Analyse 2024-10
Lors de sa visite en Belgique, le pape François s’est fait remarquer par quelques interventions choc. Son recueillement devant la tombe du roi Baudouin en compagnie de la famille royale a notamment suscité pas mal de remous… L’intention du pape de procéder à la béatification de Baudouin Ier au motif qu’il aurait « été courageux, car face à une loi meurtrière, il ne l'a pas signée et il a démissionné1 » – allusion évidente au refus de signer la loi de dépénalisation de l’avortement en 1990 – est en train de déclencher un torrent d’indignation. Couples et Familles pèse le poids de cette déclaration complètement hors-sol.
Lundi 30 septembre 2024 matin, les journalistes et l’opinion publique sont en émoi. Non content de s’être fait remarquer à plusieurs reprises pour ses opinions radicales ornées d’éléments de langage fleuris, le pape François en retour vers Rome a encore gratifié le peuple belge de quelques-unes de ces déclarations-choc dont il a le secret : « Les médecins qui procèdent à l'avortement sont, passez-moi l’expression, des tueurs à gage2 ». La bête est lâchée, aucun doute n’est permis sur le parti-pris conservateur du pape à propos du droit à l’avortement. Celui-ci s’est également illustré par l’étalage d’une vision rétrograde des femmes et de leur place dans la société : « La femme est fécondité, soin, dévouement vital3 ». Est-ce à dire que les femmes devraient consacrer leur corps tout entier à donner et préserver la vie ? Et donc, on le devine, à ne surtout pas l’ôter. Pour Couples et Familles, il s’agit d’une vision rétrograde, en total décalage avec le quotidien des femmes, qu’elles soient chrétiennes ou non. C’est un monde d’entendre ça. Mais ce n’est pas fini, puisqu’en prime le pape a annoncé son intention de béatifier la personne du roi Baudouin ! Parce que ce dernier aurait eu le courage de s’opposer à « une loi meurtrière » : c’est le clou du spectacle qui s’enfonce bien bas… De son côté, le monde médical s’insurge contre une « ingérence dans nos politiques et nos lois4 ».
Un roi saint, ça faisait longtemps…
Le pape a donc déclaré son intention de procéder à la béatification du roi des Belges Baudouin Ier (1930-1993). Pour rappel, on parle de béatification5 lorsque l’Église autorise le culte d’un individu dans une région donnée. Dans la pratique, le processus de béatification, proclamée par le pape, est quasi-identique à celui de la canonisation. Les catholiques belges pourront donc bientôt prier saint Baudouin… patron des anti-avortement ! Le pape souhaite « que l’exemple d’homme de foi qu’était le roi Baudouin illumine les gouvernants du monde ! ». Voilà une déclaration qui risque de marquer les esprits. Il faut dire que cela fait plus d’un siècle que l’Église catholique n’avait plus accordé le culte autour d’un monarque. On se souvient de Dagobert, érigé en martyr, de Louis IX dit le pieu, qui a tellement fait pour son pays qu’il fut déjà saint de son vivant, on se souvient des souverains bâtisseurs, de ceux qui ont propagé la foi chrétienne, comme Hélène d’Anjou, et de ceux qui l’ont défendue militairement, comme Ferdinand III de Castille, enfin, on se souvient des artisans de la paix, tel Charles Ier d’Autriche dans le feu de la Grande Guerre6. Désormais, on se souviendra aussi des souverains conservateurs militant contre l’avortement… C’est d’un goût douteux.
Pourquoi il est nécessaire de militer pour le droit à l’avortement
En 2024, il devient aberrant d’encore devoir militer pour un droit acquis depuis des décennies. Si l’on se demande pourquoi, la réponse se trouve principalement dans la résistance du conservatisme religieux. Ce contre quoi nous nous levons, c’est l’incroyable décalage entre le discours du pape et la réalité des Belges. En tant que chef du culte catholique, le pape a une responsabilité énorme et sait que sa parole est susceptible d’influencer quantité de croyant.es. Mais cette influence devrait être mesurée et ne servir qu’à diffuser des idées positives.
Du fait d’une prise de position ouvertement opposée au droit à l’avortement, le pape François joue avec le sentiment de culpabilité d’un nombre considérable de personnes, qu’il entend placer face à une responsabilité parentale qu’elles ne peuvent ou ne veulent assumer, conformément pourtant à leurs droits. Le pape entend mettre les catholiques belges à l’épreuve de la foi en leur suggérant de remettre en question les lois du pays au profit de celles du dogme romain. De surcroît, en résumant les femmes à un rôle reproducteur, le pape n’est pas loin de les humilier. En bon chef de culte, celui-ci prêche nécessairement pour sa chapelle : « la femme est plus importante que l’homme, mais elle reste une femme7 ». Tout est dit dans ce formidable oxymore. Sans femme, plus de procréation ni personne pour s’occuper des enfants, donc plus de chrétienté à l’horizon. Indispensable mais soumise, c’est ainsi qu’il convient de considérer la femme selon le dogme8. Une honte.
Afin donc de garantir à tous les citoyen.ne.s les droits qui sont les leurs, mais aussi de leur permettre d’y recourir sans se sentir coupables (ce qui serait un comble), Couples et Familles constate qu’il est encore nécessaire de monter aux barricades sur le sujet du droit à l’avortement en 2024…
Une prise de position bien ancrée
Depuis la proposition de loi du docteur catholique Payret visant à libéraliser l’avortement en 1970, et relayée en Belgique par le socialiste Calewaert en 1971, Couples et Familles a pris position en faveur d’une telle loi et a depuis lors encouragé toute avancée en la matière.
