Analyse 2024-06

L’actualité politique fait le constat d’une popularisation des partis d’extrême droite un peu partout en Europe. L’Italie a donné les rênes du pouvoir à la présidente des Fratelli d’Italia (FI), la France voit le Rassemblement National (RN) frôler la majorité, en Belgique le Vlaams Belang (VB) se maintient malgré le cordon sanitaire. Couples et Familles s’est intéressée à la vision de ces partis en matière de politique familiale.

Fin 2022, l’Italie de Giorgia Meloni resserrait la vis à propos de l’interdiction de recourir à la GPA et la PMA pour les couples homosexuels, autorisés à l’union civile depuis 2016. Un flou juridique permettait jusque-là aux maires de reconnaître ou non la filiation des deux parents quand ces couples recourraient à la GPA ou à la PMA à l’étranger. Désormais, ils seront tenus de ne reconnaître la filiation qu’aux pères biologiques (donneurs de sperme) en cas de GPA et qu’aux mères biologiques (ayant accouché) en cas de PMA1. À Padoue, la procureure du Parquet a fait preuve d’excès de zèle en contraignant le maire à appliquer cette recommandation rétroactivement jusqu’en 2017. L’histoire a fait beaucoup de bruit et a servi d’exemple de ce qui serait susceptible d’arriver aux familles arc-en-ciel quand un parti d’extrême droite est aux commandes. La conception du modèle familial y est en effet traditionaliste et l’on y défend un modèle parental hétéronormé.2

Qu’est-ce que l’extrême droite ?

Le concept « d’extrême droite » traduit au moins deux choses. Il s’agit d’abord d’un terme politique qui désigne l’ensemble des formations siégeant le plus à droite de l’hémicycle parlementaire. Leurs inspirations idéologiques peuvent aller de l’ultra-libéralisme au néonazisme, en passant par le nationalisme et l’euroscepticisme. En général, les partis qualifiés d’extrême droite refusent cette étiquette. Et pour cause, elle est abondamment utilisée par les autres partis lors des campagnes électorales afin de diaboliser et ainsi décrédibiliser l’adversaire. Le terme est alors souvent amalgamé avec d’autres qualificatifs péjoratifs tels que fasciste, nazi ou populiste, sans discernement.3

Au sein de la grande variété de l’extrême-droite, les spécialistes épinglent au moins trois points communs : un discours antisystème où l’élite dirigeante est vertement critiquée, le choix d’une politique autoritaire associée à une forme de rejet de la démocratie4 et une position nativiste, où l’immigration est sévèrement contrôlée. Ce dernier point vaut aux partis d’extrême droite d’être taxés de racisme ou de xénophobie. Enfin, ces partis sont plutôt traditionalistes et entretiennent la nostalgie d’un passé meilleur. Le qualificatif d’extrême droite, à manipuler avec discernement, tient donc davantage à un système de valeurs qu’à une ligne politique précise.5, 6,7

S’il est possible de remonter l’histoire de certains de ces partis jusqu’aux souches du fascisme italien8 ou du national-socialisme allemand9, la plupart d’entre eux ont effectué un travail de dédiabolisation, voire de lissage, qui permet à leurs jeunes avatars de paraître plus ou moins fréquentables10. D’autres, comme Aube dorée en Grèce, sont plus explicites quant à leurs inspirations idéologiques11. Qualifier ce parti de néonazi n’est pas infondé, et plus précis que d’utiliser l’étiquette fourre-tout d’extrême droite. Les médias et les politiques utilisent parfois des substituts édulcorés (ultra-droite, droite radicale) car les programmes des partis les mieux policés ne seraient plus si « extrêmes » et deviendraient même démocratiques12. Mais que propose-t-on dans ces programmes ?

