Analyse 2007-17

Dans nos pays occidentaux, la consommation de médicaments psychotropes est excessive et tend à se banaliser. En Europe et en Amérique du Nord, la consommation importante de médicaments psychotropes chez les personnes âgées est un fait avéré. Ce phénomène est particulièrement observé chez nos aînés résidant dans des institutions spécialisées, et se couple à une problématique de surprescription et de surconsommation.


La prescription de médicaments et de psychotropes [1] , un problème majeur et complexe


En 2006, le Centre d’expertise fédéral des soins de santé a rendu public un rapport sur la question. Ce rapport rendait compte de la surmédication en maisons de repos, faisait le constat d’une consommation chronique particulièrement élevée de médicaments anti-dépresseurs et antipsychotiques, ainsi qu’une grande variabilité de qualité entre les différentes institutions [2] . Une consommation de médicaments plus importante chez les personnes âgées est quelque part « normale » car, par rapport au reste de la population, les résidents de maisons de repos souffrent plus souvent de maladies chroniques, de longue durée et d’affections cumulées simultanément. Cependant, la consommation de médicaments (surtout les psychotropes) en maisons de repos ou de soin pose question.


Certains chiffres parlent eux-mêmes du problème. Il s’agit de chiffres provenant d’une étude de la Mutualité Chrétienne [3] qui examine les médicaments prescrits à quelque 50.000 de ses membres admis en maison de repos en 2005. Bien que l’étude ne se consacre qu’à une partie de la population (membres de la Mutualité Chrétienne), les données peuvent assez bien rendre compte du phénomène. Ainsi, en 2005, chaque résident de maison de repos recevait 10 médicaments et en consommait 4 différents par jour (en moyenne). « Le type de médicaments prescrits est également interpellant. En moyenne, pas moins de 44% des résidents ont reçu des antidépresseurs durant minimum 30 jours. En outre, quasi un résident sur quatre (23,3%) a reçu des antipsychotiques alors que ces médicaments sont réservés au traitement de graves maladies psychiatriques, comme la schizophrénie » [4] . Plus étonnant, en moyenne, 31% des patients ont reçu au minimum un médicament de la « liste de Beers ». Il s’agit d’une liste de produits considérés comme étant moins recommandés pour une population âgée (ils pourraient faire plus de mal que de bien, surtout en raison des effets secondaires liés à l’âge). De la même manière que la KCE, la Mutualité Chrétienne a relevé une grande variabilité entre les différents établissements étudiés (75% des patients consommant des antidépresseurs pour certains, alors que ce taux n’est que de 14% dans d’autres).


Qu’en penser ? Il faut construire son opinion en sachant qu’une partie de ces médicaments ne sont pas nécessaires ou que les thérapeutiques mises en place ne conviennent pas aux personnes. Mais surtout, il faut savoir que dans le milieu scientifique, les données épidémiologiques sur les risques associés à la consommation de médicaments psychotropes abondent [5] . Le phénomène des maladies iatrogènes induites par les médicaments constituerait même un problème assez important chez les personnes âgées car il compte pour 5 à 25 % des hospitalisations et un peu moins de 20% des consultations médicales. Par exemple, plusieurs problèmes sont associés à la consommation plus spécifique des benzodiazépines (qui constituent l’essentiel des tranquillisants mineurs et des somnifères largement utilisés par les personnes âgées) ; elles seraient l’un des principaux facteurs reliés au déclin cognitif chez les personnes âgées, pouvant notamment affecter la mémoire de façon marquée. Des benzodiazépines sont ainsi souvent prescrites dans le cadre de troubles liés à la maladie d’Alzheimer alors que cette prescription est inutile et dangereuse.


Des actions mises en place


Dans un souci d’éviter les problématiques que nous venons d’évoquer, plusieurs actions tentent de limiter ces excès de prescription et de consommation. Aujourd’hui, chaque maison de repos et de soin a pour obligation de tenir à disposition des médecins généralistes un « Formulaire pharmaceutique pour les MRS ». Ce guide a été créé afin de guider les médecins en charge de personnes âgées et de favoriser une prescription rationnelle de leur part. Le but de cette brochure et de la démarche est de réduire les erreurs médicamenteuses, d’éviter la surconsommation de médicaments, ou encore de limiter le coût de la facture des médicaments pour le patient. Seulement, sur le terrain, on remarque que cette brochure n’est guère utilisée et que les institutions ne respectent pas l’obligation. Malgré le fait que ce formulaire soit un document de référence n’entravant pas le libre choix du médecin généraliste, certains d’entre eux éprouveraient une certaine réticence à son égard. Réticence due, entre autre, à la méfiance que les médecins auraient par rapport à des informations perçues comme provenant des pouvoirs publics. Dommage donc...


En France, le même problème de surprescription et de surconsommation se pose aussi. La Haute Autorité de Santé (la HAS) a rendu public un rapport qui étudie et qui vise à améliorer la prescription des psychotropes chez les personnes âgées. L’organisme veut, grâce à une série d’actions, améliorer les pratiques de prescription des professionnels et leurs usages, particulièrement dans les cas de troubles du sommeil, d’anxiété, de dépression et de troubles du comportement. C’est ainsi qu’ils ont mis en place des actions très spécifiques (par exemple une diffusion d’outils de démarche diagnostique de l’anxiété chez la personne âgée) mais aussi globales et transversales (programmes d’évaluation des pratiques de prescription chez le sujet âgé, campagne d’information grand public sur les somnifères et les anxiolytiques, etc.). L’organisme a l’air de vouloir prendre le taureau par les cornes et de vouloir attaquer la problématique sur tous les fronts... Cette démarche semble bénéfique pour ce type de problèmes globaux.


