Analyse 2025-03

Couples et Familles confronte la politique d’amélioration du climat scolaire aux réalités des parents d’élèves impliqués dans une situation de harcèlement scolaire.

Harcèlement scolaire et cyberharcèlement prennent de l’ampleur. Un Observatoire du climat scolaire est désormais chargé d’assurer une veille scientifique, d’informer et d’outiller les intervenants concernés et d’en renforcer les réseaux. Depuis la rentrée 2023-2024, 239 écoles expérimentent une « nouvelle politique structurelle d’amélioration du climat scolaire et de prévention du (cyber-)harcèlement1 » via un programme-cadre sur 4 ans. Il vise à leur conférer un cadre de référence commun et attend d’elles des actions concrètes. Pour être éligibles, les écoles doivent, entre autres, « démontrer la volonté des parents à s’investir dans la mise en œuvre du programme-cadre2 ». Couples et Familles a voulu savoir où en est l’implication des parents d’élèves dans la lutte contre le harcèlement scolaire.

Harcèlement scolaire ?

Le délit de harcèlement scolaire est défini comme « un ensemble d’actes violents, répétés et délibérément dirigés contre une ou plusieurs victimes » dans le but de faire rire ou de nuire à leur réputation dans l’enceinte scolaire ou via les réseaux sociaux (cyberharcèlement). Il se caractérise par une relation le plus souvent psychologique et des actes volontaires causant du tort. Il peut prendre une forme physique, morale, sexuelle ou matérielle.3

Sachant que l’école « éduque au devoir de proscrire la violence4 » et que le CPMS doit apporter aide et protection à l'enfant victime ou suspecté de l’être5, il est inadmissible qu’un enfant sur trois soit impliqué dans une situation de harcèlement scolaire.6

S’il alimente la sphère médiatique, le harcèlement scolaire serait trop peu l’objet d’études scientifiques. De plus, certains cas de figure semblent mis de côté : le harcèlement impliquant des membres de l’équipe éducative est moins connu que le harcèlement entre élèves. Enfin, l’attention est focalisée sur la victime. Le vécu des harceleurs, des témoins ou des parents d’enfants impliqués demeure méconnu7. Une faille susceptible de desservir la prévention et la mise en place de solutions.

Les difficultés des parents face au harcèlement scolaire

Les parents sont en première ligne face aux dangers qui menacent la santé mentale et physique de leur enfant. L’anxiété des enfants impliqués dans une situation de harcèlement est palpable à la maison mais non forcément identifiée comme telle.8 Une prise de conscience dépend notamment du climat de confiance entre les parents et l’enfant impliqué : va-t-il se confier spontanément ou, au contraire, s’enfermer dans le mutisme ? Par crainte d’être jugé, d’inquiéter ses parents, de subir des représailles ou par manque d’information, seulement 5 à 15% des victimes osent parler à un adulte 9, 10. Or, l’exercice de la protection parentale serait plus efficace quand l’enfant se sent libre de partager son ressenti11.

Il y a donc une première difficulté dans le giron familial qui est celle de la communication et de la confiance entre parents et enfants. De plus, au-delà du dialogue intrafamilial, la démarche pour le parent d’interpeler l’école sur une situation de harcèlement n’est pas anodine.

Premièrement, dans une société normative et compétitive qui met la pression à être un bon parent, ce dernier peut se sentir coupable d’avoir été « déficient » et craindre le jugement12. Cette peur se justifierait-elle dans les témoignages de parents faisant état d’une forme de condescendance de l’école vis-à-vis d’eux13 ? Deuxièmement, certains parents peuvent être englués dans une sorte de trauma, car la situation de l’enfant réactive leur passé infantile14. Troisièmement, les parents peuvent aussi craindre un envenimement de la situation15. Cela s’expliquerait-il par un manque de confiance en les capacités de l’école à traiter ces situations ? Enfin, divers obstacles peuvent freiner la prise de contact : les différences d’horaires de travail, des contrariétés liées aux transports, ou encore la barrière de la langue16.

