Analyse 2024-04
Pourtant avant-gardiste sur le terrain de la procréation médicalement assistée (PMA), la Belgique connaît une pénurie de don de sperme depuis au moins 20 ans. Peut-on en comprendre les causes et proposer des solutions ?
Pour répondre à la demande croissante, les centres de fécondation sont obligés de s’approvisionner à l’étranger, principalement au Danemark, où les banques de sperme sont bien mieux développées. Pour les porteurs de projet parental, cela a des conséquences en termes d’attente, de coût, mais aussi en termes de choix. En effet, les profils aux yeux marron, aux cheveux bruns ou d’origine maghrébine manquent à l’appel1. Qu’est-ce qui explique le succès danois, et peut-on s’en inspirer pour dynamiser les dons en Belgique ?
Le cadre légal du don de sperme
En Belgique, le don de sperme est réglementé par la loi du 6 juillet 2007. Il repose sur la gratuité du don (qui n’exclut pas un dédommagement forfaitaire), l’anonymat du donneur (sauf accord entre les parents et le donneur2) et l’interdiction du commerce des gamètes. La sélection de celles-ci ne peut pas être opérée dans un but eugéniste, ce qui inclut l’appariement entre donneur et receveur. Le donneur renonce à toute règle de filiation en faveur des auteurs du projet parental, et ni ces derniers ni l’enfant ne pourront y contrevenir. Enfin, le donneur doit avoir entre 18 et 45 ans et est limité à 8 dons qui ne pourront permettre d’inséminer plus de 6 femmes. L’insémination est autorisée pour toutes les femmes, seules, en couple hétéro ou homosexuel, dans les limites d’âge définies : toute demande d’insémination doit être introduite avant 42 ans si le donneur est anonyme, avant 46 ans s’il est connu (43 pour une fécondation in vitro).3,4,5
Histoire d’une pénurie
En 2012, la clinique de fertilité bruxelloise Erasme s’alarmait déjà du manque de sperme et en appelait aux dons. Du fait de la pénurie, le nombre d’inséminations y avait chuté de moitié en dix ans.6 Cinq ans plus tard, les demandes avaient globalement doublé dans tout le pays. En cause, la loi de 2007 qui autorise les femmes seules et les couples de femmes homosexuelles à recourir au don de sperme. Les demandes ont depuis lors explosé en Belgique, mais il faut savoir que la demande était surtout française ! En 2017, le centre de PMA de l'ULg traitait seulement 20 % de demandes belges.7 En effet, la France est longtemps restée à la traîne en matière d’accès à la PMA, et ce n’est que depuis 2021 qu’elle s’est dotée d’une loi permettant à toutes d’y recourir. Cette loi n’a toutefois rien changé à la pénurie en Belgique, même si elle permet de désengorger nos hôpitaux.
Examinons la demande belge de plus près : seuls 10 % des inséminations en Belgique sont effectuées pour des couples hétérosexuels confrontés à l’infertilité, les 90 % restant concernent les femmes seules et les couples de femmes homosexuelles.8 La France fait un constat similaire depuis la loi du 2 août 2021 : en juin 2023, environ 80 % des demandes concernent des femmes seules (± 40 %) ou des couples lesbiens (± 40 %).9 En 2022, les centres de fertilités belges tiraient encore la sonnette d’alarme : 60 à 95 % de leur stock provient des banques danoises et le prix des paillettes de sperme congelé s’envole : pouvant coûter jusqu’à 500€ (non remboursables) aux patientes.10
Nos sociétés, il est vrai, redéfinissent depuis plusieurs années les codes de la parentalité, la loi belge parle par exemple des « auteurs du projet parental » plutôt que des parents. Ce qui montre que la parentalité est affaire de planification. De plus, la reconnaissance des couples homosexuels a poussé plus avant la réflexion initiale portée par la PMA sur le « droit » d’avoir des enfants, qui dépasse désormais largement le cadre de l’infertilité. Aussi les demandes d’insémination ne sont-elles pas prêtes de décroître. Mais, nous allons le voir, elles sont loin d’être une cause unique de la pénurie.
