Analyse 2007-26

La question du créationnisme, débattue tant aux Etats-Unis qu’en Europe et dans le monde musulman, a permis de reposer des questions éducatives pour les familles qui veulent vivre en référence à une foi religieuse. Comment peut-on articuler une foi religieuse et une approche rationnelle de l’univers et de l’existence ?

 

Foi et croyances


Dans les familles qui bâtissent leur vie de couple et leur éducation en référence à la foi au Dieu de Jésus-Christ, des questions que l’actualité met soudain en exergue, par le biais d’un événement mis en avant pas les médias, et qui posent des problèmes de rapport à leurs croyances. Ainsi de la question du créationnisme, vedette médiatique récurrente au cours des derniers mois et dont il est question par ailleurs dans l’analyse intitulée « Face aux campagnes créationnistes ».


La présente analyse vise, au départ de l’exemple du créationnisme, et dès lors en corrélation avec cette analyse, des pistes éducatives à l’usage des familles. Le créationnisme y est pris comme exemple concret et révélateur, mais les réalités du contexte éducatif familial confrontent régulièrement à des dilemmes de ce genre qui, à première vue, mettent en opposition apparemment irréductible les découvertes scientifiques avec les affirmations de foi.


La distinction entre foi et croyances prend dans notre propos un sens particulier.


Croire que l’existence a un sens et que ce sens a trouvé sa dimension la plus crédible dans la vie de ce Jésus de Nazareth qui se définissait comme chemin et lumière vers une transcendance qu’il nommait Dieu et Père, c’est une question de foi.


Croire, comme tout le monde le croyait avant que Galilée ne découvre que cela n’allait pas à affirmer ensuite, même si c’est prétendument au départ de cette foi en Jésus-Christ, que le soleil tourne autour de la terre, ce n’est en rien de la foi, c’est de la pure croyance, voire de l’obscurantisme.


Cette distinction n’est pas avancée ici à la légère ou comme simple introduction à la position que « Couples et Familles » estime devoir exprimer sur cette question. Elle en est en effet le coeur même. Il faudra donc s’y référer constamment pour bien saisir ce que nous estimons et ce que nous ressentons :

  • soit comme des manifestations d’obscurantisme ou, pire encore, de manipulation des obscurantismes qui peuplent encore l’imaginaire de populations entières ;
  • soit comme des expressions de peurs face aux pertes de repères traditionnels relatifs au sens de l’existence et, dès lors, relatifs aux images que chacune et chacun se fait de sa propre destinée.


L’exemple du créationnisme


Prenons donc l’exemple du créationnisme.


Pris au sens premier, il est une manière de concevoir nos origines au départ de l’idée que la Terre, et par extension l’Univers entier, ont été créés par un être supérieur, c’est-à-dire par un être transcendant. C’est percevoir l’origine de l’univers et de l’humanité dans une « intention créatrice ». Ce récit fondateur des origines constitue la référence des trois principales religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam. C’est le double récit biblique de la création.


Sous l’angle de la foi, ce récit est bien autre chose qu’une affirmation scientifique des origines de l’univers. Le fait que, dès ses premiers chapitres, il donne deux versions de cette création, est d’ailleurs déjà une indication suffisamment claire, nous semble-t-il, de sa portée symbolique et non scientifique.


Même lorsqu’elles se fondent sur des événements historiques, les Écritures sont d’ailleurs une matière - récits et style littéraire - dans laquelle les auteurs ont pétri leurs textes, à travers des siècles peut-être, pour exprimer et imager ce qu’ils ressentaient au plus profond d’eux-mêmes comme sens de leur existence et comme tensions qui habitaient celle-ci.

Dans la Genèse plus particulièrement, elles mettent en relief :

  • une origine de la vie qui transcende la matière ;
  • la relation à cette transcendance ;
  • la tension entre désir de posséder et soif d’aimer et d’être aimer ;
  • les jalousies fraternelles ;
  • les questions que posent la transmission et le respect de la vie ;
  • et tant d’autres questions qui habitent toutes nos existences.


Pris au sens actuel que charrient les médias, le créationnisme est la crispation radicale sur une portée scientifique absolue du récit de la création tel que rapporté par la Genèse : un dieu, le Dieu des Chrétiens en l’occurrence, mais aussi des Musulmans et des Juifs, car le créationnisme trouve des adeptes dans les trois religions monothéistes, aurait effectivement créé l’univers en cinq jours, réservant le sixième à la création de l’humain, et le septième au repos.


Une telle affirmation pourra peut être sembler caricaturale, mais elle est loin de l’être, si l’on considère que les tenants du créationnisme mettent en cause, par exemple, toute la théorie de l’évolution. Sans prétendre pour autant que Darwin ait pu saisir d’emblée tous les aspects et tous les éléments de la théorie de l’évolution qu’il émettait - il y a d’ailleurs aujourd’hui plusieurs « écoles » à ce propos -, ne pas admettre aujourd’hui que la terre a connu une longue histoire dans sa formation physique, ou encore que les espèces animales ou végétales ont évolué de manière spectaculaire sur une ligne du temps qui s’étend sur des milliers d’années, c’est rejeter dans l’affabulation toutes les découvertes scientifiques des derniers siècles ... parce qu’elles bousculent des « croyances » nées de symboles érigés en certitudes physiques ou historiques.


Science et foi


Si l’on veut bien faire un pas de recul par rapport à l’histoire, cette confrontation n’est finalement qu’une manifestation contemporaine et thématique d’une opposition constante entre :

  • ce que, dans les modes d’expression de la foi - qu’elle soit chrétienne ou qu’elle se fonde sur d’autres conceptions du sens de l’existence -, se sont formulé ou se formulent des récits et des images symboliques des origines, des comportements relationnels et collectifs ainsi que des fins dernières de l’humain ;
  • et les découvertes que les humains font de leur milieu de vie et qu’ils sont amenés à reformuler et approfondir constamment.