Une seconde difficulté majeure réside donc dans la relation parents-école. Deux forces qui, au lieu de s’allier, peuvent s’ignorer ou s’opposer. Or une relation positive entre parents et école favorise l’intégration scolaire et joue un rôle important dans la prévention du harcèlement.17

Ce qu’on attend des parents

Notre société attend des parents qu’ils veillent au bien-être de l’enfant. Mais quand l’environnement scolaire cesse d’être sain, attend-on d’eux qu’ils « volent au secours » de leur enfant ? Parmi ceux qui s’y essayent, nombreux témoignent d’embûches, critiquant une direction qui nie18, minimise19 les faits ou se révèle impuissante20. Si bien que la seule option est de changer la victime d’école tandis que l’auteur y demeure. Un sentiment d’injustice plane tandis que le harcèlement scolaire est banalisé et que les relations parents-école semblent se dégrader.21

Du point de vue des écoles, le rôle du parent se résume souvent à devoir alerter l’équipe éducative des difficultés éprouvées par son enfant et à attendre d’être informé.22

Le programme-cadre va dans ce sens. Les écoles qui y participent invitent les parents à des séances d’information. Nous étions présents à l’une d’elles. Pour une école de plus de 1000 élèves, seuls 3 parents sont venus. L’école a surtout fait l’étalage des outils déjà déployés pour lutter contre le harcèlement, sans perspective critique. Les séances qui devaient suivre n’ont pas eu lieu. Si cette école met effectivement en place des solutions avec les élèves, et c’est tout à son honneur, les parents ne s’y investissent nullement. Ceux-ci ne le désirent-ils ou ne le peuvent-ils pas ? Sont-ils si bien informés ? S’en remettent-ils, sciemment ou par dépit, à l’école ? Cette dernière ne veut-elle ou ne peut-elle impliquer davantage les parents, même s’ils le souhaitent ? Des questions auxquelles le programme-cadre ne répond pas. Nous ignorons si les autres écoles ont drainé un plus grand nombre de parents.

Les organismes de soutien à la parentalité recommandent aux parents de suivre une procédure : écouter l’enfant, l’informer, renforcer sa confiance, demander de l’aide et mettre en branle l’équipe éducative, mais aussi rassembler des preuves, porter plainte, monter un dossier 23, 24. Les textes consultés ne les invitent pas à prendre part active en synergie avec l’école. Les comités de parents se font les relais de ce discours, renforçant une sorte « d’action passive ». La FAPEO appelle tout au plus les parents à se réunir pour briser la solitude et interpeller le Pouvoir organisateur avec plus de poids.25

Comment améliorer le lien parents-école ?

Le Pacte d’excellence entend utiliser les Centres PMS comme intermédiaires. Une enquête menée en 2018 à Libramont y était consacrée. Elle constate un manque de contact direct, et de moyens de contact, entre CPMS et parents. Elle remarque aussi que « les liens de confiance entre parents et CPMS ne sont pas suffisants pour atteindre des résultats importants » ; pointant par ailleurs un turn-over fréquent dans le personnel des CPMS. Enfin, pour certaines familles de milieux défavorisés, faire appel à des structures externes à l’école (plus familière) peut constituer un obstacle. Le contact direct avec l’école serait-il à privilégier pour ces familles ? L’enquête, elle, part du principe qu’il y a lieu « d’inciter les parents à contacter les CPMS » : en renforçant la visibilité de ces derniers, en améliorant la communication école-CPMS-parents, grâce à la plateforme électronique Smart School, mais aussi en comptant sur les enseignants.26

Pour une action parents-école

Parents et écoles semblent être deux mondes difficiles à réunir, et être coresponsables de cette difficulté. Cependant, Couples et Familles souhaite dénoncer un manque d’initiative politique pour favoriser leur rencontre et une alliance éducative constructive. Ce qui est demandé aux parents est de lire plus de brochures, d’activer plus d’intervenants spécialisés avec plus de contraintes administratives. Si elle salue la volonté du gouvernement de renforcer les moyens de lutte contre le harcèlement scolaire, Couples et Familles s’insurge de ne pas voir émerger davantage de solutions pour améliorer et encourager la relation parents-écoles, dans la mesure où celle-ci est déterminante pour une scolarisation sereine. Chaque commune pourrait organiser, le weekend, des « salons prévention » où les équipes éducatives et l’aide à la jeunesse locales discuteraient librement du climat scolaire avec parents et élèves. En outre, une enquête exhaustive auprès de tous les parents d’élèves permettrait de cibler leurs difficultés et attentes, dont on fait finalement peu cas. À charge du Ministère de l’Enseignement et des directions d’école d’adapter le programme-cadre en fonction des résultats.27