Une politique familiale « extrême »

Dans une logique nativiste, il faut réguler l’immigration et en même temps lutter contre la chute démographique. Cela ne peut se faire que par une politique des naissances13. Les partis d’extrême droite voient d’ailleurs en la famille hétéronormée un maillon essentiel à la transmission des valeurs traditionnelles. Le VB défend « la famille traditionnelle comme pierre angulaire de la société ». Pour le RN « faire le choix de la natalité, c’est s’engager à assurer la continuité de la Nation, et la perpétuation de notre civilisation14». Dans les programmes, ces principes se traduisent par des mesures visant à aider financièrement et matériellement les familles se conformant à ce modèle idéalisé.

Pour encourager les Français à faire famille, le RN propose plusieurs mesures : faciliter l’accès des jeunes à la propriété et au travail, de sorte qu’ils aiment rester sur le territoire ; reloger les Français les plus démunis dans les logements sociaux jusqu’alors occupés par des étrangers15 ; favoriser la nationalité française en n’octroyant d’allocations familiales qu’aux enfants dont au moins un parent est Français ; octroyer des avantages fiscaux aux familles nombreuses et augmenter leur pouvoir d’achat (sans négliger les parents isolés) ; restaurer l’autorité et la transmission des valeurs, notamment en réformant l’école (sans dédaigner l’instruction en famille16) ; enfin, encourager les liens intergénérationnels en baissant l’impôt sur les donations et successions et récompenser les aidants-proches qui s’occupent des grands-parents.17, 18 L’objectif du RN est donc d’inciter les Français à fonder des familles nombreuses dans un cadre attractif et de resserrer les liens intrafamiliaux en impliquant parents et grands-parents dans la transmission du patrimoine et des valeurs traditionnelles.

En Flandre, le VB nourrit le même amour pour cette famille idéale. Sa politique familiale s’articule sur l’importance d’établir un meilleur équilibre entre famille et travail. Pour ce faire, il compte améliorer aussi bien les conditions de travail des parents que celles des puéricultrices et faciliter l’accès aux crèches par un coût proportionnel aux revenus des parents. Les entreprises devraient s’adapter aux vies de familles, notamment grâce au télétravail. Enfin, il convient de permettre aux parents de s’occuper personnellement de leurs enfants dans de meilleures conditions : d’une part, en augmentant drastiquement les congés parentaux (sans oublier les congés de deuil), d’autre part, en versant un « revenu parental » pour le parent qui choisit de s’occuper de ses enfants à temps partiel jusqu’à la fin de l’obligation scolaire.19 Pour financer cela, le VB compte sur l’arrêt de l’immigration, ce qui implique une Flandre indépendante en porte-à-faux avec l’Union européenne ; certains en concluent que ce programme n’est donc pas finançable.20

Des valeurs familialistes non inclusives

Ces deux visions ont des points communs. Principalement dans l’intention de faire de la famille traditionnelle un rouage essentiel de la nation. Et un rouage méritant. C’est-à-dire qu’avoir des enfants, de manière biologique, est perçu comme un service essentiel rendu à la nation. Il s’agit aussi de renforcer le sentiment d’appartenance et de fierté nationale, face à l’immigration pointée comme incontrôlable et néfaste pour le pays. Ce qui passe aussi par « l’impératif de transmission21 » des valeurs traditionnelles. Mais quelles valeurs ? Dans un article incendiaire22, La Ligue des Droits de l’Enfant fustige une extrême droite en défaveur des femmes et des enfants. Elle reprend une citation attribuée à un membre de Schild & Vrienden, association flamande d’extrême droite avec laquelle le VB entretient des liens ténus23 : « [les femmes] se placent en dehors de la société quand elles sont en surpoids. Les grosses femmes sont dégoûtantes, on leur demande uniquement d’être une bonne mère et de prendre soin d’elles ». En d’autres termes, il y a un rôle sociétal exclusif pour les femmes : celui de mère en bonne santé. La couverture du programme électoral 2024 du VB montre d’ailleurs une jeune et jolie femme la chevelure au vent, portant son petit garçon sur le dos, un duo tout sourire et les cheveux blonds. Couples et Familles y voit un message familialiste non inclusif.

