Analyse 2025-04
La nouvelle offre tarifaire de la SNCB suscite des inquiétudes surtout pour les seniors, les jeunes, les familles nombreuses et les travailleurs : celles-ci sont-elles fondées ?
Débattu et approuvé lors de la précédente législature, le contrat de service public (2023-2032) entre l’État belge et la SNCB annonce une révision de l’offre tarifaire de la société « de manière à augmenter l’attractivité du train, à stimuler le shift modal [transfert de parts de marché du secteur automobile vers le ferroviaire] et à augmenter le nombre de voyageurs et leur fréquence de voyage.1 » En d’autres termes, il s’agit d’inciter à prendre le train en dehors des heures de pointe au nom de la transition écologique. Pour atteindre ces objectifs (hausse de 30% de passagers d’ici 2032), la SNCB prévoit de nouveaux tarifs attractifs. Lesquels n’ont été détaillés que récemment sur le site de la compagnie, pressée par des navetteurs inquiets2. Et pour cause, début 2024, la SNCB avait annoncé la fin prochaine des classiques Youth Multi, Senior ticket et carte de réduction famille nombreuse ! Couples et Familles examine l’état actuel des choses.
La fin des classiques
C’est une annonce qui avait fait trembler les jeunes, les seniors et les familles nombreuses, soutenus notamment par la verve militante de la Ligue des Familles et du « Gang des Vieux en Colère ». Mais il faut s’y faire, la fin des réductions traditionnelles pour ces publics spécifiques est actée. La fin ? Pas tout à fait si l’on en croit la SNCB : cette dernière a en effet présenté de « nouvelles formules avantageuses3 » et assure que « prendre le train sera plus simple pour tout le monde ». L’ex-Ministre de la mobilité Georges Gilkinet (Écolo) clamait il y a un an : « il n’y aura que des gagnants !4 ». Mais malgré ces discours rassurants, la pilule a du mal à passer. Les navetteurs concernés craignent une nette hausse des tarifs5.
Focus sur la nouvelle offre tarifaire de la SNCB
L’idée est de conserver le tarif de base à l’aller (tarif adulte actuel) sur lequel s’appliqueront diverses réductions6. Par exemple, les groupes de minimum quatre voyageront pour 40% de moins (60% au-delà de 14) et les adultes auront droit à 30% les weekends et jours fériés. De plus, les jeunes, les seniors et les BIM bénéficieront d’une réduction de 40% y compris en première classe. Mais comparons plus avant la nouvelle offre avec l’ancienne.
Le tarif standard actuel d’un aller-retour de type Liège-Bruxelles est de 36,60€ en 2e classe. Les seniors profitant actuellement des heures creuses, des weekends ou jours fériés, ne déboursent, pour ce même aller-retour, que 8,50€ (75% du tarif standard). Les jeunes peuvent l’obtenir pour 15,40€ (55%) ou le prépayer 12,40€ (65%) grâce au Youth Multi, valables n’importe quel jour ou heure. Une famille nombreuse de deux adultes et trois enfants, dont deux de moins de 12 ans, en aurait pour 55€ si le jeune prend un Youth ticket, 52€ s’il utilise un Youth Multi, les adultes profitant de la réduction de 50% encore en vigueur.7
Les navetteurs non concernés par ces réductions spécifiques paient cher le ticket. Pour exemple, une famille de deux adultes et deux enfants, dont un de moins de 12 ans, paie son aller-retour Liège-Bruxelles plus de 80€. Un déséquilibre qui mérite d’être ajusté.
Selon la nouvelle offre, jeunes et seniors bénéficieraient d’une réduction de 40% : l’aller-retour leur coûterait donc 23,20€. En l’état, le tarif jeune augmenterait de 50 à 85% et le tarif senior bondirait de 170%… Le tarif mini-groupe n’étant pas clair, on ne peut qu’estimer la hausse du coût pour la famille nombreuse à minimum 25%. On comprend que la panique ait pu gagner les rangs.
Piochez une carte chance : « Payez 48€ »
Récemment, la SNCB a levé le voile sur sa nouvelle « Carte avantage » nominative très avantageuse, offrant encore plus de réductions. Avec elle, les adultes auront droit à 40% les heures creuses, weekends et jours fériés. Là où les jeunes, les seniors et les BIM bénéficieront d’une réduction de 40% supplémentaire ; mieux encore, l’aller sera pour eux plafonné à 5,50€. Un aller-retour Liège-Bruxelles, quand que ce soit, ne leur coûtera donc pas plus que 11€.
