Analyse 2023-05
En Wallonie, les élèves passent plus de 800 heures par année académique au sein de l’école. L’école représente un lieu privilégié de socialisation, peut-être même plus que la maison. Alors, lorsque les stéréotypes se perpétuent à l’école, ils participent à la reproduction des rapports inégaux entre les hommes et les femmes dans la société, invisibilisent les minorités de genres et les particularités de l’un et l’autre.
Ainsi, l’école entachée par le système patriarcal persiste à faire mourir nos relations. Comment contrer ces mauvaises habitudes et permettre aux jeunes de vivre dans un monde plus inclusif, équitable, bienveillant, solidaire ?
Le manuel scolaire, vecteur d’une soit-disant normalité
Le manuel scolaire, bien plus qu’un support éducatif offrant un soutien dans le travail des enseignantes et dans le développement des compétences des élèves, est aussi un vecteur légitimant les normes et les valeurs de notre société. Au même titre que les médias, il est médium de socialisation, il expose le reflet d’une conception de la société. Les élèves vont donc être influencés par ces manuels, transformant les représentations qu’iels auront de la société1.
Dans ce cas, lorsque les manuels sont surchargés de stéréotypes, ces derniers vont participer à la construction de l’image que les élèves disposent d’eux mêmes et des autres, et ce jusqu’à l’âge adulte : il peut s’agir de l’estime de soi, de comportements sexués, d’orientation scolaire… Par exemple, lorsque les manuels dépeignent les filles comme douces et sensibles, on intègre l’idée qu’elles ne pourront pas devenir de bonnes directrices car pour l’être, il est nécessaire d’être ferme. Dans ce cas, il serait plus logique voire « naturel » qu’elles se dirigent vers un métier de soin. Au contraire des garçons représentés comme naturellement forts, invulnérables, les éloignant des métiers sociaux, du soin des enfants, de la participation dans les activités domestiques. Conséquences : ils parviennent plus difficilement à concilier la vie professionnelle et la vie privée dans leur vie adulte, et souffrent du faible développement de leur intelligence émotionnelle2.
Selon la Direction de l’Égalité des Chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles, numériquement, les filles et les femmes sont moins représentées que les garçons et les hommes au sein des manuels scolaires. Lorsqu’elles le sont, elles sont qualitativement représentées de manière stéréotypées. Pour cela, il est urgent de diversifier les représentations des rôles, fonctions et activités des filles et des garçons. Puis, le personnage conducteur qui guide les apprentissages auxquels l’élève peut s’identifier est généralement de sexe masculin, qu’il soit sous forme humaine, animale ou anthro-pomorphique. Pour permettre aux filles d’avoir leur place, il est important d’offrir aux manuels la présence des filles et des garçons, ensemble, afin d’obtenir une représentation équilibrée. À cela, il est nécessaire de favoriser la diversité des modèles familiaux plutôt que la famille papa-maman-enfant. Aussi, valoriser la présence de l’existence des grandes Femmes de l’Histoire dans les cours plutôt que d’invisibiliser les femmes comme si elles n’avaient toujours joué qu’un second rôle dans notre société passée et présente. Enfin, intégrer la dimension de genre de manière transversale semble indispensable afin d’être à l’ordre du jour quant aux valeurs que la société moderne occidentale prône, plutôt que ne jurer que par le dualisme d’absolument tout3.
Depuis 2020, les manuels sont labellisés au travers de la signature d’une charte par la maison d’édition. L’analyse des manuels scolaires a disparu. Il n’existe plus de processus d’agrément. Il est donc important pour les écoles d’être vigilantes quant au contenu des manuels et de vérifier par elles-mêmes s’ils respectent bel et bien les valeurs sociétales actuelles4.
L’importance d’entretenir le débat en classe
Depuis 2012, en Belgique, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) est obligatoire au sein de l’enseignement, et ce, durant tout le long de la scolarité. Elle dispose d’un rôle d’accompagnement des adolescents et adolescentes et jeunes adultes dans l’éveil à leur développement relationnel, affectif et sexuel. Selon les âges, plusieurs thématiques peuvent être traitées ; « les émotions ; les relations familiales, amicales et amoureuses, les changements corporels et l’éveil sexuel, les sexualités et les notions de plaisir, de choix éclairé et de consentement, les questions liées à l’orientation sexuelle à l’identité de genre, la contraception, l’IVG, IST, la pornographie, le harcèlement, la philosophie5. » Les espaces que crée l’EVRAS au sein d’une classe sont nécessaires et riches de sens pour les élèves.