Une procédure complexe et des critères sévères
Tout d’abord, il faut noter la complexité de la procédure. En effet, la santé du donneur potentiel et la qualité de son sperme sont scrupuleusement évaluées afin de ne conserver que la crème de la crème. Dans un premier temps, l’équipe du centre de fécondation va tester les motivations du candidat par un interrogatoire poussé avec un pédopsychiatre ou psychologue, un généticien et un médecin spécialisé. L’équipe s’intéressera aussi à son histoire médicale en quête d’antécédents familiaux. Ensuite, il faut satisfaire à deux prises de sang et une analyse d’urine en amont du premier don, puis une prise de sang et une analyse d’urine par don. Enfin, chaque échantillon sera analysé au moyen d’un spermogramme, qui évaluera la qualité du sperme11. Au terme de cette batterie de tests, il est estimé que seul un don sur dix correspondra aux critères de qualité.12
Un manque de reconnaissance
Pour compenser le temps offert et les trajets, le centre peut dédommager de 50 à 100€ par don. Sachant que le donneur est limité à 8 dons au total, il pourrait donc « gagner » au maximum entre 400 et 800€ au cours de sa vie.13 Chez Cryos, au Danemark, le nombre de dons n’est pas limité, il faut dire que Cryos et son millier de donneurs fournissent le monde entier et s’adapte à chaque législation. Un donneur peut recevoir entre 200 et 500 couronnes (entre 27 et 67€) par don, soit un maximum de 804€ par mois (imposables) en donnant son sperme trois fois par semaine. Avant de prétendre à une indemnisation, le donneur doit avoir déjà fourni 10 fois un sperme qui satisfait aux critères de qualité. Cryos s’assure ainsi que la motivation première ne soit pas financière. Elle insiste toutefois sur l’hygiène de vie en offrant 200 couronnes (27€) par mois aux donneurs réguliers pour la pratique de leur activité physique préférée.14 Toujours au Danemark, un étudiant nommé Lasse Haldrup explique donner son sperme deux fois par semaine, gagner 300 couronnes par don (40€) et ne pas avoir besoin d’un job pour payer ses études. Le journaliste danois qui l’a interviewé considère l’acte comme héroïque dans un pays qui connaît de graves problèmes de fertilité, d’autant plus qu’il faut faire des compromis avec sa vie sexuelle en prenant soin de ne pas éjaculer deux jours avant le don.15
Un tabou persistant et un manque d’information
Nous y voilà. Il se pourrait que l’une des premières barrières contre le don de sperme soit un certain tabou de la masturbation. Une activité sexuelle longtemps jugée infamante, répréhensible et vécue comme culpabilisante. Encore aujourd’hui, elle soulève des questions et souffre de légendes persistantes : elle rendrait sourd ou nuirait à la santé du couple.16,17 Pour combattre ces croyances, une campagne de sensibilisation aux dons de spermes serait la bienvenue. Mais cela tarde à venir, car il est interdit aux centre de PMA de faire une telle promotion ou la publicité favorisant le don de gamètes. Seuls les pouvoirs publics sont habilités à organiser une telle campagne.18 Au Danemark, ce n’est pas le cas, les centres ne s’en privent pas et touchent ainsi de nombreux jeunes hommes via les réseaux sociaux. Il paraît évident que si l’on veut combler le manque, lever cette interdiction et informer correctement le public sont les premières choses à faire.
La levée de l’anonymat enfonce-t-elle le clou ?
Jusqu’à maintenant, l’anonymat du donneur de sperme demeure la norme, même si le « don dirigé connu » est possible. La question de lever l’anonymat est sur la table depuis près de vingt ans19. En 2015, La Libre s’y opposait fermement : « on serait alors partis pour 20 ans de pénurie de donneurs. Le donneur a peur qu’un jour, un enfant frappe à sa porte.20» Aujourd’hui, les politiques tardent à se décider tandis que le Vooruit pousse à l’abolition de l’anonymat, avant tout pour empêcher les pratiques frauduleuses en tenant un registre des donneurs.21 Mais aussi, de plus en plus, des enfants nés grâce au don de sperme anonyme s’expriment sur leur angoisse de ne pas connaître la moitié de leur arbre généalogique22, ou sur leur colère d’avoir été mis très tard dans la confidence23. Rien d’étonnant à ce que le Comité de consultation de Bioéthique soit favorable à la levée de l’anonymat.24
Ainsi, la problématique de la pénurie du don de sperme est complexe. Les solutions multiples. Couples et Familles plaide pour le développement de campagnes de sensibilisation qui auraient trois objectifs : communiquer quant à la pénurie et quant à ses conséquences, transmettre une information la plus complète possible concernant les dons et combattre les idées reçues, notamment sur la masturbation. Pour ce faire, il paraît urgent de permettre aux centres d’organiser leur propre communication, même si le politique doit venir en renfort, car un tel message de solidarité se doit d’être porté au niveau national. Ensuite, il conviendra de proposer des compensations financières sérieuses, car même les plus altruistes ne peuvent se soustraire aux contraintes de la vie actuelle. L’idée d’intervenir dans les abonnements sportifs est à creuser. Une sensibilisation à grande échelle aurait un effet bénéfique tant sur le moral des parents en demande que sur la santé masculine en général.25
1 RTL Info, « Comment expliquer la forte pénurie dans les banques de sperme ? », dans www.rtl.be, 27/01/2024 (page consultée le 06/06/2024).
