Analyse 2025-02
Le 26 octobre 2024 a eu lieu le Salon des Familles monoparentales à Namur1, qui rassemblait de nombreux acteurs spécialisés. Parmi eux, les Relais Familles Mono organisaient le 17 décembre une journée d’étude sur le même sujet. Couples et Familles était présente aux deux évènements. En écoutant les familles et les différents services, nous avons pu nous rendre compte de la détresse de ces familles « hors norme », mais aussi de la diversité de leurs situations et de la complexité d’une approche statistique ou administrative.
Or, le futur gouvernement pourrait être amené à créer un « statut de famille monoparentale2 » qui pourvoirait aux besoins spécifiques de ces familles, nombreuses et lésées. En quoi consisterait-il et serait-il en mesure de satisfaire à tant de situations particulières ? Couples et Familles analyse ce projet de statut et tente, au préalable, d’en définir l’objet mouvant.
Définitions
Famiwal déclare qu’on est famille monoparentale si l’on vit seul.e – ou en compagnie d’un parent jusqu’au 3e degré – avec un ou plusieurs enfants pour lesquels on reçoit des allocations familiales. Un supplément social est alors octroyé automatiquement ; un parent d’accueil isolé aux revenus réduits en bénéficie également3. La Ligue des Familles rappelle qu’il existe des situations où les coparents assument égalitairement leurs obligations, et d’autres où un parent les assume seul4. Ajoutons que certains parents peuvent se sentir abandonnés par un conjoint démissionnaire et vivre une expérience solitaire de leur parentalité. Le terme « parent solo » désigne cette réalité, bien qu’il soit plus souvent utilisé comme synonyme de « parent mono »5.
Couples et Familles voit deux défis qu’un statut officiel devrait relever en premier lieu. D’abord définir avec précision, de manière univoque et au goût du jour la notion de famille monoparentale en incluant toutes les situations possibles. Ensuite, mettre en place des aides spécifiques qui répondent aux différentes situations, sans faire entrave aux autres droits relatifs à la situation économique individuelle du parent.
Quelques chiffres
Dans la constellation des configurations familiales, les familles monoparentales sont de plus en plus représentées. Une étude du Centre Jean Gol indique que la proportion de familles monoparentales belges serait passée de 14% à 25% entre 1991 et 20146. Pour l’année 2019, Statbel permet d’évaluer qu’elles représentent environ 18% des familles7. En 2021, d’après Eurostat, la proportion des foyers monoparentaux en Belgique approche des 20%, notre pays se classant septième derrière la France8. En vérité, nos statistiques ont du mal à évaluer avec précision leur nombre. Car, selon que les chiffres incluent ou non les situations de gardes alternées, il sera surévalué ou sous-évalué9.
Comment l’on devient famille mono ?
L’augmentation constante de ce type de configuration familiale remonte aux années 1960 mais a pris un coup d’envol après la loi du 27 avril 2007 qui a mis fin au divorce « pour faute » rendant celui-ci plus commode. Cela dit, nul besoin d’être mariés pour se séparer alors qu’on a des enfants en commun. Il existe aussi des situations où les enfants sont orphelins d’un parent, des situations de veuvage, d’emprisonnement, d’hospitalisation… créant une situation temporaire ou pérenne de monoparentalité10. Dans les familles pauvres, les pères fuient souvent le foyer familial face à l’incapacité de faire face aux difficultés économiques11. Enfin, une minorité de mamans qui peuvent se le permettre financièrement fondent une famille sans être en couple, en recourant à la PMA12.
Par ailleurs, les cheffes de familles monoparentales sont très majoritairement des femmes. Les chiffres se basant sur la domiciliation des enfants parlent de 85% de femmes. Ceux incluant les gardes alternées parlent plutôt de 65% d’enfants dont la mère a la garde principale et de 25% d’enfants en garde alternée égalitaire13. Dans les deux cas, il est nécessaire d’en faire un combat féminin : les femmes étant davantage exposées aux risques de précarité, à la surcharge de travail domestique et à la responsabilité de l’éducation et du soin des enfants. L’entrée en monoparentalité amplifie la plupart du temps ces difficultés spécifiques.
Quelles difficultés ?
