Analyse 2025-01
Souvent qualifié de « mal du siècle », le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, occupe de plus en plus de place dans les discours institutionnels, les politiques de santé publique, les rapports statistiques et, surtout, dans le quotidien de trop nombreux travailleurs. Parmi eux, les professionnels de l’aide s’avèrent davantage exposés aux risques de burn-out.
Lors d’une journée de rencontre des actrices et acteurs du social namurois organisée en octobre 20241 et à laquelle Couples et Familles a assisté, les travailleurs du réseau ont été invités à réfléchir sur cette thématique : « Santé mentale et prévention ou aider sans s’épuiser ». Une attention particulière étant accordée à la santé mentale des travailleurs sociaux et autres intervenants de la relation d’aide, qui figurent parmi les professionnels les plus exposés au risque de burn-out. Et pour cause, ils composent chaque jour avec l’épuisement systémique de toute la population. Lors des ateliers, les témoignages d’un stress quotidien ont afflué. Or, la société attend d’eux qu’ils accueillent la souffrance d’autrui avec une résistance au stress exemplaire. Couples et Familles analyse la réalité du terrain.
Le burn-out en quelques chiffres
Une étude de Securex2 révèle que « le risque de burn-out a fortement augmenté » entre 2018 et 2022 et concerne presque un travailleur belge sur trois : plus d’un million d’individus3 ! À titre de comparaison, une étude internationale de Workday4 estime que 27% des travailleurs dans le monde sont exposés à un risque de burn-out et observe un effet de contagion augmentant ce risque. De son côté, l’INAMI renseigne une augmentation de 60% des burn-out diagnostiqués, soit reconnus comme maladie de longue durée, entre 2017 et 2022, et précise, pour 2022, que plus d’un malade de longue durée sur trois (37%) l’était pour burn-out ou dépression. Ces dernières sont aussi les causes d’un quart des incapacités de travail de plus d’un an (invalidité).5 Enfin, selon l’IWEDE6, la tendance en 2023 est à la hausse pour tous les indicateurs de mal-être7. Ce service de prévention et de protection des travailleurs s’alarme d’une augmentation en 10 ans de 40% des travailleurs présentant l’un de ces indicateurs à un degré élevé.8
Mais qu’est-ce que le burn-out ?
Le syndrome d’épuisement professionnel est reconnu par l’OMS comme maladie liée au risque professionnel. On lui préfère l’anglicisme « burn-out » qui signifie « se consumer » et s’utilise en jargon technique pour parler de grillage des circuits ou de surchauffe du moteur.
Les symptômes sont nombreux : épuisement physique et émotionnel, accroissement des maux physiques, tension musculaire, désinvestissement, perte de sens, sentiment d’isolement, idées négatives, sentiment d’échec, difficulté de concentration, perte d’efficacité…9 Une cohorte de désagréments convergeant vers un mal-être diffus qui déséquilibre vie professionnelle et vie privée. Cette dernière peut aussi être la source principale de l’épuisement, on parle alors de burn-out familial, parental, maternel, scolaire… Une enquête d’Edelman Data & Intelligence10 rend même compte d’un « burn-out du bien-être » qui affecterait la société dans sa globalité.