Ce que l’extrême droite n’aime pas inclure, c’est principalement l’homoparentalité. Elle ne soutient donc pas le recours à la PMA pour les couples homosexuels, ni la GPA de manière générale : « nous [le RN] refuserons de reconnaître la filiation des enfants nés à l’étranger par GPA24 ». Parce qu’elle est interdite en France, que l’enfant naît d’une mère étrangère et que les futurs parents sont potentiellement homosexuels. La famille traditionnelle est vue comme un moyen de préserver la « pureté » nationale. Ce n’est pas le désir d’enfant ni le projet parental qui font loi, mais la nécessité de maintenir une nation uniforme et biologiquement traçable : « un enfant naît forcément d’un père et d’une seule mère (...) la reconnaissance de cette réalité est un droit absolu de l’enfant25. » Néanmoins, le RN a revu sa position : « En 2022, Marine Le Pen a gommé de son programme l’abrogation du mariage pour tous et l’interdiction de la PMA aux couples lesbiens qui figurait dans celui de 201726 ». Idem pour le VB dès 201927. Côté italien, « Giorgia Meloni avait souligné son opposition ‘à toute discrimination fondée sur les choix sexuels’ » tout en confirmant « sa volonté de lutter contre l'adoption par les couples homosexuels » ; le Sénat italien s’est aussi opposé au certificat européen de filiation28.

Car le modèle familial traditionnel n’est qu’un mythe

Le fait que ces partis revoient leurs positions montre qu’ils sont confrontés à d’inéluctables changements de mentalité, contre lesquels ils peinent à lutter. C’est un peu l’évidence qui s’impose et y contrevenir frontalement diviserait leur électorat. Ils restent cependant très attachés à présenter un modèle familial hétéronormé comme le seul naturel et bénéfique, et demeurent tout à fait capable de faire appliquer des mesures politiques en ce sens.

Un fait gravissime que condamne Couples et Famille, qui a toujours prôné la tolérance, la multiculturalité, la liberté d’expression notamment identitaire, et bien sûr la diversité des modèles familiaux. Si la conformité au soi-disant modèle « traditionnel » s’effrite en ce moment, cela tient au fait que la norme, que l’on veut faire passer ici pour une tradition, nous a été imposée par une élite qui avait un intérêt particulier à défendre la nation-famille contre « les autres ». La xénophobie, l’homophobie ou encore la grossophobie ne sont pas l’apanage de « l’extrême droite », mais cette dernière a bien compris qu’elles sont toutes autant de cordes sensibles en l’humain qu’il lui suffit de faire vibrer, parfois délicatement, pour enflammer l’émoi. La peur de disparaître, de voir son identité nationale et sa tradition se dissoudre, ne repose que sur la croyance en leur propre mythe.

Afin de prévenir tout retour en arrière dans nos acquis, Couples et Familles rappelle qu’idéal familial et national sont deux constructions sociales dont il nous appartient de définir les frontières sans laisser quelque idéologie le faire à notre place. Que nos enfants ne portent pas le projet d’une élite rétrograde !29

 

 


 

1     RTS et Valérie Dupont, « En Italie, le gouvernement Meloni s'en prend aux familles arc-en-ciel », dans www.rts.ch, 20/05/2023 (page consultée le 04/07/2024).

2     Éloïse Rembert, « Italie : les familles homoparentales dans le viseur de Giorgia Meloni », dans www.causette.fr, 18/12/2023 (page consultée le 04/07/2024).

3     Benjamin Biard, « Ce dont l’extrême droite est le nom », dans En question, n°148, printemps 2024, p. 8-12.

4     Sans forcément rejeter tout principe démocratique. Par exemple, le RN respecte la démocratie parlementaire mais souhaite établir une distinction entre les personnes de nationalité française et celles de nationalité étrangère.

5     « ‘Les extrêmes’ : analyse des législatives », émission L’esprit critique du 05/07/2024, sur Youtube (page consultée le 04/07/2024).

6     « Extrême droite », dans Wikipedia, 16/12/2012 (page consultée le 04/07/2024).

7     Benjamin Biard, op. cit. 3

8     « Frères d’Italie (parti politique) », dans Wikipedia, 29/12/2012 (page consultée le 04/07/2024).

