Analyse 2023-09

Le vote dès 16 ans : comment ça marche ? Qu’en pensent les jeunes et les associations qui les représentent ? Comment et pourquoi les impliquer dans le processus politique ? Quel rôle jouent la famille et l’école ?

Le 11 novembre 2015, le Parlement européen votait une réforme de la loi électorale préconisant aux États membres, « d'envisager d'harmoniser l'âge minimal des électeurs à 16 ans afin de garantir une plus grande égalité aux citoyens de l'Union lors des élections1 ». Une résolution que portera beaucoup Écolo-Groen, très favorable à la participation citoyenne chez les jeunes2. En mai 2022, soit sept ans plus tard, la Chambre approuvait enfin une proposition de loi accordant le droit de vote aux élections européennes dès 16 ans. Une initiative approuvée par le Forum des Jeunes, qui interpelle cependant sur la nécessité d’informer, d’inviter au débat et d’impliquer activement les jeunes, qui se sentent « rarement ou jamais concernés par l’Union européenne3 » 4.

Des jeunes apolitiques ?

Selon l’association Forum des Jeunes, en 2015, les jeunes s’opposaient à 79 % à l’abaissement de la majorité électorale. Malgré tout, elle se dit « réjouie » à l’idée de voir les jeunes davantage impliqués dans le processus politique5. Un constat similaire avait été établi en 2009 par Bernard Fournier et d’autres chercheurs de l’Université de Liège6 : « sur un échantillon de 1000 jeunes de 16 à 21 ans représentatif de la Wallonie et de la région de Bruxelles, seulement le tiers d’entre eux se disaient très ou assez intéressés à la politique », de même que « huit jeunes (de 16 à 21 ans) sur dix se prononçaient spontanément contre le droit de vote à 16 ans ». Mais le chercheur propose d’aller au-delà des résultats : « ce serait une erreur de se limiter à cette image : il faut aussi tenir compte du fait que les jeunes s’engagent plus volontiers dans les associations pour les droits de l’Homme ou de lutte pour l’écologie, entre autres, ce qui vient nuancer notre portrait. » Au fond, le débat ne devrait pas se limiter à l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans, mais questionner surtout la manière dont les jeunes aiment s’impliquer politiquement. En effet, ils auraient une plus grande tendance à la participation active, voire à l’activisme, surtout par le biais des réseaux sociaux et des médias en ligne7, au sein d’associations militant pour des causes nobles : écologie, droits de l’homme… et profiteraient davantage d’occasion telles que les manifestations ou les pétitions pour s’exprimer politiquement8,9. Un constat que rejoint l’enseignant Grégory Lefèvre, partisan de l’Action Damien, prenant la parole pour Couples et Familles en 2016 : « Ce qui touche les jeunes, de la première primaire à la rhéto, c’est quand on leur met le nez devant les différences criantes au niveau socio-économique dans le monde10. »

Quand on est jeune, on s’ennuie vite des discours, de la théorie, alors la politique nous passe souvent largement au-dessus de la tête. Mais qu’adviendrait-il si nous étions, à cet âge, davantage impliqués dans des actions politiques ayant des répercussions sur notre quotidien ou notre avenir ? Avenir à propos duquel les jeunes expriment leurs craintes sous la forme d’éco-anxiété11, entre autres troubles. Le Forum des Jeunes abonde dans ce sens en rappelant que l’abaissement de l’âge seul n’incitera pas les jeunes à s’impliquer, mais qu’il faut « modifier en profondeur notre culture de la participation12 », par exemple en aménageant des espaces de débat pour les jeunes et en consultant davantage les organes qui les représentent. Sur cette question, l’école et la famille auraient des rôles à jouer, et cela constitue précisément un frein pour certains13. Nous y reviendrons.