À Namur, lors du Salon des Familles monoparentales, Couples et Familles a récolté les témoignages d’une vingtaine de parents. Nous leur avons demandé d’exprimer en un mot leur monoparentalité : « difficulté » et « solitude » ont été redondants, suivent les notions de charge mentale et de combativité. Ensuite, un mini-sondage14 nous a appris qu’un parent solo15 sur deux éprouve souvent, voire toujours, des difficultés à payer ses factures et que plus de 50% des répondants ne reçoivent jamais ou quasi-jamais la pension alimentaire qui leur est due ; les sondés expriment aussi des difficultés à obtenir des aides, à se soigner ou à trouver un logement. En outre, plus de 30% des répondants concèdent qu’il est toujours ou souvent difficile de saisir des opportunités professionnelles.
Mais ces parents connaissent des difficultés autres qu’économiques : un sur deux se sent toujours submergé par les tâches ménagères ; plus de 50% admettent se sentir parfois déprimés ; deux tiers regrettent de ne pas pouvoir accorder autant d’attention que souhaitée à leurs enfants ; plus de la moitié déclarent ne pas avoir assez de temps pour soi, se sentir régulièrement épuisés et seuls. L’une des mamans écrit : « Je n’arrive pas à me faire de nouvelles connaissances en dehors de mon rôle de maman ». Certaines associent le manque d’occasion de voir du monde au manque d’argent.
L’étude bien plus complète des Relais Familles Mono16 (structures nées en réponse à l’urgence monoparentale) corrobore ces résultats, mais insiste sur les difficultés d’accès au logement, liées notamment à la précarité d’emploi, et sur les contextes récurrents de violences intrafamiliales et de violences institutionnelles à l’égard des femmes, qui mènent parfois au non-recours à l’aide sociale et participent à la perte d’estime de soi.
Statut de famille monoparentale : pour qui, pour quoi ?
Tout d’abord, il faut savoir que les familles monoparentales ont déjà droit à une série d’aides, parfois déjà spécifiques, compilées dans « Le Guide des parents solos ».17
Un statut officiel permettrait de systématiser ces aides, d’en rationaliser certaines et d’en appliquer de nouvelles. Il pourrait s’agir, par exemple, d’automatiser le paiement des pensions alimentaires sans passer par le SECAL18 et de réduire le coût des titres-services plutôt que d’en augmenter la quantité d’achat maximale comme c’est déjà le cas19. Des aides pour soulager la (sur)charge de travail domestique ou faire garder les enfants devraient être octroyées systématiquement. D’autres aides seraient évaluées au cas par cas, comme le supplément d’allocation en fonction des revenus20.
Cela implique de s’entendre sur une définition claire et la plus inclusive possible21. Pour Couples et Familles, il n’y a pas lieu de traiter différemment les parents qui choisissent la monoparentalité de ceux qui la subissent. Ni de discriminer les parents dont la séparation est gérée à l’amiable.
Néanmoins, la garde alternée égalitaire (30% des familles séparées22) pose question. Sondés lors de la journée d’étude23, 23% d’une trentaine de votants ont estimé qu’un éventuel statut devrait aussi s’appliquer à ces situations, mais que les aides financières pourraient être ajustées au temps de garde, tandis que des aides matérielles pourraient être accordées sans distinction. Selon l’IWEPS, « les enfants en garde partagée égalitaire ont en moyenne un niveau de vie proche des enfants de parents non séparés24 » : nécessitent-ils les mêmes aides ? Une proposition de loi sur les parents isolés en France exclut de sa définition les gardes alternées25. Couples et Familles ne pense pas qu’il faille exclure, mais plutôt ajuster.
Les familles recomposées interrogent autant : 67% des votants pensent que la remise en couple d’un parent isolé ne doit pas priver brutalement le parent ni l’enfant de leurs droits. Ce qui ravive le débat sur la reconnaissance des beaux-parents et confirme l’obsolescence du statut de cohabitant, facteur aggravant de précarité puisqu’il diminue le RIS et le chômage.
Pour terminer, il serait judicieux de renforcer les réseaux des parents les plus isolés, qui pourraient aussi compter les uns sur les autres. Par exemple, en séjournant dans des habitats collectifs dédiés, comme il en existe en France26, lesquels permettent de répartir le coût du loyer, de partager les tâches ménagères quotidiennes et de briser la solitude. Des « chèques-sorties » pourraient permettre de sortir boire un verre et rencontrer du monde sans trop dépenser d’argent.