En 1972, Couples et Familles analysait une société de plus en plus esclave du temps et des citoyens aux agendas toujours plus remplis. Une vie programmée où la notion d’imprévu était en train de prendre une tournure inattendue : l’idée émergente de « l’enfant non désiré » s’inscrivait dans les mentalités. On commençait à préparer une naissance de la même manière que l’on pose ses congés, ou que l’on prend rendez-vous chez le dentiste : à l’avance. Et Couples et Familles de faire remarquer qu’« en des temps encore assez proches, l’enfant était l’imprévu prévisible9 ». Mais grâce à l’évolution des méthodes de contraception et les progrès de la médecine, l’avortement, gagnait en sécurité et pouvait être à son tour planifié. Sans cadre légal, la pratique restait cachée : le nombre d’avortements clandestins était alors estimés à plusieurs dizaines de milliers chaque année. Si Couples et Familles prônait un encadrement légal pour une pratique à la fois plus sécurisante et moins honteuse de l’avortement, elle convenait aussi que « l’avortement ne résout un problème qu’en en posant d’autres d’une extrême gravité10 ». D’un côté, il y avait la nécessité de répondre à un besoin impérieux d’empêcher la venue d’un enfant imprévu qui aurait plongé parents et enfant dans de grandes difficultés, de l’autre, il fallait prendre cette décision en âme et conscience.11, 12
Ce processus de réflexion où la femme enceinte va peser le pour et le contre de cet acte irréversible peut, lui aussi, être plus ou moins bien encadré. C’est là que l’Église s’insinue, rappelant aux femmes leur inconditionnel et inéluctable rôle fertile. Dès lors qu’une femme intègre cette idée dogmatique, vouloir empêcher de donner naissance revient pour elle à nier sa propre existence. Là voilà plongée dans le doute, le remord, la culpabilité. En opposition à cet état d’esprit mortifère, la loi belge, qui contrairement aux dogmes religieux tâche d’évoluer en même temps que ses bénéficiaires et dans leur intérêt, a fort heureusement jugé nécessaire de dépénaliser l’avortement en 1990. Une loi que notre souverain n’avait alors pas pu se résoudre à signer… pas plus qu’il n’eut voulu paralyser le pays par conviction personnelle ! Couples et Familles préfère retenir de lui son sens du devoir envers la patrie.
Cause et court toujours
Le débat autour de la dépénalisation totale de l’avortement court toujours. Des interventions remarquées, comme celles du pape François ce weekend, ne participent en aucun cas à une quelconque avancée en matière de droits des femmes, pas plus qu’elles ne permettent aux fidèles d’évoluer sereinement en leur foi et en leur société. Même l’Université catholique de Louvain, où le pape venait fêter le 600e anniversaire, en est restée baba et a jugé bon de prendre ses distances via un communiqué : « [l’UCL] déplore les positions conservatrices exprimées par le Pape François quant à la place des femmes dans la société13 ». Ces propos regrettables sont de nature à diviser plutôt qu’à rassembler, un comble et une honte pour toutes religions.14
1 RTL Info, « Pour le pape, les médecins pratiquant des avortements sont ‘des tueurs à gages’ : ‘Vous ne pouvez pas en débattre’ », dans www.rtl.be, 29/09/24 (page consultée le 30/09/2024). Et la citation se poursuit par : « Il faut du courage, n'est-ce pas ? Il en faut dans le pantalon pour faire cela ».
2 RTL Info et Christophe Giltay, « ‘Tueurs à gage’, ‘Il en avait dans le pantalon’ : comment expliquer que le pape tienne des propos aussi radicaux ? », sur www.rtl.be, 30/09/2024 (page consultée le 30/09/2024).
3 « Rencontre avec le pape François », conférence en ligne sur uclouvain.be.
4 Kamel Azzouz et al., « Qualifiés de ‘tueurs à gages’ par le pape, les spécialistes de la santé dénoncent une ‘ingérence dans nos politiques et nos lois’ », dans www.rtl.be, 30/09/24 (page consultée le 30/09/2024).
5 Père Jean Evenou, « Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétien », Fayard, 2002, cité par Conférence des évêques de France, « Béatification et canonisation », dans liturgie.catholique.fr, s. d. (page consultée le 30/09/2024).
6 Listes de saints issus d’une famille princière, dans Wikipédia, 03/05/2004 (page consultée le 30/09/2024).
7 « Rencontre avec le pape François », conférence en ligne sur uclouvain.be.
8 Nous l’évoquions récemment dans notre analyse « Un combat pour le diaconat féminin ».
9 Marie-Françoise Falisse (dir.), « Amour, vie et contraception », éd. Feuilles Familiales et éd. Touret, p. 77-90.
10 Ibid.
11 Feuilles Familiales, « Les FF parlent de l’avortement », 09/1972, p. 295-312.
12 Ibid.
13 « Réaction au discours du Pape : des convergences de fond, mais une divergence majeure », Communiqué de presse de l’UCLouvain, en ligne sur uclouvain.be.
14 Article rédigé par Olivier Monseur
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