D’après le « Gang des Vieux en Colère », l’obtention de ce plafond est « un premier succès » dû « à la mobilisation (…) menée depuis deux ans avec d’autres associations ». Mais ce qu’ils qualifient de « net recul » leur paraît « insuffisant ». De son côté, la Ligue des Familles annonce que « des contacts sont en cours » et parie sur « de bonnes nouvelles d’ici la fin de l’année8 ».
Pourquoi est-ce « insuffisant » ? En vérité, la fameuse « Carte avantage » ne sera pas gratuite. Elle coûtera 6€ par mois ou 48€ l’année – un tarif réduit de 4€ par mois ou 32€ l’année est prévu pour les jeunes, les seniors et les BIM. C’est là que le bât blesse. Dans la mesure où la SNCB compte sur une nette augmentation du nombre de passagers, son intérêt est de récompenser les clients réguliers et de pousser les indécis à la consommation. Les navetteurs occasionnels seront pénalisés, et même les globe-trotteurs bénéficiant des tarifs spéciaux actuels ne retrouveront pas l’équivalent de leurs avantages, à moins d’une bonne surprise suite aux négociations…
Et Monsieur et madame Tout-le-Monde dans tout ça ?
Avec la Carte avantage, les adultes non BIM pourront aussi bénéficier de réductions sur le tarif standard : 40% en heures creuses et 40% supplémentaires les weekends et jours fériés. Autre bonne nouvelle, l’aller en 2e classe sera plafonné à 14€. L’escapade Liège-Bruxelles reviendrait donc à ce prix-là, contre 18,30€ actuellement. Une économie tempérée par le coût de la Carte avantage.
Et quand on voyage beaucoup ? En vérité, ceux qui transitent régulièrement, travailleurs et étudiants, garderont l’abonnement. Quels avantages gagneront-ils en échange de leur fidélité ? La SNCB semble vouloir appâter avant tout « monsieur et madame Loisirs »… Mais l’État va-t-il octroyer davantage de congés payés pour prendre le train plus souvent aux heures creuses ? Certains employeurs offriront-ils la Carte avantage à leurs travailleurs ?
Le Conseil central de l’économie anticipe l’éventuel échec de cette refonte et s’inquiète de ce qu’elle conduise à une hausse des tarifs d’abonnements domicile-travail : il dénonce la baisse de la distance maximale tarifée de 150 km à 120 km9, dans la mesure où elle pourrait bien être rééquilibrée par une hausse des tarifs sur les trajets inférieurs à 120 km10. Cela aurait un impact significatif sur le remboursement des déplacements par l’employeur. En outre, le CCE critique sans détour une stratégie risquée où les tarifs croissent tandis que la qualité du service diminue.11, 12
Qui perd gagne
Il est clair qu’une réforme tarifaire était nécessaire. Mais après analyse, on comprend que les avantages acquis au fil des décennies pour les usagers fragilisés sont en passe d’être dissous dans la logique compétitive d’une société nationale en mal d’attractivité et de rentabilité. À quand de véritables avantages sans arrière-pensée consumériste ? Couples et Familles regrette, par exemple, une Carte avantage nominative et préférerait que toute la famille puisse en profiter.
Si la SNCB réussit son pari, ce sera surtout grâce aux voyageurs susceptibles de s’offrir du temps libre et des activités de loisir. Ce ne seront probablement ni les 36% des étudiants en situation de précarité objective13, ni les nombreux pensionnés dont la santé physique et financière déclinent de concert avec l’âge14. Rappelons, par ailleurs, que les plus de 65 ans sont la tranche d’âge de la population la plus exposée (17,9%) au risque de pauvreté, suivie de près par les jeunes de 16-24 ans (16,9%)15. Enfin, la SNCB pourra-t-elle encore compter sur les familles nombreuses, de plus en plus en proie aux difficultés budgétaires16 ? À moins qu’elle ne mise sur ces travailleurs modernes qui sacrifient leur revenu au profit d’un jour de répit par semaine ?
