Analyse 2023-01

Un enfant qui éprouve des difficultés scolaires est souvent taxé comme manquant d’intelligence. Or, réussir à l’école n’est pas une preuve en soi d’intelligence. Il est dommage que le système scolaire et toute la société soient construits autour d’une mauvaise utilisation de la notion d’intelligence. Surtout qu'un autre paradigme existe. Ainsi, ne serait-il pas judicieux d’appliquer la théorie des intelligences multiples dans l’enseignement ? Cette analyse s’empare de cette question…

Dans un passé relativement récent, l’élève qui rencontrait des difficultés dans sa scolarité et récoltait de mauvais points se voyait coiffé d’un bonnet avec des oreilles d’âne. L’enfant devait même parfois se tenir dans un coin de la classe et recevait l’étiquette de « bête comme un âne » de la part des professeur.e.s et des autres élèves. De nos jours, on sait d’une part que les ânes sont intelligents1 et d’autre part, on sait que l’humiliation des enfants n’arrange rien. Donc, le bonnet d’âne a été supprimé. Par contre, ce qui persiste, c’est cette corrélation qui est faite entre réussir à l’école et être considéré comme intelligent.e.

L’école et la notion d’intelligence

Mais que veut dire être intelligent.e ? L'intelligence est définie par Larousse2 comme « un ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle » et « l’aptitude d'un être humain à s'adapter à une situation, à choisir des moyens d'action en fonction des circonstances ».
L'intelligence n’a donc rien à voir avec le fait de réussir sa scolarité, qui est plutôt le reflet d’une capacité de restitution. Cette capacité est la base de l’enseignement de nos jours, c’est sur elle que sont jugés les enfants, et non sur leur intelligence.

Or, résultats scolaires et intelligence n’ont rien à voir. On en veut pour preuve que de nombreux génies ont marqué l’histoire de leur nom malgré des résultats scolaires assez moyens voire des retards de développement. Ainsi, Einstein ne parlait pas convenablement avant ses 9 ans3 . Peut-on lui reprocher de manquer d’intelligence pour autant ? Beethoven a arrêté sa scolarité, médiocre, à 11 ans, âge où il publia sa première œuvre musicale pour clavier. Méritait-il un bonnet d’âne ?

Le système scolaire n’est donc pas toujours à même de détecter ou d’encourager les futurs génies, détenteur d’une intelligence indéniable. Tout comme il n’est pas nécessairement la voie directe vers un métier épanouissant ou une vie d’abondance. Cette question à d’ailleurs récemment été abordée au sein de l’une de nos études intitulée « Les études sup, unique tremplin pour trouver sa voie professionnelle ? » et publiée en juin 2022. Mais que faire alors ?

La théorie des intelligences multiples : une vision positive du potentiel d’un élève

La théorie des intelligences multiples4 suggère qu'il existe plusieurs types d'intelligence chez l'enfant et chez l'adulte. Cette théorie fut proposée pour la première fois par le psychologue Howard Gardner en 1983, et enrichie en 1993. Psychologue du développement, l’Américain Howard Gardner est également professeur de sciences de l’éducation à l'université Harvard, et professeur de neurosciences à l’Université de Boston.
Sa définition de l’intelligence est la suivante : « une capacité ou un ensemble d'aptitudes qui permet à une personne de résoudre des problèmes ou de concevoir un produit qui sont importants dans un certain contexte culturel ». On est loin de ce qui est enseigné sur les bancs des écoles traditionnelles. Même très loin…

