Analyse 2024-07

Les JO 2024 se sont déroulés sous le sceau de l’inclusivité1. La parité hommes-femmes est atteinte à certains échelons et progresse dans d’autres, tandis que les épreuves féminines connaissent un engouement croissant. Au-delà du cadre architectural prestigieux, la cérémonie d’ouverture a mis en valeur la diversité artistique, dix grandes femmes de l’histoire2 et la communauté LGBTQIA+. Ce dernier point en a fait grincer des dents plus d’un à travers le monde. Couples et Familles prend le temps d’analyser cette cérémonie en ce qu’elle se voulait à la fois universelle, inclusive et symbolique.

Les JO de Paris 2024 s’inscrivent comme les plus inclusifs et égalitaires de l’histoire, dans la suite d’un processus en marche depuis plusieurs éditions. La parité hommes-femmes est enfin atteinte chez les athlètes : il y a autant d’hommes que de femmes et toutes et tous ont autant de chance de gagner des médailles, le drapeau national était porté par un homme et une femme dans presque toutes les délégations. La parité est en bonne voie dans les postes de direction du CIO et progresse dans d’autres secteurs, comme celui des commentatrices3. L’intérêt grandissant pour les compétitions sportives féminines donne aussi confiance aux investisseurs, et la question des inégalités salariales dans le sport de haut niveau se pose.4 La volonté du CIO a rencontré l’agenda d’une politique française semble-t-il investie en la matière, même un peu trop au goût de certains. En effet, la cérémonie d’ouverture a fait énormément parler d’elle à travers le monde. En cause, une probable parodie de la Cène5 (le dernier repas du Christ) par des drag queens. Des croyants du monde entier se sont dits choqués, si bien que certains pays ont censuré les passages jugés blasphématoires ou portant atteinte aux bonnes mœurs6. Couples et Familles analyse cette volonté d’inclusivité qui a pourtant pu être perçue comme insultante et excluante.

Un parfum de transgression

Il faut le reconnaître, la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 a réservé au public quelques surprises. La pyrotechnie était sensationnelle et l’originalité ne manquait pas. Mais l’une des performances les plus remarquables est d’avoir voulu « casser les codes7 » en jouant sur plusieurs tableaux en apparence subversifs : un court-métrage horrifique sur les légendes urbaines, un personnage de jeu vidéo portant la flamme olympique, un groupe de death metal reprenant le chant révolutionnaire « Ah ! ça ira » devant la Conciergerie avec la tête décapitée de Marie-Antoinette, un défilé de drag queens, la romance d’un trouple émoustillé, une parodie de la Cène où une DJ imite le Christ et où se prélasse une caricature du dieu grec de l’ivresse, et dans l’ensemble, une mise en scène qui rend hommage au monde nocturne du cabaret et des boîtes de nuit, en passant par une certaine dose de symbolique obscure. À n’en pas douter, cette cérémonie a tenté d’inclure beaucoup d’éléments inhabituels.8

mais dans quel but ? Était-ce pour inclure un plus large public ou pour le plaisir de bousculer les codes ? Peut-être un peu des deux. Le défilé de drag queens suivi de la probable parodie de la Cène a suscité le plus de réactions négatives. Pas tant pour la présence des drag queens (la cérémonie de clôture des JO de Sidney 2000 en avait déjà vu défiler sans une vague médiatique aussi forte9) que pour leur temps d’écran et l’association avec un thème religieux. Il semble qu’ici, les organisateurs aient voulu faire de l’inclusion tout en se donnant un air subversif.

Couples et Familles rappelle qu’inclusion et subversion ne peuvent être confondus. Car dès l’instant où une institution qui promeut l’inclusivité s’approprie les symboles de courants originellement subversifs tels que le death metal ou le cinéma bis, il n’y a plus lieu de parler de subversion. Au contraire, on devrait parler de popularisation sous contrôle.