Chacune de ces découvertes qui coïncide ou qui est tangente à une position de morale, ou encore à l’un de ces récits ou à l’une de ces images symboliques que d’aucuns considèrent comme « littéralement » intouchables, entraîne des polémiques qui mettent en conflits foi et science et donc, concrètement, des pans entiers du monde religieux et des pans non moins importants du monde scientifique. Alors, opposition irréductible entre le monde de la foi et le monde de la science ?


Opposition historique certes, puisqu’on en a rempli et que l’on pourrait encore en remplir de nombreux livres, mais erreur d’optique peut-être, tant du côté des femmes et des hommes de foi que des femmes et des hommes de science qui s’opposent.


D’abord parce que toutes et tous ne s’opposent pas. Des scientifiques de haut niveau sont restés de tous temps des croyants profonds et sincères. Quels ont donc été et quels sont les chemins de traverse qui leur ont permis d’échapper à cette opposition ?


Dans l’analyse intitulée « Face aux campagnes créationnistes », nous évoquions quatre attitudes du vivre ensemble des relations des croyances religieuses et de la science, et nous nous prononcions pour la quatrième que nous disions nous sembler la plus enrichissante, soit la complémentarité entre le discours religieux et le discours scientifique. Ils sont certes d’ordres différents, mais ils peuvent s’interpeller l’un l’autre : « L’homme ne peut pas vivre de manière schizophrénique. Les personnes qui vivent une foi religieuse doivent accepter les faits scientifiques. Mais ils doivent aussi se montrer critiques et lucides vis-à-vis du discours scientifique, chose que les scientifiques eux-mêmes ne nient pas. L’histoire des sciences le rappelle suffisamment, les théories scientifiques sont généralement provisoires et ne donnent que la vision la plus cohérente de la réalité en fonction des connaissances du moment. Mais ces connaissances progressent et remettent donc sans cesse en question les théories. Par ailleurs, la science ne dit jamais le dernier mot de l’homme, du sens de sa vie. Le discours religieux a donc aussi un rôle d’interpellation vis-à-vis de la science, de ses techniques et de ses projets. »


L’humilité, chemin de rencontre


Entre d’autres mots, mais aussi au-delà de ce constat somme toute pragmatique, ce qui oppose les discours, ce sont les itinéraires exclusifs de vérités absolues et de certitudes.
Or, nous venons de le voir, les connaissances scientifiques ne sont que des avancées qui déblaient nos ignorances pas à pas, avec des hypothèses bien plus souvent que des faits définitivement établis.


Par ailleurs, qui oserait prétendre que les convictions religieuses, même celles auxquelles nous sommes les plus attachés, sont les mots ultimes de ce en quoi nous croyons. Ce sont les chemins conjoints et les confrontations menées en synergie, entre découvertes et hypothèses scientifiques d’une part et l’approfondissement de la philosophie et de la théologie d’autre part, qui sont la véritable source de sens, pour nous-même et pour nos enfants.


Sagesse à transmettre


Une telle perspective complique-t-elle notre rôle et nos responsabilités parentales d’éducateurs ?


Notre association est convaincue que, bien loin de les compliquer, elle leur ouvre un champ de partage et de dialogue beaucoup plus enrichissant pour l’enfant, mais pour les parents et les éducateurs eux-mêmes, que leur enfermement dans des certitudes révélées et définitivement assises.


Dans l’esprit évangélique lui-même, ce sont les chercheurs de Dieu qui sont appelés à être levure dans la pâte et sel de la terre. Bienheureux, non pas ceux qui s’accrochent aux certitudes de leurs croyances, mais ceux qui se mettent en marche [1] pour humaniser l’humanité.


Chemins d’humilité des doutes et des incertitudes certes, mais du fait même, chemins d’avancée d’humanisation, en cohérence entre nos soifs de connaître et nos soifs d’être par-delà nos savoirs.


Concrètement, quelles précautions suggère dès lors « Couples et Familles » aux parents et aux éducateurs dans la transmission de leurs convictions ? Ce qu’il nous semble important de partager :

  • ce sont les raisons par lesquelles ils donnent sens à leur vie, et leur passion de les approfondir ;
  • c’est en quoi ils ne considèrent pas ces raisons comme des évidences, mais comme des repères qui donnent sens à leur marche dans la vie dont ils n’ont cesse d’approfondir l’itinéraire ;
  • c’est leur passion à apprendre l’homme et son environnement en abordant tout sujet sans a priori et sans tabou, convaincus de ce que, même bousculant les quasi certitudes, toute compréhension nouvelle de l’univers, de son histoire, de l’homme lui-même et de son environnement, ouvre des portes nouvelles pour les compréhensions et les approfondissements de foi ;
  • c’est leur écoute attentive et leur dialogue avec toute personne en recherche, comme eux, d’une plus grande fraternité humaine.


Et pour ce qui est de l’exemple du créationnisme : ne pas verser dans l’obscurantisme qui vide de son sens et de ses richesses toute la symbolique des récits fondateurs, et qui aveugle plutôt qu’il ne donne à voir. C’est la foi dans l’accueil d’amour de l’autre qui sauve de la cécité : « - Seigneur, faitesque je voie. - Va, ta foi t’a sauvé ! [2]  ».

 

 



[1] C’est André Chouraqui qui fait remarquer que ce que les traductions françaises des Évangiles affirment comme « Bienheureux ! » dans les béatitudes, fait référence à l’hébreu « ashréi », qui signifie en fait, « En marche ! ».
[2] Analyse réalisée par Jean Hinnekens

 

Masquer le formulaire de commentaire

1000 caractères restants