Gardner définit huit types d’intelligences5 , soit autant de domaines où des génies ont émergé. Quels sont-ils ? Premièrement, l’intelligence verbale ou linguistique. Celle-ci consiste à utiliser le langage pour comprendre les autres et pour s’exprimer. Deuxièmement, l’intelligence visuelle ou spatiale. Cette dernière permet à l’individu de se faire une représentation spatiale, dans son esprit, du monde qui l’entoure. Troisièmement, l’intelligence musicale ou rythmique. Ce type d’intelligence est la capacité de penser en rythme et en mélodie, de reconnaître, mémoriser, interpréter, créer de la musique et d’être sensible à la musicalité des mots. Quatrièmement, l’intelligence logique ou mathématique, qui englobe la capacité de logique, d’analyse, d’observation et de résolution des problèmes. Cinquièmement, l’intelligence corporelle ou kinesthésique. Cette intelligence est la faculté de savoir utiliser son corps ou une partie de son corps dans la vie quotidienne ou dans un contexte artistique afin, notamment, de réaliser des tâches faisant appel à la motricité fine et des exercices physiques. Sixièmement, l’intelligence intrapersonnelle. Il s’agit d’une aptitude à faire de l’introspection, c’est-à-dire à se tourner vers l’intérieur de soi et y identifier ses sentiments, ses pensées, ses comportements, ses émotions. Septièmement, l’intelligence interpersonnelle ou sociale. Cette intelligence permet à l’individu d’agir et de réagir avec les autres de façon correcte. Et huitièmement, l'intelligence naturaliste (ou du naturaliste) rend un individu capable de classifier, de reconnaître et d’utiliser ses connaissances sur l’environnement naturel (animaux, végétaux, minéraux).

L’aspect intéressant de la théorie des intelligences multiples est le fait que nous ne sommes pas enfermés dans une forme d’intelligence mais que nous ayons tous un certain pourcentage de ces différents types d’intelligence. C’est justement cette combinaison de multiples intelligences qui ouvre les portes vers plusieurs voies d’avenir.

Un autre élément intéressant, en comparaison avec certains tests d’intelligence ou d’orientation traditionnels, réside dans le fait qu’une même intelligence dominante présente chez deux personnes différentes peut mener à plusieurs métiers (et donc études) qui n’ont, à priori, rien en commun. Ainsi, quelqu'un qui serait doté d’une grande intelligence kinesthésique peut devenir chirurgien ou horloger, vu sa minutie. Une personne à haute intelligence intrapersonnelle peut devenir tant cuisinier qu’informaticien ou psychologue puisque les mêmes compétences y sont nécessaires.

Vers une école ouverte à toutes les intelligences

Si on part du principe que l’on a besoin de tous les types d’intelligence pour faire tourner notre monde, logiquement, l’école devrait suivre ce principe et permettre le développement de tous les types d’intelligence.

Or, aujourd’hui, l’enseignement, et donc l’évaluation des apprenants, est essentiellement orienté vers ces deux seules intelligences : l’intelligence verbale et l’intelligence mathématique. Tout élève dont les forces se situeraient dans les six autres formes d’intelligence, autres que les deux dominantes, sera donc probablement en situation d’échec dans notre enseignement traditionnel. Cela touche donc une multitude d’enfants ! Une réforme s’impose !

D’ailleurs, n’y a-t-il pas intérêt à aider tous les enfants à développer un peu plus chacune des formes d’intelligences ? Elles sont toutes nécessaires aux adultes de demain pour faire face aux défis de demain où il va surtout falloir déployer à la fois de l’intelligence naturaliste et interpersonnelle afin de trouver des réponses collectives au pressant défi climatique, entre autres.

Une modernisation indispensable

De plus, moderniser l’enseignement en intégrant le moyen de mobiliser toutes les intelligences permettrait de réduire le décrochage scolaire qui touche un nombre important d’enfants… et surtout ceux à haut potentiel6.

Un nouveau type de programme scolaire pourrait prendre place, à l’instar de ce qu’il se fait dans d’autres pays. En Scandinavie notamment, où le cursus comprend, dès le plus jeune âge, des cours de philosophie, de psychologie, de travaux et projets mettant en avant l’intelligence collective et la solidarité. Au Danemark, il existe même des écoles où toute la pédagogie est basée sur la nature (les forest schools)7. Si ces formes d’enseignement holistique sont possibles ailleurs, cela pourrait l’être également chez nous8.

 


 

1 « L’âne, un animal pas si bête », dans Mon quotidien autrement, 9 janvier 2018.

2 « intelligence », dans Larousse.fr 

3 « Einstein n’a commencé à parler couramment qu’à l’âge de 9 ans ! », dans Lesaviezvous.net , 30 avril 2014.

4 « Théorie des intelligences multiples », dans Wikipédia 

5 « Gardner et sa théorie », dans Intelligences Multiples 

6 « Comment peut-on être surdoué et pourtant en échec scolaire? », dans Science & Vie , 24 décembre 2022.

7 Joana Durbaku, « Forest schools au Danemark : une philosophie de vie », dans Les décliques , 22 juin 2021.

8 Analyse rédigée par Christine Hélin.

 

 

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