Couples et Familles plaide pour une politique du lien social et une réforme administrative de la norme familiale, que les besoins de tous soient pris en compte.27
1 Salon des Familles parentales, organisé par Relais Familles Monos et la Plateforme namuroise du social.
2 « Parents solos mais pas seuls : réduire la précarité des familles monoparentales », issu du projet de société des Engagés.
3 Famiwal, « Vous êtes une famille monoparentale », dans www.famiwal.be, 22/05/2024 (page consultée le 26/12/2024).
4 La Ligue des Familles, « Familles monoparentales invisibles : les politiques publiques auxquelles elles n’ont pas droit », dans liguedesfamilles.be, 07/05/2023 (page consultée le 27/12/2024).
5 Selon la définition de l’Unaf, équivalent français de la Ligue des Familles.
6 Violaine Herbaux et Siméon Ndaye, « Les familles monoparentales, un défi de société à relever », dans www.cjg.be, 2019 (page consultée le 24/12/2024).
7 Statbel, « Les personnes seules et les familles monoparentales représentent 45% des ménages belges », dans statbel.fgov.be, 14/02/2020 (page consultée le 24/12/2024).
8 Eurostat, « How many single-parent households are there in the EU? », dans ec.europa.eu, 01/06/2021 (page consultée le 24/12/2024).
9 Lotte Damhuis et Charlotte Maisin, « Être femme, précaire et parent solo en Wallonie », Fédération des Services Sociaux, 2024, p. 18-19. En ligne sur : www.fdss.be.
10 Ibid.
11 Antony Artigas, cité dans Isabelle Bontridder, « La parentalité peut-elle résister à l’épreuve de la précarité ? », analyse de Couples et Familles, 2011/10 (page consultée le 27/12/2024).
12 Quand ce choix est volontaire, les Québécois parlent de « soloparentalité », qu’ils opposent à la situation involontaire de « monoparentalité » : voir la définition de l’Office québécois de la langue française.
13 Lotte Damhuis et Charlotte Maisin, op. cit. : 9.
14 Sondage réalisé par Couples et Familles. Le sondage suit son cours et des résultats mis à jours seront détaillés dans notre prochain dossier n°151 : « Comment trouver du temps pour soi quand on est à la tête d’une famille monoparentale ? », à paraître en mars 2025.
15 L’âge moyen de ces parents est de 42 ans, avec un minimum de 32 ans et un maximum de 53 ans. La majorité ont 2 enfants ou plus. Un seul papa a répondu au sondage. Les mamans l’ont été pour la première fois entre 17 et 39 ans. Leurs enfants sont âgés entre 3 et 25 ans (6 enfants de 18 ans et plus étant répartis sur 3 familles).
16 Lotte Damhuis et Charlotte Maisin, op. cit. : 9.
17 « Le Guide des parents solos » : en ligne sur : www.fdss.be.
18 Service des créances alimentaires.
19 « Le Guide des parents solos », p. 31 (17).
20 La proposition des Engagés pour « réduire la précarité des familles monoparentales » suggère que « le supplément de « famille monoparentale » dans les allocations familiales sera accordé à toutes les familles dont le revenu est inférieur à 45.000 €, contre 31.000 € actuellement ».
21 À titre d’exemple, une proposition de loi française récente (25) définit le « parent isolé » comme « une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire assumant la charge d’un ou de plusieurs enfants, ou une femme seule en état de grossesse ayant effectué la déclaration de grossesse et les examens prénataux, qui ne vit pas en couple de manière notoire (...) ».
22 La Ligue des Familles, « Un statut pour les familles monoparentales ? Quels enjeux ? », atelier participatif animé à Namur lors de la journée d’étude du 17/12/2024.
23 Sondage animé à Namur lors de la journée d’étude du 17/12/2024 par La Ligue des Familles et le Centre d’appui Relais Familles Mono pour le module « Un statut pour les familles monoparentales ? Quels enjeux ? ».
24 Evelyne Istace, « Monoparentalités : quelles réalités pour leurs enfants et leurs parents ? », communiqué de l’IWEPS, dans www.iweps.be, 11/10/2024 (page consultée le 27/12/2024).
25 « Proposition de loi d’octobre 2024, visant à renforcer l’autonomie des familles monoparentales et rendre leurs droits effectifs ».
26 Voyez par exemple https://commune.house : « Chez Commune, notre mission est d’offrir une solution de logement et de services clé-en-main et accessible pour les familles monoparentales ».
27 Analyse rédigée par Olivier Monseur.
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