De plus, ce qui devait être une démarche inclusive en l’honneur de la communauté LGBTQIA+ s’est transformé en une caricature, alors que cette communauté pourrait se prévaloir d’une véritable aura subversive. Comme ce fut le cas avec la popularisation de la Gay Pride de Paris dans les années 1990, qui drainait un public de plus en plus hétéroclite et de moins en moins militant10, on assiste à une banalisation de l’esprit LGBTQIA+. C’est « bien » dans un sens, car cela traduit un respect et une reconnaissance bienvenus, mais c’est à double tranchant, car il devient possible à l’État et aux médias d’en instrumentaliser la cause. En même temps, le focus exercé sur l’imagerie exubérante de certains membres de cette communauté ainsi que leur érotisation récurrente (on le voit aussi avec la saynète sur le trouple) renforce hélas le sentiment de rejet que peut entretenir envers elle une certaine frange de la population. Comme des chrétiens conservateurs, par exemple.

Les chrétiens rétrogrades en PLS

Face à la probable parodie de la Cène, de nombreux chrétiens et autres croyants à travers le monde se sont dits choqués. Principalement pour trois raisons : le blasphème d’une représentation sexualisée et transgenrée de la Cène, la diffusion devant un public familial à une heure de grande écoute, et, pour les plus orthodoxes, le caractère sataniste de la cérémonie dans son ensemble.

« Ces gens-là n’ont aucun respect des religions ni d’une [quelconque] forme d’humanité », s’empourprait Frère Paul-Adrien sur sa chaîne Youtube. Selon le vidéaste dominicain, les organisateurs de la cérémonie cultivent « le plaisir de cracher à la gueule [sic] et d’attiser un climat de violence et de haine pour faire de l’entrisme au niveau idéologique ». C’est-à-dire pour faire « entrer » des idées dans un milieu social ciblé. D’autres influenceurs chrétiens parlent même de « sorcellerie11» ou de « rituel satanique12», des épouvantails agités pour attiser les peurs.

La chanson de Philippe Katerine a par ailleurs été censurée au Maroc « conformément aux règles concernant la nudité à l’écran13» et par plusieurs chaînes de télévision dans le monde (comme la NBC aux USA)14. Il faut dire que certains pays conservent une tradition du sacré et un sens de la pudeur plus pointilleux que d’autres. Sur ce point, l’essayiste et youtubeuse Tantiana Ventôse accuse la classe dirigeante française « de détruire le sacré, de faire la promotion de l’hédonisme, de l’individualisme, de l’égoïsme, de la décadence [ainsi que d’une] espèce d’opulence morbide ». Des valeurs qui seraient, selon elle, promues par une classe dirigeante parisienne citadine et bourgeoise, déconnectée de la société et recluse dans un monde qui lui est propre d’où ils excluent tout qui n’est pas comme eux.15

Il faut dire que la prestation olé olé de Philippe Katerine en Dionysos, la mise en évidence du taureau doré de Paul Jouve, rappelant pour certains le veau d’or de Cecil B. DeMille16, 17 et enfin, la représentation alambiquée et guerrière de la déesse gallo-romaine Sequana sur un cheval mécanique18 lui prêtant un air de cavalier de l’apocalypse19, ont largement participé à l’ambiance occulte… S’il s’agissait d’une forme de paganisme esthétique, il y a lieu de se demander ce qui a motivé la direction artistique, qui aura largement eu le loisir d’anticiper ces réactions, à les exhiber malgré tout en connaissance de cause.

Le retour de la femme-objet

Bien que l’heure soit à la parité, il nous a semblé que « la femme » était particulièrement mise en avant comme objet décoratif.

Les dix statues de femmes illustres, érigées pour l’occasion, trôneront peut-être de façon pérenne à Paris après les JO20. C’est fort bien, mais Couples et Familles pense qu’il est aussi facile de construire des statues que de les déboulonner pour (dés)orienter l’Histoire.

Interrogée pour un micro-trottoir, une jeune Parisienne séduite par la cérémonie évoque « Aya Nakamura, une femme noire habillée en doré ! Littéralement, elle fait partie du décor. Je trouve ça trop stylé, c’est les valeurs de la France21». Si elle ne voulait pas dire que les femmes sont reléguées à la fonction de décor, nous trouvons le lapsus interpelant.