 


 

1 Ministère de l’Enseignement, « Nouvelle politique structurelle d’amélioration du climat scolaire et de prévention du (cyber)harcèlement », dans www.enseignement.be, [c. 23/04/2023] (page consultée le 30/01/2025).

2 Décret du 27/04/2023 relatif à l'amélioration du climat scolaire et à la prévention du harcèlement et du cyberharcèlement scolaires.

3 Justifit, « Harcèlement scolaire : quelles sont les sanctions applicables ? », dans www.justifit.be, 26/12/2024 (page consultée le 31/01/2025).

4 Article 8 du Décret du 24/07/1997 définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire.

5 Article 3 du Décret du 12/05/2004 relatif à l'Aide aux enfants victimes de maltraitance.

6 Pacte pour un enseignement d’excellence : « Le climat et le bien-être à l’école » (page consultée le 30/01/2025).

7 Maxime Cornet, « Harcèlement entre élèves et vécu parental », mémoire en Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, Université catholique de Louvain, 2022. En ligne : https://dial.uclouvain.be.

8 Ibid.

9 Ibid.

10 Le CEF et Infor Jeunes Laeken, « Harcèlement : que dit la loi ? », dans inforjeunes.eu, [c. 2/10/2017] (page consultée le 31/01/2025).

11 Maxime Cornet, op. cit. : 7.

12 Bénédicte Loriers, « Le harcèlement scolaire vu par le prisme parental », analyse de l’UFAPEC, dans www.ufapec.be, 11/2016 (page consultée le 30/01/2025).

13 France De Staercke, « Harcèlement et humiliations scolaires : et si chacun prenait ses responsabilités ? », analyse de la FAPEO, dans www.fapeo.be, 2021/1 (page consultée le 30/01/2025).

14 Lucia Caballero, « Les parents à l’épreuve du harcèlement scolaire », dans theconversation.com, 04/11/2024 (page consultée le 30/01/2025).

15 Amira Karray (2020) citée dans Maxime Cornet, op. cit. : 7.

16 Deslandes (2006) cité dans Maxime Cornet, op. cit. : 7.

17 Maxime Cornet, op. cit. : 7.

18 Témoignage anonyme d’une maman d’élève interrogée à une séance d’information sur le programme-cadre.

19 Sandra Durieux, « Il m’a dit : Maman, je n’en peux plus, je pense au suicide », dans www.lesoir.be, 23/06/2023 (page consultée le 30/01/2025).

20 Charlotte Legrand, « Le harcèlement a duré 6 mois. Personne n’a dit stop. J’ai fini par changer d’école », dans www.rtbf.be, 04/11/2024 (page consultée le 30/01/2025).

21 Laurie, « Les écoles vous mentent, vos enfants ne sont pas en sécurité », dans sosharcelementscolaire.com, 23/06/2022 (page consultée le 31/01/2025).

22 Ministère de l’Enseignement, « Guide pratique Parents-École : comment mieux connaître l’école et s’y impliquer ? », dans www.enseignement.be, 10/2014.

23 Parentia, « Que faire quand votre enfant est victime de harcèlement scolaire ? », dans www.parentia.be, s. d. (page consultée le 31/01/2025).

24 Réseau Prévention Harcèlement, « Feuille de route : Parents », dans www.le-rph.be, s. d. (page consultée le 30/01/2025).

25 France De Staercke, op. cit. : 13.

26 Pacte pour un enseignement d’excellence, « Comment favoriser des relations plus étroites entre parents, écoles et CPMS ? », dans pactepourunenseignementdexcellence.cfwb.be, [c. 31/05/2018] (page consultée le 30/01/2025).

27 Analyse rédigée par Olivier Monseur.

 

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