 1/10/2022, précisant les conditions de demande de formules souples de travail, le droit de demander l’aménagement du travail, les modalités d’exercice du droit et la protection du travailleur qui fait la demande5.

Finalement la loi de transposition, ainsi que l’arrêté royal d’application, ont été adoptés le 7/10/2022 et publiés au Moniteur belge le 31/10/2022.

De leur côté, les organisations familiales de 10 Etats membres de l’UE ont analysé leur transposition nationale. Pour la Belgique, ce sont la Ligue des familles et le Gezinsbond6 qui ont transmis leurs commentaires sur cette transposition à la COFACE qui les a globalisés et incorporés dans un rapport publié en septembre 20227. Voici ce qu’il en ressort.

La Belgique pas trop mal lotie

En règle générale, la Belgique ne s’en sort pas mal quant à ses dispositions relatives aux trois principaux types de congés visés par la directive.

Congé de naissance (ou, selon la directive, de paternité)

La directive prévoit un congé de 10 jours ouvrables à prendre par le père ou, le cas échéant, par le second parent (co-parent) à l’occasion de la naissance de l’enfant du travailleur. Ce congé ne peut être subordonné à une période définie de travail ou lié à l’ancienneté du travailleur. Il ne dépend pas de la situation maritale ou familiale de celui-ci et doit être rémunéré au moins au niveau de l’indemnité de maladie.

En Belgique, le congé de naissance est de 15 jours ouvrables (contre 10 jours à la suite des réformes récentes) et peut être pris dans les quatre mois suivant la naissance. Il ne doit pas nécessairement être pris en une fois mais peut, au choix du travailleur, être étalé sur une période de quatre mois à compter de la date de l’accouchement.
Le congé est entièrement payé et peut bénéficier tant aux salariés qu’aux travailleurs indépendants. Les trois premiers jours du congé de naissance, le salarié conserve l'intégralité de sa rémunération aux frais de l'employeur. Pour les jours suivants, le salarié perçoit une allocation versée par la mutuelle ou par la caisse d’assurances sociales du travailleur indépendant.
Le montant de cette allocation est fixé à 82 % du salaire brut.
Par conséquent, non seulement les normes minimales de la directive sont respectées, mais une dynamique supplémentaire est en cours puisque, pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2023, le congé de naissance est porté à 20 jours en Belgique.
De plus, la Ligue des familles milite actuellement pour l’extension de ce congé à 15 semaines, soit l’équivalent du congé de maternité.

Congé parental

La directive prévoit un congé de 4 mois, dont 2 ne sont pas transférables entre les parents, à prendre avant que l’enfant n’atteigne un âge allant jusqu’à 8 ans. Le congé doit être rémunéré à un niveau qui permet aux deux parents de le prendre.

En Belgique, le congé parental est de 4 mois par parent et est un droit individuel de chaque parent. Aucune partie du congé n'est transférable d'un parent à l'autre. Il peut être utilisé jusqu’à l’âge de 12 ans de l’enfant (21 ans pour un enfant porteur de handicap), sous les formes suivantes : temps plein (quatre mois), temps partiel (huit mois) ou un cinquième (20 mois).
Une fois le congé commencé, le salarié peut passer d'une forme à l'autre (ainsi, par exemple : deux mois à temps plein et quatre mois à mi-temps). Le congé peut également être fractionné en périodes d'un mois (temps plein), deux mois (mi-temps) ou cinq mois (un cinquième), ou un multiple de chacune de ces durées. Le salarié est entièrement libre de choisir entre ces différentes options. Un bémol : les travailleurs indépendants ne sont pas éligibles.
L'indemnité est très faible : autour de 952 euros (brut)/mois et 1.552 euros (brut) pour les parents isolés. Compte tenu de la faiblesse de la rémunération, l’utilisation du congé parental est aussi assez faible et la plupart du temps seules les mères le prennent.
Selon les organisations de la société civile, il est peu probable que la situation s’améliore dans l’avenir proche compte tenu des coûts financiers.
En raison de l'insuffisance de la rémunération du congé parental, cette partie de la directive ne doit être considérée que comme partiellement transposée, car elle ne facilite pas la prise du congé par les deux parents, comme demandé par celle-ci.