Peut-être que cette femme tenant le parapluie pour abriter le directeur général du CIO pendant son (long) discours pourrait en dire quelque chose.22

Enfin, les danseuses du Moulin Rouge, en sortie exceptionnelle, n’évoquent-elles pas la femme à voir, l’objet de plaisir des sens par excellence ?

L’inclusivité n’est pas une fantaisie

La cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 détourne à son avantage le débat sur l’identité de genre23. Elle joue aussi avec l’image de la femme, tantôt extravagante tantôt traditionnelle : recouverte d’or, érigée en statue ou en porte-parapluie, exhibée en danseuse affriolante, mais aussi métaphore obscure et lunaire, arpentant la frontière même de la féminité. L’esthétique des drag queens bouscule les idées sur le genre et la féminité, c’est sans doute pour cette raison que leur présence gêne les plus traditionalistes.

Cette cérémonie n’est pas tant une démonstration d’inclusivité ou de subversion que le reflet d’une récupération des débats sur l’identité de genre. Liberté d’expression de soi pour les uns, crainte de voir ses repères « traditionnels24 » maculés pour d’autres. Mais elle n’apporte rien à ces débats si ce n’est une confusion encore plus grande.

S’il est réjouissant qu’un pays défende ses minorités et questionne les rôles de la femme, il est déplorable que cela se fasse au détriment d’autres communautés, telles que les sans-abris spécialement délogés de Paris25, ou les croyants de tous bords. En revanche, il est tout aussi grave qu’on harcèle la DJ Barbara Butch suite à sa prestation au milieu des drag queens26. Mais comment inviter à la réflexion et au dialogue quand l’inclusivité devient partie intégrante d’une stratégie marketing ? Couples et Familles rappelle à toute institution que l’inclusivité n’est pas une fantaisie mais une nécessité pour la paix sociale.27


1 Le « Rapport intermédiaire d’évaluation de la stratégie ‘Héritage & Durabilité’ de Paris 2024 » fait état d’une volonté de lutter contre les stéréotypes (handicap et sport féminin) et promeut l’inclusivité en trois objectifs (p. 145) : « Favoriser l’égalité et lutter contre la discrimination notamment liée au genre » ; « Promouvoir l’inclusion sociale, notamment en termes d’accessibilité universelle » ; « Soutenir l’inclusion professionnelle (...) ».

2 L’exploratrice Jeanne Barret, l’essayiste féministe Simone de Beauvoir, la cinéaste avant-gardiste Alice Guy, Paulette Nardal, première étudiante noire inscrite à la Sorbone, etc. – Pour plus d’informations sur les dix femmes sélectionnées : Clémence Dascotte, « JO 2024 : qui sont les 10 femmes qui ont été mises à l'honneur lors de la cérémonie d'ouverture ? », dans www.lalibre.be, 27/07/2024.

3 ONU Femmes, « Faits et chiffres, les femmes dans le sport », dans www.unwomen.org, 07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

4 « Aucune femme ne figure parmi les 100 athlètes les mieux payés au monde ». En 2017, le salaire des sportives de haut niveau s’évaluait à 1 % de celui des hommes. – Source : ONU Femmes, op. cit. : 3.

5 Il règne une confusion sur la référence de cette séquence. Si le directeur artistique Thomas Jolly dément la référence à la Cène (telle que peinte par Léonard de Vinci), il n’en demeure pas moins que certaines évidences couplées aux déclarations contraires des artistes Piche et Barbara Butch tendent tout de même à confirmer cette référence. – Pour approfondir : Daphné Van Ossel, « Festin des dieux de l’Olympe ou dernière Cène : la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques a-t-elle ‘moqué le christianisme’ ? », dans www.rtbf.be, 30/07/2024 • Marie Berginiat, « La Cène aux JO : les contradictions des organisateurs », dans juste-milieu.fr­, 29/07/2024 • AFP : 7.

6    Cf. infra : 13.

7 AFP, « JO 2024 : flot de désinformation après la cérémonie d'ouverture », dans factuel.afp.com, 29/07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

8 « Cérémonie d'ouverture : Jeux Olympiques Paris 2024 », émission du 26/07/2024 sur RTBF Auvio (page consultée le 30/07/2024).