9     Pour le Vlaams Belang : Dossiers tabous. Pour le RN : « ‘Les extrêmes’ : analyse des législatives », op. cit. : 5.

10     Benjamin Biard, « Extrême droite : la stratégie de lissage du discours pour accéder au pouvoir fonctionne », propos recueillis par Aurélien Berthier, dans Agir par la culture, n°59, 23/10/2019. En ligne sur : www.agirparlaculture.be (page consultée le 24/07/2024).

11     « Aube dorée (Grèce) », dans Wikipedia, 24/10/2013 (page consultée le 04/07/2024).

12     Benoît Mathieu, « Xénophobe et autoritariste, le Vlaams Belang n'a pas changé », dans www.lecho.be, 08/06/2024 (page consultée le 04/07/2024).

13     Il faut préciser qu’il n’est nul besoin d’être qualifié d’extrême droite pour porter l’idée d’une politique d’encouragement des naissances, qui peut même se superposer à une politique d’immigration ouverte. On ne parle alors pas de nativisme.

14     Marine Le Pen, « M la France : M la Famille », projet présidentiel, 2022, p. 6. En ligne sur : rassemblementnational.fr (page consultée le 04/07/2024).

15     « Parallèlement [« à un plan massif de construction et de réhabilitation »], la mise en place de la priorité nationale pour les foyers dont au moins l’un des parents est Français permettra de remettre rapidement sur le marché les 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers, selon les chiffres de l’INSEE pour 2017 (« M la France : M la Famille », p. 9) ».

16     Edwige Diaz, « Radicalisation et instruction en famille : Emmanuel Macron sacrifie la liberté sur l’autel d’un amalgame insultant », dans rassemblementnational.fr, 16/11/2020 (page consultée le 23/07/2024).

17     Marine Le Pen, « M la France : M la Famille », projet présidentiel, 2022. En ligne sur : rassemblementnational.fr (page consultée le 04/07/2024).

18     « Bardella premier ministre », projet pour les élections législatives anticipées, 2024. En ligne sur rassemblementnational.fr (page consultée le 04/07/2024).

19     « Vlanderen weer van ons », programme électoral, 2024, p. 58-60. En ligne sur : www.vlaamsbelang.org (page consultée le 23/07/2024).

20     Benoît Mathieu, op. cit. : 12.

21     « Bardella premier ministre », op. cit. : 18.

22     Ligue des Droit de l’Enfant, « L’extrême droite contre les femmes et les enfants », dans www.liguedroitsenfant.be, 20/05/2024 (page consultée le 04/07/2024).

23     L’association fut d’ailleurs fondée par Dries Van Langenhove, ancienne tête de liste du Vlaams Belang au Brabant flamand, condamné en mars 2024 pour avoir enfreint la loi sur le racisme et le négationnisme.

24     Marine Le Pen, « M la France : M la Famille », op. cit., p. 15 : 17.

25     Annika Bruna, « La CJUE impose la reconnaissance de ‘parents de même sexe’ dans toute l’Union européenne », dans rassemblementnational.fr, 16/12/ (page consultée le 23/07/2024).

26     Lucie Oriol, « Législatives 2024 : Face à la montée du RN, ces couples de femmes craignent pour leur enfant, comme en Italie », dans www.huffingtonpost.fr, 28/06/2024 (page consultée le 23/07/2024).

27     « Les points polémiques du programme du Vlaams Belang », émission JT 19h30 du 28/05/2019 sur La Une (page consultée le 04/07/2024).

28     RTS et Valérie Dupont, op. cit. : 1. – Le certificat européen de filiation permet la « reconnaissance de la filiation dans l’ensemble de l’Union, indépendamment de la façon dont un enfant a été conçu, est né ou du type de famille qu’il a. » De sorte que « si vous êtes parent dans un État membre, vous êtes un parent dans tous les États membres ». Communiqué de presse du Parlement européen du 14/12/2023.

29     Analyse rédigée par Olivier Monseur.

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