Des précurseurs encourageants

L’Autriche est largement en avance, puisqu’elle instaure la première le droit de vote à 16 ans en 2007. 180 000 jeunes avaient alors enrichi les urnes. On sait aussi que 22 % des Autrichiens de moins de 25 ans avaient donné leur vote aux Verts aux législatives de 200614 . Pas étonnant qu’Écolo ait suivi cela de près, suite aussi à la naissance du mouvement Youth for Climate en 2018 ; d’ailleurs, aux fédérales belges de 2019, 31,5 % des 18-34 ans avaient voté Vert15. En outre, l’exemple autrichien nous enseigne que l’intérêt des jeunes pour la politique a significativement augmenté après l’abaissement de la majorité électorale : précisément de 31 % à 62 % d’après une étude de l’Université de Vienne16. Autre exemple, en Écosse, à l’occasion du Référendum sur l’indépendance de 2014, les jeunes de 16 et 17 ans avaient été appelés à voter pour la première fois. D’après un sondage ICM pour la Commission électorale écossaise, 75 % d’entre eux auraient effectivement profité de ce nouveau droit, tandis que les 18-24 n’auraient été que 54 % à voter, contre plus de 70, 80 voire 90 % dans les autres tranches d’âge. L’étude de B. Fournier pour l’Université de Liège apporte une explication en soutenant l’idée que les jeunes de 16-17 ans auraient globalement plus de temps à accorder à des préoccupations politiques, que ceux de 18 ans dont la vie devient plus complexe : études supérieures, vie en couple, déplacements fréquents, etc.

Voter à 16 ans en Belgique, comment ça marche ?

A-t-on besoin de rappeler qu’en Belgique, le vote est certes un droit, mais aussi une obligation ? Aussi les jeunes de 16 et 17 ans convoqués aux urnes pour les élections européennes de 2024 seront-ils obligés de se présenter, dès lors qu’ils seront inscrits au registre de leur commune ? Ce qu’ils peuvent faire dès l’âge de 14 ans, en ligne, ou via le formulaire C/1a à remettre à la maison communale17. Une démarche facultative. À l’inverse, en effet, celles et ceux qui ne se sentent pas concernés peuvent ne pas s’inscrire et attendre sagement leur majorité pour un premier vote (peut-être) mieux éclairé.

Une crainte : les jeunes voteraient-ils pour les extrêmes…

Contrairement à une idée régulièrement véhiculée par les politiques et la presse, surtout en France, l’étude « Une jeunesse plurielle18 » de l’Institut Montaigne, menée en 2021 auprès de 8000 jeunes de 18 à 24 ans, déclare que les jeunes sont moins attirés par les partis extrémistes que leurs aînés, et qu’ils se caractérisent plutôt par une désaffiliation politique. Ils embrassent les causes et les idées plutôt que les partis ; surtout qu’en France, les notions de gauche et de droite politiques sont devenues très floues, ce qui ne les aide pas à se positionner. Mais pourquoi le devraient-ils ? S’il faut construire un monde nouveau, autant repartir sur de bases nouvelles.

…ou comme leurs parents ?

Cela semble une belle occasion pour les adultes, à plus forte raison les parents, et bien sûr nos dirigeants, d’appréhender une nouvelle façon de faire de la politique grâce aux ados, en essayant de voir le monde à travers leur prisme. Voilà pourquoi, finalement, il serait intéressant d’abaisser la majorité électorale : donner l’occasion aux jeunes de confronter leur position à celle des adultes, notamment leurs parents. Ainsi, d’un débat politique intergénérationnel émergera peut-être un monde plus fidèle aux aspirations des uns et des autres, où chacun se sentira impliqué et écouté19. Dans son livre « Apprenez-leur la liberté (First, 2022) », la psychothérapeute Marie-Jeanne Trouchard, spécialiste de la communication non-violente, déclare qu’il faut « essayer de comprendre et non convaincre » les jeunes, dans une période où le besoin d’opposition à l’adulte peut s’avérer destructeur s’il est alimenté par la frustration20. Au contraire, si la différence d’opinion dans le cercle familial a permis l’échange et la construction de l’identité citoyenne, il n’y a aucune raison de penser qu’un adolescent de 16 ans ne soit pas apte à voter.

Mais pour cela, encore faudrait-il que tous les parents s’intéressent à la politique et osent en faire un sujet de conversation familial. Ce qui n’est pas forcément le cas, comme nous l’avait déjà confié une classe de 5e secondaire du Brabant Wallon : « En famille on ne parle pas beaucoup de politique, même s’il n’y a pas de tabou. La plupart des élèves de cette classe ont moins de 18 ans et ne se sentent pas concernés par les élections. Plusieurs disent cependant qu’ils regardent les journaux télévisés avec leurs parents et qu’ils parlent alors de l’actualité21. » Alors, qu’en est-il de l’éveil à la politique dans l’enseignement ?

L’éducation à la citoyenneté, une solution ?