Le burn-out survient dans un contexte où les idéaux de l’individu, souvent compétent et investi, se confrontent à une réalité professionnelle où se combinent différentes pressions : sociale, économique, hiérarchique, etc. Réalité soumise aux politiques managériales orientées rentabilité et compétition, y compris dans un secteur social exposé aux coupes budgétaires récurrentes.11,12
Spécificités symptomatologiques des travailleurs sociaux
L’analyse sociologique identifie des spécificités chez les travailleurs sociaux. Ces derniers auraient davantage tendance à voir leurs difficultés professionnelles envahir leur vie privée, ce qui les pousserait à se couper de l’une et l’autre pour se protéger. Le manque de perspective d’avenir professionnel les affecterait aussi davantage. Enfin, ils auraient plus tendance à perdre confiance en leurs compétences et à refuser de rester sur un sentiment d’échec. Ces spécificités permettent d’observer comment on peut à la fois subir et alimenter le burn-out. 13
Stress vicariant et fatigue émotionnelle
Aussi nommé « fatigue de compassion » ou « hypersensibilité », le « stress vicariant » est un stress ressenti à la place d’autrui. Par effet miroir, on développe des symptômes similaires aux personnes stressées que l’on côtoie. Les métiers où l’on accueille les souffrances d’autrui, comme l’aide aux personnes (policiers, infirmiers, psys, travailleurs sociaux…) y sont plus exposés14. Ce qui constitue un facteur aggravant du risque de burn-out. Les femmes y sont surexposées dans la mesure où elles occupent davantage de postes dans les secteurs du soin et de l’aide.15
Souffrir de stress vicariant peut être violent et mener au choc post-traumatique par procuration. Pour se prémunir, il est souhaitable de pratiquer la supervision, de débriefer entre collègues et confrères, et de s’accrocher à ce qu’il y a de positif dans ces métiers, pour beaucoup reconnus comme pénibles16. Sans quoi, un sentiment d’impuissance risque de s’installer en parallèle aux injonctions contradictoires de la société : « je dois aider les autres, mais je n’y arrive plus car je dois aussi me faire aider ». Ces pressions qui appellent à la performance en même temps qu’au bien-être, font du bien-être une performance en soi et exposent à la dissonance cognitive.17
Parce que leur empathie est davantage mobilisée, les travailleurs aidants sont très exposés aux risques d’épuisement émotionnel. Or, leurs métiers exigent une prise de distance et une maîtrise des émotions. Dans ce contexte, reconnaître la fatigue émotionnelle est synonyme d’échec. La pression de la performance et la forte demande d’aide rendent cette reconnaissance taboue, accentuant les risques de burn-out.18
Que disent la loi et la prévention ?
La loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs19 fixe un cadre général pour la prévention des « risques psychosociaux au travail ». Le texte ne mentionne pas encore le burn-out, mais parle de situation de « stress au travail » parmi d’autres risques, comme le harcèlement, susceptibles d’entraîner « un dommage psychique qui peut également s'accompagner d'un dommage physique ». Depuis lors, la loi a été maintes fois mise à jour. Le terme « burn-out » est mentionné dans l’arrêté royal du 10 avril 201420. En outre, la loi belge tient l’employeur pour responsable de ce type de dommages et l’oblige à évaluer et prévenir les risques21.
Entre 2018 et 2024, Fedris a mené un projet pilote pour un « trajet d’accompagnement » des travailleurs en risque de burn-out. Il en ressort une amélioration du bien-être au travail et une meilleure conciliation vie privée-travail22. Suite à cette expérience concluante, le ministre de la santé Franck Vandenbroucke annonce en janvier 2024, que « toute personne présentant des signes de burn-out peut désormais bénéficier d’un accompagnement sur mesure23 », dans une démarche confidentielle et entièrement gratuite24. Couples et Familles applaudit cette avancée majeure dans l’amélioration des conditions de travail de tous.
Des solutions économiques
Ne soyons pas dupes. Si les risques psychosociaux sont aujourd’hui au cœur des politiques sociales, c’est entre autres pour des raisons économiques. Le trajet d’accompagnement vise aussi à diminuer le coût de l’absentéisme au travail pour la sécurité sociale et ses répercussions négatives sur la productivité nationale25. Par ailleurs, plusieurs mutuelles ont récemment été sanctionnées pour ne pas avoir suffisamment œuvré à la remise au travail de leurs affiliés malades de longue durée, dans le cadre du « Plan retour au travail », en vigueur depuis janvier 202326.
Couples et Familles met en garde contre un objectif global de l’État visant à contraindre les citoyens au travail, se basant encore et toujours sur une logique productiviste et compétitive. Laquelle porte le germe d’un burn-out structurel et systémique. Si on doit le féliciter d’avoir mis en place un dispositif efficace qui permet aux travailleurs et employeurs d’ajuster leurs attentes pour un mieux-vivre au travail, on doit toutefois lui reprocher de ne jamais s’attaquer aux racines politiques et économiques qui sous-tendent « le mal du siècle ».
