Analyse 2023-02

Lorsque l'on inscrit notre enfant dans un club sportif, faisons-nous attention à ce qu’elle souhaite vraiment ou à ce que la société attend d’une petite fille ou d’un petit garçon ? Disposons-nous d’attentes envers notre enfant et son rapport au sport ? Les filles disposent-elles de modèles féminins sportifs ? Les médias permettent-ils leur visibilité ?

Nous sommes dans un monde où les médias sont omniprésents. Ce qui est écrit dans les médias reflète souvent la société et a une grande influence sur son public. C’est pour cela que ce qui est dit à la télévision, dans les journaux, à la maison ou à l’école a une grande importance sur ce que vont retenir les enfants, et donc, sur la construction des identités sexuées et des relations filles-garçons-autre.

En effet, les médias reflètent les questionnements que se pose la société. Nous pouvons donc en apprendre beaucoup sur la place des femmes dans la société lorsqu’on lit le traitement que les athlètes femmes subissent1: remarques sur leur tenue, la maternité, leur vie sentimentale… plutôt que sur leurs exploits.

Encore aujourd’hui, il existe une sous-représentation du sport féminin dans les médias. Dans le domaine du sport, la presse évoque moins les sportives que les sportifs. Et lorsqu’elle en parle, ce sont majoritairement des journalistes hommes qui écrivent sur des athlètes femmes…

Lorsqu’on regarde en arrière, nos athlètes de haut niveau ont vécu et subissent encore les conséquences de l’organisation de notre société par les rapports de genre dualistes : les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Certes, la majorité des femmes peuvent aujourd’hui concourir à de grands prix, mais sous quelles conditions ?

« L’histoire des femmes a d’abord été une histoire de leur corps2 »

Au début du vingtième siècle, il était inconvenant pour les athlètes d’avoir les cheveux lâchés, les chevilles dénudées ou encore, d’être en sueur. Ce n’est qu’après 1928, lors des Jeux olympiques de 1928 que les femmes arrivent les cheveux détachés et les jambes nues. Les femmes doivent être belles, gracieuses et souriantes.

Une question se pose pour ces sportives de haut niveau qui sont musclées, aux épaules carrées, poilues, aux caractéristiques dites « masculines » : sont-elles réellement des femmes ? Les femmes sont alors victimes d’un procès de virilisation qui renvoie à l’histoire passée : l’histoire de l’accès des femmes à des fonctions initialement destinées aux hommes. Les femmes font « un sport d’homme » et maintenant, « ressemblent à des hommes ». Pourtant, dans le monde du sport, un homme n’a jamais été suspecté d’être trop viril. Ce que le sport cherche, c’est obtenir des « vraies » femmes et des « vrais » hommes, c’est-à-dire, des femmes féminines, séductrices, érotisées et des hommes masculins virils, puissants, musclés3.

« L’être au féminin » est souvent réduit à « l’être perçu ». En d’autres mots, ce qui est considéré comme faisant la femme est souvent réduit aux apparences. Il existe les normes de la « bonne féminité » selon la norme hétérosexuelle. Bourdieu évoque que la « prétendue féminité » s’inscrit dans un rapport de dépendance à l’égard des autres… et surtout des hommes4.

Le test de féminité : un combo entre racisme et sexisme

En 1930, des sportives concourant à des épreuves d’athlétisme sont victimes d’un procès de virilisation. Ces femmes ressemblent à des hommes : d’abord, par leur physique, mais surtout, par leurs performances5. Le premier contrôle fut organisé en 1966 dans un contexte de Guerre froide. Ces accusations ciblaient particulièrement les athlètes du bloc soviétique, les occidentaux se questionnant sur les performances de celles-ci. Pour pouvoir continuer à participer aux compétitions internationales, les femmes devaient posséder un « certificat de féminité ». Aujourd’hui, le sport féminin demeure un enjeu géopolitique opposant le Nord et le Sud. En effet, les femmes soupçonnées d’être des hommes, manquant de féminité, sont des athlètes de couleur6.