On n’a plus vraiment de nouvelles, depuis le printemps 2022, du « cours d’éducation à la philosophie et la citoyenneté » censé remplacer, dans l’officiel, le sacro-saint cours de religion/morale22. La note d’orientation le concernant fait toujours débat au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et l’idée traîne depuis pas mal d’années23. Comme quoi, en politique, la question même de l’éducation à la politique semble épineuse. Si la note prévoit une transition à l’horizon de la rentrée 2024, on ne sait pas encore vraiment de quoi accoucheront la Fédération puis les écoles. En tous cas, il est regrettable que le débat médiatique s’articule essentiellement autour du « remplacement » des cours de morale et de religion (laquelle subsisterait par ailleurs dans le libre) plutôt que sur l’objet du nouveau cours et la manière dont l’éducation à la citoyenneté doit être enseignée, quel que soit l’intitulé du cours qui en aurait l’objectif.

Peut-être le problème prend-il racine dans ce que l’école d’aujourd’hui, comme celle d’antan, demeure un vecteur de clivage social où il demeure paradoxal d’aborder des notions telles que la démocratie ou l’égalité24? Pas sûr qu’un cours de politique ou de philosophie et d’éducation citoyenne règle le problème. En revanche, si l’on en revenait aux bases de la réflexion politique et citoyenne (en soi philosophique), à savoir l’acquisition d’un esprit critique et la conscience de vivre en société, peut-être tomberions-nous sur l’évidence que l’enseignement dans son ensemble est concerné par un tel apprentissage. Aborder des questions de politique au cours de français, d’histoire25 ou de science (comme cela se fait déjà par ailleurs) a du sens. En français, on peut apprendre la rhétorique, décrypter le discours de nos dirigeants, en histoire, les origines de notre démocratie parlementaire, en science, mesurer l’impact écologique d’une décision concernant l’implantation d’un nouveau parc éolien.

Finalement, bonne ou mauvaise idée ?

Dans la mesure où la consultation populaire, outil de démocratie locale, entend déjà la voix des 16 ans et plus26, pourquoi ne pas élargir les possibilités ? Il n’est plus temps de se positionner pour ou contre le vote à 16 ans, mais plutôt de se préparer à une implication de plus en plus grande, et légitime, des jeunes dans la gestion de notre (leur) avenir. Le parti socialiste flamand Vooruit propose d’ailleurs d’abaisser la majorité électorale à 16 ans pour les élections communales27. Au vu des recommandations de l’Union européenne, il est à prévoir que ce genre de proposition finisse par aboutir. Le défi principal reste la gestion du déclic de l’éveil politique, qui arrive lorsque le jeune est confronté à la réalité du monde, les inégalités, la souffrance, la guerre, la dictature… Une prise de conscience qu’il convient de canaliser aussi bien en famille qu’à l’école, en ouvrant le dialogue sur l’actualité et les angoisses des jeunes qui en résultent. Peut-être ont-ils tendance à dire qu’ils « n’aiment pas la politique » comme ils diraient qu’ils n’aiment pas les maths ou le français ? Peut-être qu’ils intègrent notre discours d’adulte désabusé quand nous affirmons que « les politiciens sont tous pourris » ? Nous gagnerions à faire en sorte qu’ils se fassent leur propre idée sur la question, et ils décideront d’eux-mêmes s’ils doivent s’engager à voter dès 16 ans ou non. Mais pour cela, ils auront besoin d’un petit coup de pouce, alors, soyons prêts à les guider en citoyens responsables28 .


 

1« Résolution du Parlement européen du 11 novembre 2015 sur la réforme de la loi électorale de l'Union européenne »

2 Guillaume Defossé, « Droit de vote à partir de 16 ans aux élections européenne : une étape essentielle pour moderniser la démocratie », 04/05/2022 (page consultée le 09/05/2023).

3 Communiqué de presse du jeudi 01 octobre 2020

4 Selon une étude de l’OCDE menée en 2019, moins de la moitié des jeunes expriment leur confiance envers leur gouvernement, de plus, ils ont un sentiment d’efficacité politique moindre que leurs aînés.

5  (S. n.), « Le forum est pour l’abaissement du droit de vote à 16 ans mais souligne la nécessité d’informer les jeunes », dans forumdesjeunes.be, (s. d.) (page consultée le 05/05/2023).

6 Bernard Fournier, « Voter à 16 ans : une idée pour contrer l’apolitisme des jeunes », dans Les Politiques Sociales, 2015/2 (n°3-4), p. 119-130, en ligne sur Cairn.info, 12/04/2021 (page consultée le 05/05/2023).