Par ailleurs, Couples et Familles invite à porter une attention toute particulière au quotidien des professionnels de l’aide, sans le travail desquels toute entreprise visant à réduire les risques de burn-out serait vouée à l’échec. L’exemple des travailleurs sociaux nous enseigne qu’il faut repenser la vie en société en prenant en compte les spécificités de chacun : comment travailler et vivre, sans devoir vivre pour travailler ni travailler pour vivre. Il faut donc en finir avec le culte de la performance qui alimente le refus de l’échec et la sur-culpabilisation des travailleurs, obligés de collaborer avec une société paradoxale et contre-productive.27
1 Compte-rendu du Réseau Santé Namur sur Linkedin.
2 Étude menée par Securex, partenaire en matière d'emploi et d'entrepreneuriat, en collaboration avec la KU Leuven sur la base du Burnout Assessment Tool.
3 Steven De Vliegher, « Près de 30% des travailleurs belges courent un risque (élevé) de burn-out », dans press.securex.be, s. d. (page consultée le 16/12/2024).
4 Étude menée par Workday, fournisseur de solutions destinées à aider les organisations à gérer leur personnel et leur capital « menées auprès de 2,6 millions de travailleurs dans plus de 850 entreprises et 12 secteurs d’activité à travers le monde, y compris la Belgique ».
5 INAMI, « Incapacité de travail : Combien de burnouts et de dépressions de plus d’un an ? Quel coût pour l’assurance indemnités ? », dans www.inami.fgov.be, 02/05/2024 (page consultée le 16/12/2024).
6 D’après une étude menée auprès de 35 000 travailleurs belges par IDEWE, service externe pour la prévention et la protection au travail, sur la base de l’ARPSi périodique (analyse de risques aspects psychosociaux).
7 Synthétisés sous les appellations de « sentiment important de stress », « sentiment important d’épuisement professionnel », « sentiment important de distanciation » et « risque de burn-out », qui correspondent aux quatre stades du burn-out habituellement repris dans le discours institutionnel : alarme, résistance, rupture et burn-out.
8 IWEDE, « Bien-être mental après la crise du coronavirus », dans www.idewe.be, 04/06/2024 (page consultée le 16/12/2024).
9 Mensura, « Prévention du burn-out », dans www.mensura.be, s. d. (page consultée le 16/12/2024).
10 « The pressure to be well : lululemon Global Wellbeing Report 2024 », relayé par www.rtbf.be.
11 Réseau du traitement de l’épuisement professionnel, « L’OMS reconnaît officiellement le burn-out comme phénomène professionnel », dans traitement-burnout.be, s. d. (page consultée le 16/12/2024).
13 Fathi Ben Mrad, « Travailleurs sociaux face au burn-out », dans Sciences & actions sociales, n°19, 2023/1, p. 224-240. En ligne : www.cairn.info.
14 D’autres métiers sont concernés par le stress vicariant : le journalisme, l’enseignement, les pompiers…
15 Conférence « Aider sans s’épuiser » de Psynam à la journée de la PNS du 08/10/2024.
16 « Liste des métiers pénibles de la fonction publique » (dans metiers.siep.be).
17 Conférence « Aider sans s’épuiser » de Psynam à la journée de la PNS du 08/10/2024.
18 Mathilde Majois, « Épuisement émotionnel du travailleur social : comment le prévenir et le reconnaître ? », dans pro.guidesocial.be, 03/09/2024 (page consultée le 19/12/2024).
19 Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail.
20 Arrêté royal du 10 avril 2014 relatif à la prévention des risques psychosociaux au travail.
21 « Politiques de prévention et obligations légales » (dans www.jemesensbienautravail.be).
22 Agence fédérale des risques professionnels, « Projet pilote burn-out : synthèse des résultats », avril 2024, dans www.fedris.be (page consultée le 19/12/2024).
23 Communiqué de presse du 31 janvier 2024 (dans vandenbroucke.belgium.be).
24 « Fedris prend à sa charge le coût des séances, des réunions et des rapports décrits dans le trajet d’accompagnement, ainsi que les frais de déplacement du travailleur (www.fedris.be). »
25 « L’arrêté royal du 6 mars 2024 précise qu’il s’agit de permettre « le maintien au travail ou le retour au travail de ces travailleurs, dans l'objectif de limiter les risques et les conséquences d'un arrêt de longue durée (Arrêté royal du 6 mars 2024 concernant les programmes de prévention des douleurs lombaires et du burn-out) ».
26 Belga, « Les mutuelles perdent 1,2 million en raison des congés de maladie de longue durée », dans www.rtbf.be, 14/12/2024 (page consultée le 19/12/2024).
27 Analyse rédigée par Olivier Monseur.
Termes & Conditions
S'abonner