Le premier test de féminité prenait la forme d’un contrôle gynécologique où seul le sexe apparent était pris en compte. Humiliant, il a été modifié en 1968 par le test du corpuscule de Barr, test effectué par frottis des cellules buccales et permettant de déterminer les chromosomes XX ou XY. Le danger est qu’il est possible de rencontrer des cas de sexe génétique en contradiction avec l’apparence physique : certaines femmes détiennent un clitoris et un chromosome XXY7. Elles sont alors considérées comme personnes intersexes et ne peuvent plus participer aux compétitions de haut niveau.
En désaccord avec ces tests, Anais Bohuon8, socio-historienne travaillant sur les articulations entre le corps, le sport et le genre a déclaré dans la presse qu’il n’est pas prouvé scientifiquement que ce taux de testostérone administre véritablement un avantage, et qu’il est par contre prouvé que des athlètes hyperandrogènes n’excellent pas9. Aussi, selon une étude de Healy, endocrinologue, c’est la masse maigre qui cause un réel avantage, et celle-ci ne serait pas régulée uniquement par la testostérone mais aussi par la génétique. Elle insiste aussi sur le fait que des femmes produisant une somme considérable de testostérone sont insensibles à ses effets10 . Puis, Dr Charles Chapelle clame que si un athlète dispose de longues jambes, les leviers de bras sont plus importants, et cela représente un avantage considérable. Le corps et sa formation naturelle peut donner des avantages : autant les hormones, que la longueur de bras ou des jambes11.

Finalement… le monde médical sportif est à la recherche d’une distinction naturelle des identités sexuées pourtant impossibles à définir par leurs critères faillibles (organes génitaux, hormones, chromosomes)12 . Tous ces éléments prouvent qu’aujourd’hui, la médecine ne parvient toujours pas à donner une définition exacte de ce qu’est une « vraie femme » puisque le sexe se voit déterminé par de nombreux critères qui sont redéfinis encore et encore.

De l’histoire ancienne ? Pas vraiment…

Caster Semenya est une athlète sud-africaine née en janvier 1991 spécialiste du 800 mètres, double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres. En 2009, Caster a 18 ans et entre sur la scène mondiale. Elle effectue la meilleure performance mondiale de l’année 2009 et décroche la médaille d’or des Championnats du monde de Berlin du 800 mètres. Suite à cette victoire, des soupçons naissent car elle ne ressemblerait pas suffisamment à une femme et elle serait bien trop rapide pour une femme. Caster subit un contrôle d’identité sexuelle qui la catégorise d’hyperandrogène, autrement dit, une femme qui a naturellement un taux de testostérone élevé. Pierre Weiss, secrétaire général de la Fédération internationale d’athlétisme déclara dans la presse « Caster Semenya est une femme, mais peut-être pas à 100% 13» et la presse parle de son « hermaphrodisme », terme à connotation négative14 .

Néanmoins, la fédération internationale des fédérations d’athlétisme (IAFF) permet à Caster de poursuivre sa carrière et de concourir au sein de la catégorie féminine aux Mondiaux de Daegu (2011), aux JO de Londres (2012), et Rio (2016) de Londres (2017). Caster est alors remontée sur la scène mondiale malgré toutes les accusations et humiliations vécues15.

Ensuite, un nouveau règlement est entré en vigueur en mai 2019 par la fédération internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) : « le règlement de différences de développement sexuel » (DSD). Les femmes comportant un taux de testostérone dépassant les normes féminines de l’IAAF (5nmol/l de sang) devront baisser leur taux de testostérone par la prise de médicaments. Ce règlement ne s’applique que pour les femmes concourant à des courses dont la distance est de 400 à 1609 mètres. Caster détient plus de 10 nmol/l de testostérone, ce qui est au-delà des normes féminines de l’IAAF (5 nmol/l), et participe à des courses entre 400 et 1400 mètres. Il s’agit donc bel et bien d’un règlement ciblant Caster directement. Elle a ensuite décidé d’attaquer ce règlement devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS)16 qui a donné raison à l’IAAF.

Les catégories sportives sont à l’heure actuelle dualisées : les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, ce qui amène à la construction de différences entre les sexes17 . Aujourd’hui, c’est l’hormone de la testostérone qui détermine si une femme est une « vraie femme » dans le monde sportif, car si elle en dispose de trop, elle est considérée comme un homme. Pourtant, un réel débat s’est créé autour du taux de testostérone. À l’heure actuelle, un homme qui décide d’entamer une transition pour devenir une femme ou inversement peut changer de catégorie sportive. Il existe des règlements précis le permettant. L’athlète doit faire parvenir un certificat médical pour le traitement par testostérone afin d’éviter d’obtenir des soucis avec la législation sur le dopage18. Par contre, les femmes hyperandrogènes, femmes qui disposent d’un grand taux de testostérone, considérées comme intersexes, sont donc hors catégorie, et ne peuvent pas poursuivre leur carrière internationale, mondiale. Pour continuer à concourir, elles doivent réduire artificiellement l’hormone de la testostérone par la prise d’œstrogènes. Ils justifient leur décision par le besoin de protéger l’intégrité de l’athlétisme féminin. Pourtant, cette prise d’œstrogènes peut provoquer un risque accru de cancers du sein et de l’endomètre, des AVC, des formations de caillots de sang et le développement de maladies mentales19.