Congé d’aidant

La directive prévoit au moins 5 jours ouvrables de congé par an, avec une certaine flexibilité quant à l’attribution de ces jours. Par contre, aucune rémunération n’est prévue dans la directive, mais les Etats membres sont encouragés à introduire une indemnisation afin de garantir l’utilisation de tels congés.

En Belgique, il existe différents systèmes de congé de longue durée mais il n'y a pas, à strictement parler, de congé de courte durée en cas d’urgence pour les aidants au-delà du premier degré de lien familial.
Sans entrer dans tous les détails, les principes généraux sont les suivants.
En matière de soins de longue durée, les salariés qui souhaitent assister un proche en phase terminale ont le droit d'interrompre leur travail pour un maximum de 1 mois (renouvelable deux fois pour un mois), avec des revenus/indemnités de remplacement. Aucun lien familial n'est requis, mais il faut disposer d’un certificat médical.
De plus, un travailleur qui souhaite assister un proche atteint d'une maladie grave (membre de la famille jusqu'au deuxième degré ou personne vivant sous le même toit) peut interrompre sa carrière jusqu'à 12 mois à temps plein, ou jusqu'à 24 mois à mi-temps avec une allocation de remplacement de revenu.
Les salariés ont droit à 10 jours non rémunérés par an en cas de situation familiale considérée comme de force majeure (urgence) uniquement pour les membres de la famille au premier degré. Dans certains secteurs, ces jours sont (partiellement) payés par l'employeur. Selon le Gezinsbond, le gouvernement envisage d'élargir la liste des raisons du congé afin que les employés puissent prendre 5 jours sur 10 pour des tâches de soins non urgentes.
En conclusion, la Belgique respecte les normes minimales de la directive, allant bien plus loin dans un certain nombre de domaines.

Constats finaux

Bref, si l’on compare les résultats de la transposition avec les faiblesses relevées dans la directive dès son adoption en 2019, on doit faire les constats suivants pour la Belgique.
En premier lieu, si la plupart des congés sont indemnisés d’une manière ou d’une autre, le niveau général des montants est insuffisant pour assurer une réelle égalité entre femmes et hommes quant à la prise de ces congés. Ce sera pratiquement toujours le/la partenaire à revenu inférieur, majoritairement la femme, qui prendra le congé, révélant une nouvelle fois et en surplus la barrière persistante de l’écart salarial entre femmes et hommes.
Ensuite, en règle générale, la directive continue à laisser une trop grande latitude aux Etats membres, dont la Belgique, qui dès lors hésitera à améliorer sa législation au-delà de ce qui y figure déjà. Il y a bien sûr des exceptions : la Belgique figure en bonne position pour un certain nombre de dispositions, notamment en ce qui concerne la flexibilité dans la prise des congés, la prolongation du congé de naissance à 20 jours et les nombreuses formules de congés disponibles pour les aidants familiaux ou autres.
Enfin, la transposition de la directive aurait pu être l’occasion de développer l’offre de services d’accueil abordables, accessibles et de qualité pour les enfants, tel que souhaité dans un des considérants de la directive. Cela ne semble pas être le cas, alors que la question de la disponibilité de crèches à coût raisonnable reste un problème crucial pour beaucoup de jeunes parents en Belgique.
Un dernier bémol à relever en Belgique est le difficile accès aux différents types de congés indemnisés pour les travailleurs indépendants, l’exception étant le congé de naissance8.

 


 

1 Directive (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019

2 COFACE Families Europe (Confédération des Organisations familiales de l’UE)

3 Considérant (12)

4 CNT, Avis n°2.264 du 21/12/2021

5 CCT n°162 du 27/9/2022

6 L’équivalent flamand de la Ligue des familles

7 COFACE Families Europe, EU work-life balance directive transposition : A mixed picture, September 2022

8 Analyse rédigée par William Lay.

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