2 La pratique est désignée comme « don dirigé connu » et fait l’objet d’une convention signée entre donneur et receveur.
3 Loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes.
4 Centre Hospitalier Interrégional Edith Cavell (CHIREC), « Don de sperme », dans chirec.be, s. d. (page consultée le 06/06/2024).
5 CHU de Liège, « Don de sperme », dans www.cpma-ulg.be, s. d. (page consultée le 06/06/2024).
6 La Dernière heure, « En 10 ans, deux fois moins de sperme disponible », dans www.dhnet.be, 26/09/2012 (page consultée le 06/06/2024).
8 Alou Prins, « Dons de sperme : comment expliquer la pénurie en Belgique? », dans www.moustique.be, 05/08/2024 (page consultée le 06/06/2024).
9 La Dépêche, « #FaitesDesParents, un appel au don de sperme », dans www.ladepeche.fr, 06/06/2024 (page consultée le 06/06/2024).
10 RTL Info, op. cit. : 1. – Si le commerce des gamètes est en principe interdit par la loi belge (comme la loi danoise d’ailleurs), il semble que le fait d’acheter des stocks à l’étranger et d’en répercuter intégralement le coût sur les demandeuses belges ne pose aucun problème. Cela est d’autant plus dommageable quand on sait que le taux de réussite est de l’ordre de 10 à 20 %, taux variable selon les sources.
11 Une qualité d’ailleurs en baisse, puisque le nombre minimum requis de spermatozoïdes pour 1 ml de sperme est passée de 60 à 18 millions !
12 La Grande Forme et Vivacité, « Pénurie de don de sperme en Belgique : comment ça marche ? », dans www.rtbf.be, 08/03/2023 (page consultée le 06/06/2024).
14 Cryos, « Rémunération des donneurs de sperme », dans www.cryosinternational.com, 23/02/2023 (page consultée le 07/06/2024).
15 Magnus Fuglsang Søgaard, « Lasse donne du sperme deux fois par semaine : ‘Pour moi, c'est gagnant-gagnant’ », dans www.euroman.dk, 29/09/2023 (page consultée le 07/06/2024). Traduit du danois par Google Translate.
16 « Plaisir solitaire, danger pour le couple ? », émission Le 6/8 du 28/11/2023, dans auvio.rtbf.be (page consultée le 07/06/2024).
17 Candice Autin, cheffe de clinique au CHU St Pierre, citée dans Aliou Prins, op. cit. : 8.
18 Thomas Depicker, « Faut-il lever l'anonymat des donneurs de sperme ? », dans www.moustique.be, 24/06/2023 (page consultée le 07/06/2024).
19 En 2004, le Comité consultatif de Bioéthique avait suggéré de donner la possibilité au donneur d’être identifiable. À l’époque, l’opinion publique était d’avis qu’ignorer l’identité de ses parents n’entraînait pas de problème identitaire. D’ailleurs, le fait de ne pas connaître ses parents ne relève pas de l’intérêt supérieur de l’enfant, ni donc d’aucune norme européenne. Mais les idées évoluent. À l’heure où l’enfant constitue la base de la construction des nouveaux modèles familiaux, la question du droit de l’enfant à connaître ses origines revient avec plus de force.
20 Thierry Boutte et Valentine Van Vyve, « Pourquoi faudrait-il lever l’anonymat des donneurs de sperme ? », dans www.lalibre.be, 03/03/2015 (page consultée le 07/06/2024).
21 Belga, « Vooruit souhaite abolir le don de sperme anonyme », dans www.gunaikeia.be, 13/05/2024 (page consultée le 07/06/2024).
22 Ans Cornelissen, « Je suis née grâce à un don de sperme et je trouve que le processus devrait être plus encadré », dans weekend.levif.be, 30/05/2024 (page consultée le 07/06/2024).
23 « Loreana et Cédric ont découvert sur le tard qu'ils étaient nés d'un don de sperme », émission Vews du 05/10/2024, dans www.rtbf.be (page consultée le 07/06/2024).
24 Le Moustique et Belga, « Enfant né d'un don de sperme : le Comité de bioéthique favorable à la levée de l'anonymat du donneur », dans www.moustique.be, 22/12/2022 (page consultée le 07/06/2024).
25 Analyse rédigée par Olivier Monseur.
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