Caster ne voulant pas subir le traitement médical, l’IAFF lui laisse un éventail de choix : arrêter sa carrière, délaisser les 800 mètres pour des distances plus longues, parcourir avec les hommes (malgré qu’il existe 15 secondes de différence entre ses performances et celle des hommes, elle n’aurait donc aucune chance de gagner), attendre la création de compétitions intersexes ou se contenter de compétitions locales20 . Caster Semenya refuse et déclare : « Je suis très déçue. Je refuse de laisser World Athletics me droguer ou m'empêcher d'être qui je suis. Je continuerai à me battre pour les droits humains des athlètes féminines, tant sur les pistes d'athlétisme qu'en dehors, jusqu'à ce que nous puissions toutes courir librement comme nous sommes nées. Je sais ce qui est juste et je ferai tout ce que je peux pour protéger les droits humains fondamentaux, pour les jeunes filles du monde entier21"22

 


 

1 Louveau, C. (2004). Sexuation du travail sportif et construction sociale de la féminité. Cahiers du Genre, 36, 165.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Bohuon, A. (2008). Sport et bicatégorisation par sexe : test de féminité et ambiguïtés du discours médical. Nouvelles Questions Féministes, 27, 80-91.

6 Raz, M. (2013). Anaïs Bohuon: le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ? Clio. Femmes, Genre, Histoire, 37, 257-259.

7 Bohuon, A. (2008). Sport et bicatégorisation par sexe : test de féminité et ambiguïtés du discours médical. Nouvelles Questions Féministes, 27, 80-91.

8 Professeure des Universités à l’Unité de Formation et de Recherche en sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives de l’université de Paris Sud (UFR-STAPS).

9 Vande Weyer, P. (2019).  Affaire Semenaya: la justice suisse suspend les règles de lIAAF. Le soir.

10 Mulot, R. (2019). Testostérone : l’hormone de la discrimination, Sciences et Avenir, 869/870, 96-98.

11 Vanderkelen, L. (2019). Trop de testostérone, exclue de la course ? La Libre Belgique, 123, 38-39.

12 Buhon, A. (2008). Sport et bicatégorisation par sexe : test de féminité et ambiguïtés du discours médical. Nouvelles Questions Féministes, 27, 80-91.

13 Europe1.fr. (2019). Semenya fait encore débat, Europe1.

14 Pour obtenir plus d’informations sur l’intersexuation, n’hésitez pas à lire une analyse écrite sur ce sujet sur notre site internet : C’est une fille ou un garçon ?

15 En 2011, elle termine en deuxième place, derrière Savinova, lors de la finale des championnats du monde de Daegu sur l’épreuve du 800 mètres. Elle remporte finalement la médaille d’or suite au dopage avéré de Savinova. Ensuite, elle décroche la médaille d’or du 800 mètres aux jeux olympiques de 2016 de Rio de Janero. Puis, elle remporte la médaille d’or lors de la finale du 800 mètres et la médaille de bronze du 1400 mètres des Championnats du monde de 2017 de Londres.

16 Endrizzi, L. (2018). Caster Semenaya: l’éternelle polémique, Libération.

17 Louveau, C. (2004). Sexuation du travail sportif et construction sociale de la féminité. Cahiers du Genre, 36, 163-183.

18 Vande Weyer, P. (2019). Semenaya, une défaite capitale et historique, Le Soir, 102, 6.

19 Mulot, R. (2019). Testostérone: l’hormone de la discrimination, Sciences et Avenir, 869/870, 96-98.

20 Vande Weyer, P. (2019). Affaire Semenya: la justice suisse suspend les règles de lIAAF. Le soir.

21 BBC News Afrique. (2020). Caster Semenya: "je refuse de laisser World Athletics me droguer ou m'empêcher d'être qui je suis ». BBC news.

22 Analyse rédigée par Amandine Bernier.

 

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