Seulement, malgré le fait que ce décret dispose d’objectifs complets et novateurs, à lui seul, il ne suffit pas à améliorer durablement la vie relationnelle, affective et sexuelle des adolescentes, adolescents et des jeunes adultes.
D’abord, lorsque les élèves disposent d’une journée d’éducation avec un ou une externe formé·e, et des outils qui amènent au débat, le dialogue et l’esprit réflexif s’imposent à toustes ! Seulement, quand l’animatrice ou l’animateur quitte la classe, que se passe-t-il si les élèves ont cours avec un ou une professeur·e sexiste, homophobe, non formé·e aux questions sur le genre par exemple ? Dans le quotidien, les élèves sont en contact avec leur professeur·e, pas avec l’animateur·trice EVRAS. Il est donc indispensable de former les enseignant·e·s au préalable, d’inscrire ces thématiques au sein des programmes d’agrégation de l’enseignement, de leur offrir une formation de base, une formation continue sur les thématiques actuelles, ainsi qu’une formation sur les outils éducatifs. Ainsi, le débat pourra être poursuivi périodiquement.
De plus, il est question de positionnement. Tous les professeur·e·s ne sont pas formé·e·s pour discuter de sujets sensibles, qui relèvent de l’intime, avec les élèves. Il est important de travailler sa posture en tant que professeur·e. Un·e professeur·e trop strict·e qui manque d’empathie n’instaurera pas un climat de confiance et d’ouverture au sein de la classe autorisant les questionnements et la parole des élèves. Et oui, obtenir le respect des élèves en ayant une méthode éducative horizontale6, c’est possible ! Pour y parvenir, plusieurs formations, et outils sont à disposition gratuitement sur différents sites d’éducation permanente.
La cour de récréation dégenrée
Les écoles véhiculent encore à l’heure actuelle des stéréotypes de genre ainsi qu’une vision binaire de la société. Dans ce cadre, les garçons conformes aux stéréotypes liés au genre masculin ont été habitués dès leur plus jeune âge à s’approprier l’espace public. Notamment via la répartition inégale de l’espace de la cour de récréation. Souvent, un espace sportif dédié au foot est placé au centre de la cour de récréation. Le ballon est généralement approprié par les garçons puisque les stéréotypes de genre sportifs persistent encore à l’heure actuelle et s’inscrivent aussi au sein de l’école. Alors, les filles et le reste des étudiants inintéressés par le ballon se retrouvent dans les coins de la cour, tentant de s’attribuer le reste de l’espace, parfois bousculés par les garçons.
À l’heure actuelle, plusieurs écoles primaires établissent des cours de récréation dégenrées. L’objectif est de redéfinir les espaces et de créer des espaces nouveaux afin que chacun.e ait sa place, que les enfants créent du lien, peu importe le sexe et le genre et qu’iels apprennent à vivre ensemble.
Aussi, il est important de débitumiser les espaces pour renouer le contact entre les élèves et la nature. Il est urgent de créer des nouveaux espaces de jeu permettant la collaboration tels que le potager, les tables pour jeux de société, des espaces de temps dédié à soi, où lire par exemple, ainsi que des espaces où se défouler et courir. En effet, lorsqu’il n’existe qu’un espace vide en cour de récréation, les enfants utilisent leur corps comme support de jeu, amenant souvent des jeux reproduisant des comportements violents : ils se bousculent, jouent à la guerre…
L’école étant un espace où l’on apprend à vivre en mini-société. Ne serait-ce donc pas l’endroit approprié pour développer des relations bienveillantes entre toustes ?7
1 La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente. (2022). Webinaire : Le sexisme dans les contenus: les manuels et programmes scolaires. [Vidéo Youtube].
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Ibid.
5 Le site de référence sur l’Éducation à la Vie Relationnelle, Affective & Sexuelle
6 Pour en savoir plus sur la posture horizontale: Grelet, S., Zilberfarb, S. & Patouillard, V. (2008). L'éducation horizontale: entretien avec François de Singly. Vacarme, 43, 29-32.
7 Analyse rédigée par Amandine Bernier.
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