7 Léo Lictevout et Adrien Palluet, « 18 ans, 16 ans… le droit de vote dans l’Union européenne », dans touteleurope.eu, 31/05/2022 (page consultée le 05/05/2023).

8 Collectif, « La gouvernance au service des jeunes, de la confiance et de la justice intergénérationnelle », rapport publié par l’OCDE, 08/07/2021, en ligne sur oecd-library.org (page consultée le 05/05/2023).

9 Bernanrd Fournier, op. cit.

10 Grégory Lefèvre, « L’engagement, des expériences de vie dont les jeunes sont capables », dans Famille et éducation au politique, dossier NFF n°117 de Couples et Familles, sept. 2016, p. 67-69.

11 Sur cet aspect, consultez notre dossier (n°144) : « Éco-anxiété : comment positiver l'avenir ? », à paraître en juin 2023.

12 (S. n.), « Le forum est pour l’abaissement du droit de vote à 16 ans mais souligne la nécessité d’informer les jeunes », dans forumdesjeunes.be, (s. d.) (page consultée le 05/05/2023).

13 Pierre Bréchon, « Le vote dès 16 ans : une réforme pas nécessaire ! »

14 Laurence Monnot, « L’Autriche instaure le droit de vote à 16 ans », dans Le Monde, 20/03/2007 (page consultée le 05/05/2023).

15 Louise Tessier, « Accorder le droit de vote dès 16 ans pour les élections locales: à qui profiterait cette mesure ? », 12/04/2023 (page consultée le 05/05/2023).

16 Eva Zeglovits et Martina Zandonella, « Political interest among young Austrians befor and after lowezring voting age », cité par Bernard Fournier : 9.

17 Service public fédéral Intérieur : direction des élections, « Le droit de vote des Belges de 16 à 18 ans », dans elections.fgov.be, (s. d.) (page consultée le 05/05/2023).

18 Étude menée par Olivier Galland et Marc Lazar pour l’Institut Montaigne.

19 À ce propos, voir le dossier n°117 « Famille et éducation politique » de Couples et Familles.

20 Citée dans Brigitte Valotto, « Parler politique en famille : au secours, on n’est pas d’accord ! », dans Ma Famille Zen, 22/02/2022 (page consultée le 05/05/2023).

21 « Qu’en pensent les jeunes », propos recueillis par Louis-Marie Denis, dans Famille et éducation au politique, dossier NFF n°117 de Couples et Familles, sept. 2016, p. 14.

22 (S. n.), « Les cours de religion et morale pourraient devenir des options », dans 7 sur 7, 04/02/23 (page consultée le 09/05/2023).

23 Déjà en 2015, le Centre d’Étude et de Défense de l’École Publique (CEDEP) avait invité la Fédération WB à se pencher sur la question. Alors même que, le 12 mars, la Cour constitutionnelle rendait un arrêt sur « le caractère facultatif du cours de religion ou de morale dans l'enseignement officiel », suivie, en octobre, par le « Décret relatif à l’organisation d’un cours et d’une éducation à la philosophie et à la citoyenneté ». Ce dernier rendait progressivement obligatoire cette matière en primaire et secondaire, mais le terme « politique » apparaît une unique fois à l’article 60bis §3 énumérant les objectifs du cours, parmi eux : « la formation aux dimensions politique, sociale, économique, environnementale et culturelle de la citoyenneté, tant sur le plan local que global ». Les programmes relatifs au cours de Philosophie et Citoyenneté sont disponibles sur enseignement.be.

24 Voir, par exemple, Jacques Cornet, « Ré-inventer la démocratie à l’école », dans Le Soir, 04/09/2018 (page consultée le 09/05/2023) et John Pitseys, « L’école, un lieu de démocratie », analyse publiée par Changements pour l’Égalité, 11/2014 (page consultée le 09/05/2023).

25 Voir ce témoignage d’un professeur d’histoire : Béatrice Renard, « Moi, je voterais Marine Le Pen ! », analyse publiée par Changement pour l’égalité, (s. d.) (page consultée le 09/05/2023).

26 « Consultation populaire », dans SPW, 17/02/2023 (page consultée le 09/05/2023).

27 Louise Tessier, « Accorder le droit de vote dès 16 ans pour les élections locales : à qui profiterait cette mesure ? », dans L’Écho, 12/04/2023 (page consultée le 10/05/2023).

28 Analyse rédigée par Olivier Monseur.

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