9    Florine Amenta, « 2000 : des drag-queens défilent à la cérémonie de clôture des JO de Sydney », dans www.ina.fr, 30/07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

10 Marianne Blidon, « La Gay Pride entre subversion et banalisation », dans Espace populations sociétés, 2009/2, p. 305-318. En ligne sur : journals.openedition.org (page consultée le 01/08/2024).

11 Daniel Vindigni, « Cérémonie d’ouverture des JO : l’abomination satanique », émission du 27/07/2024 sur Youtube (page consultée le 05/08/2024).

12 Quoi d’neuf pasteur, « Ma réaction à la cérémonie des #JeuxOlympiques », émission du 29/07/2024 sur Youtube (page consultée le 05/08/2024).

13 Roméo Duhar, « Cérémonie d’ouverture des JO : des chaînes de télévision étrangères ont censuré des séquences du show », dans www.huffingtonpost.fr, 27/07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

14 E. L., « Censure dans certains pays et retrait d’un sponsor: la prestation de Philippe Katerine fait des vagues à l’international », dans www.7sur7.be, 29/07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

15 Tatiana Ventôse, « La France est un asile à ciel ouvert (et le monde entier est au courant) », émission du 31/07/2024 sur Youtube (page consultée le 01/08/2024).

16  Capture d’image du film « Les dix commandements » de Cecil B. DeMille (Paramount Pictures, 1956).

17  M.Co., « JO 2024 : Des signes sataniques pendant la cérémonie d’ouverture à Paris ? Non, pas franchement », dans www.20minutes.fr, 27/07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

18 Il existe peu de sources iconographiques de la déesse Sequana, par ailleurs représentée sur une barque, en rappel du fleuve dont elle est la déité. Elle était invoquée pour ces facultés de guérison. – Source : Mary Winston Nicklin, « Mythologie : Sequana, déesse antique de la Seine », dans www.nationalgeographic.fr, 04/07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

19 Tatiana Ventôse, op. cit. : 15

20 Juliette Moreau Alvarez, « Vasque, anneaux olympiques, statues de femmes: Hidalgo réfléchit à conserver ‘trois symboles’ des JO dans Paris après les Jeux », dans rmcsport.bfmtv.com, 29/07/2024 (page consultée le 01/08/2024).

21 Brandon Rey, « Les drag queens à la cérémonie d’ouverture des JO : les Français sont révoltés », émission du 30/07/2024 sur Youtube (page consultée le 01/08/2024).

22 Lors de la cérémonie d’ouverture, tout le long du discours de Christophe De Kepper, directeur général du CIO, une femme dresse un parapluie au-dessus de sa tête tout en le regardant régulièrement avec le sourire. Ne pouvait-il pas le porter et sourire tout seul ?

23 La controverse autour des boxeuses Imane Khelif et Lin Yu-Ting – exclues du dernier championnat du monde au motif d’avoir échoué au « test de féminité » – illustre la tendance actuelle à la remise en question du genre. Ces boxeuses sont-elles des femmes ? Fidèle à sa politique d’inclusivité, le CIO a considéré que oui. – Pour approfondir : Camila Lewandowski, « Les limites des tests de féminité au coeur d’un débat olympique », dans www.ledevoir.com, 03/08/2024.

24 Voir notre analyse « Extrême droite et politique familiale » où l’on conclut au mythe du modèle familial traditionnel.

25 « Depuis des mois, le collectif le Revers de la médaille (...) alerte sur l’expulsion des populations précaires de Paris, en amont des olympiades parisiennes. » - Source : AFP, « JO 2024 : quelque 200 sans-abri ont campé place de la Bastille à Paris », dans www.lesoir.be, 06/08/2024 (page consultée le 05/08/2024).

26 Maxime Jacob, « Barbara Butch, DJ de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques harcelée en ligne : «Je sais dire ‘brûle en enfer !’ dans toutes les langues », dans www.vanityfair.fr, 02/08/2024 (page consultée le 05/08/2024).

27 Analyse rédigée par Olivier Monseur

 

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