Moins de médication, davantage de soins et d’accompagnement


Au niveau local, au niveau de la maison de repos ou de soins, plusieurs mesures peuvent être prises afin de réduire ce type de situations. A ce propos, l’étude de la KCE met en évidence le fait que la présence d’un médecin coordinateur lié à la maison de repos peut avoir une influence positive sur la qualité des prescriptions (notamment car il pourra favoriser l’utilisation du formulaire décrit plus haut). Le plus souvent, ces médecins coordinateurs suivent une formation spécifique pour les soins à prodiguer aux personnes âgées, et peuvent ainsi mieux veiller à la bonne gestion des médicaments. Toutes les maisons de repos ne travaillent pas avec ce système de coordination, et certains acteurs du terrain voudraient renforcer le rôle de ces médecins coordinateurs dans les endroits où ils sont déjà présents. Ils pourraient ainsi détecter et remédier à d’autres problèmes (comme la polypharmacie ou l’usage de médicaments de la « liste de Beers »), aborder le problème de la surprescription de psychotropes avec les médecins généralistes, etc.


La problématique dont nous avons traité relève d’une question de santé publique et d’un phénomène de société, mais nous renvoie aussi la manière dont notre propre société gère et prend en charges nos aînés. Le fait que ce problème de surconsommation soit spécifique à cette tranche d’âge, dans ce type de milieux (maisons de repos et de soins) doit nous rendre bien vigilants par rapport aux dérives que cela peut avoir. Cela doit aussi nous faire réfléchir sur le fait que, quelque part, d’une certaine manière, on endort nos vieux [6] (pour ne pas dire qu’on les drogue), en attente de la mort, dans ce type d’endroits. C’est une lecture que l’on peut avoir... Il est aussi certain que la médication, surtout dans cette période de la vie, ne doit plus être un réflexe mais doit se substituer ou se faire compléter par des démarches relevant bien plus du soin, du mieux-être ou de l’accompagnement dans la douleur, dans la solitude, dans la maladie...


Il est donc certain que la problématique doit être abordée sous ses différents aspects et qu’il faut autant travailler le comportement des patients que le problème de prescription. Et puis, ce souci soudain de l’état de bonne santé des personnes âgées dans les maisons de repos n’est sûrement pas innocent non plus ; si l’état et les mutuelles s’y intéressent, cela n’est pas sans lien avec l’économie d’argent qu’ils pourraient réaliser.


Pour Couples et Familles, le domaine particulier des prescriptions médicales aux personnes âgées en maisons de repos ou de soins prolonge les interpellations plus larges mise en avant dans la publication « Que fait-on de no(u)s vieux ? ». En outre, nous attirons l’attention sur la place déterminante que devraient occuper les enfants des personnes âgées. Les parents vieillissants ne sont plus toujours conscients des médications qui leur sont prescrites et ils sont aussi souvent demandeurs de prescriptions comme d’une attention qu’on leur porte encore. C’est sûrement le rôle des enfants de porter un regard critique sur les thérapeutiques prescrites à leurs parents et à interpeller à ce sujet le personnel des institutions qui prennent en charge leurs parents vieillissants [7].

 

 


[1] Les médicaments psychotropes ont la propriété de modifier l’activité du cerveau en la réduisant ou en la stimulant (ils agissent notamment sur la vigilance et l’humeur). Ils peuvent être classé en 4 catégories, en fonction de leurs objectifs thérapeutiques : somnifères et hypnotiques (essentiellement des benzodiazépines, ils luttent contre les troubles du sommeil, en le maintenant ou en l’induisant), les tranquillisants et anxiolytiques (essentiellement des benzodiazépines, ils sont destinés à soigner certaines forme d’anxiété, par une action calmante), les antidépresseurs et les neuroleptiques (ils réduisent les symptômes psychotiques dans les troubles du comportement liés à certaines maladies comme la schizophrénie). Il faut aussi savoir que les psychotropes n’ont pas de pouvoir curatif ; il ne font que réduire l’importance des symptômes pendant la durée du traitement.
[2] « La consommation des médicaments dans les maisons de repos : trop élevée et de qualité trop faible », Rapport réalisé par le Centre d’expertise fédéral des soins de santé (KCE) en collaboration avec l’INAMI, Décembre 2006.
[3] « La consommation de médicaments en maison de repos. Pour un dialogue entre les maisons de repos et la MC », mai 2007.
[4] « La consommation de médicaments en maison de repos pose question » de Joëlle Delvaux, En marche, 7 juin 2007.
[5] Exemple : « La toxicomanie en lien avec la consommation de médicaments psychotropes : recension des écrits sur les personnes âgées, les femmes et les enfants » de D. Cohen et J. Collin, 1997.
[6] voir à ce propos le dossier des Nouvelles Feuilles Familiales « Que fait-on de no(u)s vieux ? » qui s’interrogeait sur la place que l’on laisse aux personnes âgées dans nos familles et dans la société
[7] analyse réalisée par Marie Gérard, Couples et Familles

 

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