Pour atteindre ses objectifs, la SNCB semble mépriser les publics qui exigent des tarifs plus abordables (rabotant leurs avantages au possible pour n’offrir que des miettes à ceux qui en sont pour le moment dépourvus). Paradoxalement, le cumul de réductions semble être sa seule option pour attirer du monde. En résulte une stratégie risquée qui pénalisera fortement les plus défavorisés tout en désespérant de stimuler de nouveaux publics.
Cela dit, la survie d’une société nationale de transports en commun ne devrait pas dépendre exclusivement des usagers. Lesquels sont habitués à culpabiliser de rouler en voiture et sont incités de toutes parts à vendre leur temps libre contre leur propre argent. L’État devrait mieux défendre et financer les intérêts des voyageurs en appuyant les revendications des associations qui combattent inlassablement pour leurs droits et leur dignité.
Quand, vraiment, n’y aura-t-il « que des gagnants » ?17
1 Contrat de service public (2023-2032) entre l’État belge et la SNCB, p. 21. En ligne : mobilit.belgium.be.
2 Belga, « ‘La SNCB ne semble pas vouloir comprendre’ : une association de navetteurs en colère ce lundi », dans www.lesoir.be, 27/01/2025 (page consultée le 24/02/2025).
3 « La future offre tarifaire de la SNCB », dans www.belgiantrain.be, s. d. (page consultée le 21/02/2025).
4 Kevin Dero et Danielle Welter, « ‘Il n’y aura que des gagnants !’: Georges Gilkinet (Ecolo), plein d’entrain, justifie les nouveaux tarifs de la SNCB », dans www.rtbf.be, 13/02/2024 (page consultée le 21/02/2025).
5 Voyez, par exemple, les commentaires sous la publication Facebook de RTBF Info du 14/02/2025.
6 Au 1er février 2025, le tarif pour un trajet de 101 à 105 km est de 18,30€. Ce tarif comprend d’une part des frais fixes (1,496 TVAC pour les trajets en 2e classe) et le coût au kilomètre. Les pourcentages ne s’appliquent que sur le coût au kilomètre, soit ici 16,804€. Ainsi, pour le tarif mini-groupe, nous ferons 40% de 16,804 (10,08€) auxquels on rajoute les frais fixes (1,496€) pour un total de 11,58€ TVAC (6%) arrondis au supérieur : 10,60€. – Base de calcul : Tarifs SNCB édition 01.02.2025, en ligne : www.belgiantrain.be. Attention, si vous faites vos propres calculs, sachez que le montant des frais fixes semble être indiqué hors TVA (1,4115), il faut donc ajouter 6% (1,496) pour tomber au plus juste.
7 Coûts calculés sur www.belgiantrain.be à la date du 24/02/2025.
8 Newsletter de La Ligue des Familles du 14/02/2025.
9 La SNCB proclame en effet à propos de sa nouvelle offre tarifaire : « Voyagez à toute heure avec le tarif standard. Les longs trajets seront jusqu'à 20% moins chers qu'aujourd'hui ».
10 Conseil central de l’économie, « Les adaptations tarifaires prévues pour les abonnements domicile-travail de la SNCB », avis CCE 2025-0190, 28/01/2025, p. 6. En ligne : www.ccecrb.fgov.be.
11 Ibid., p. 3.
12 K. D. et Belga, « Les nouveaux tarifs de la SNCB critiqués par le CCE et le CNT », dans www.7sur7.be, 18/02/2025 (page consultée le 25/02/2025).
13 Inforjeunes, « Précarité étudiante : des dizaines de milliers de jeunes Belges touchés », dans inforjeunes.be, 14/01/2022 (page consultée le 25/02/2025).
14 Katte Ackaert, et al., « Profil de santé de nos aîné∙es », analyse de la Mutualité Chrétienne, dans Santé et société, n°9, 07/04/2024. En ligne : presse.mc.be.
15 Enquête EU-SILC 2022, 20/03/2023, p. 6. En ligne : www.luttepauvrete.be.
16 Manon Legrand, « Familles nombreuses : une espèce en voie de disparition ? », analyse d’Alter:échos, dans www.alterechos.be, 22/05/2024 (page consultée le 25/02/2025).
17 Analyse rédigée par Olivier Monseur.
Termes & Conditions
S'abonner